Le musée d’Orsay inaugure une exposition-événement pour célébrer les 150 ans de la naissance officielle de l’impressionnisme. C’est en effet le 15 avril 1874 qu’Edgar Degas, Claude Monet, Berthe Morisot et leurs amis (une trentaine d’artistes en tout), inaugurent leur exposition dans les anciens ateliers du photographe Nadar, à quelques pas de l’opéra Garnier alors en chantier. Ce groupe, qui prendra bientôt le nom d’« impressionniste », s’avère toutefois à cette date particulièrement hétéroclite. Le musée parisien propose un passionnant dialogue entre cette « première exposition impressionniste » et le Salon officiel qui ouvre ses portes 15 jours plus tard sur les Champs-Élysées. Le parcours propose un panorama tout en nuances de la foisonnante production artistique du temps, à travers quelque 150 peintures, gravures et sculptures réalisées par des artistes aussi divers qu’Henri Gervex, Claude Monet, Jean-Jacques Henner, Édouard Manet, Paul Cézanne et Jules Bastien-Lepage. Entretien avec Sylvie Patry et Anne Robbins, commissaires de l’exposition.
Propos recueillis par Myriam Escard-Bugat.
Comment le centenaire de l’impressionnisme avait-il était célébré en 1974, douze ans avant la création du musée d’Orsay ?
A. R. : Il a donné lieu à d’importantes célébrations et expositions, en particulier la manifestation organisée au Grand Palais, le « Centenaire de l’impressionnisme », qui a ensuite fait étape à New York. Il s’agissait d’une exposition sous forme d’hommage, assez générale, dont le champ dépassait largement la seule exposition de 1874. Le catalogue est toutefois resté fort utile car il comprend un « cahier documentaire » centré sur cette première exposition impressionniste, dans lequel étaient déjà proposées des identifications d’œuvres.
S. P. : Le musée du Luxembourg déployait quant à lui une exposition sur le musée du Luxembourg en 1874, avec l’ambition de redonner une idée de ce qu’était la scène artistique.
Depuis son ouverture, en 1986, le musée d’Orsay s’impose bien sûr comme l’institution de référence pour l’impressionnisme. Peut-on dire qu’il abrite la plus grande collection impressionniste au monde ?
A. R. : Il est difficile de donner un chiffre précis. Qu’entend-on par « impressionniste » ? Inclut-on les artistes étrangers ? Et ceux dont la carrière est majoritairement rattachée au postimpressionnisme, comme Cézanne ou Gauguin ? On s’accorde généralement sur un chiffre d’environ 400 tableaux, auxquels s’ajoutent des dessins dont le décompte est plus complexe, ce qui en fait, sans aucun débat possible, la plus vaste collection au monde. Il faut aussi souligner que 72 de ces peintures ont figuré dans l’une des huit expositions impressionnistes (mis à part celle de 1881, la sixième, pour laquelle le musée d’Orsay ne possède aucune œuvre), ce qui est un chiffre considérable.
Vous montrez bien qu’il n’y a pas deux camps qui s’affrontent. Cela peut être surprenant pour le public ?
A. R. : Il est surprenant bien sûr de voir qu’un ancien Prix de Rome comme le sculpteur Auguste Louis Marie Ottin expose chez Nadar, qui plus est un buste d’Ingres. Le visiteur peut ici mesurer combien la « première exposition impressionniste » n’est pas homogène. Sur les 30 artistes, seulement 7 peuvent être qualifiés d’impressionnistes ! Beaucoup sont aujourd’hui tombés dans l’oubli, et si notre ambition n’était pas de réhabiliter des petits maîtres, il était important de présenter Édouard Béliard, Édouard Brandon, Auguste de Molins… Nous mettons aussi l’accent sur la diversité des médiums, la peinture bien sûr, la sculpture, et de nombreuses œuvres sur papier réalisées notamment par Félix Bracquemond, enrôlé à la dernière minute par Degas.
S. P. : La troisième manifestation organisée par les « impressionnistes » en 1877 sera beaucoup plus cohérente et portera d’ailleurs le nom d’« impressionniste ». Nous rassemblons dans la dernière section des chefs-d’œuvre de Monet, Renoir, Morisot et Degas présentés à cette occasion. Acquises pour la plupart par Caillebotte et léguées à l’État, ces éblouissantes peintures, aujourd’hui conservées à Orsay, correspondent pleinement à ce que l’on entend par peinture impressionniste.
Comment évoquez-vous le Salon officiel qui réunit alors des centaines d’artistes ?
S. P. : Nous accrochons à touche-touche dans une salle une sélection variée de peinture, les plus admirées, commentées et récompensées parmi les quelque 3 600 œuvres présentées au Salon de 1874 (nous avons pour cela procédé à un dépouillement de la presse de l’époque). Les artistes en vue sont alors des peintres académiques qui répondent aux commandes publiques, mais aussi les portraitistes à succès et des paysagistes liés pour certains à ce que l’on appellera « l’école de Barbizon ». Au gré de différentes thématiques (choix de carrière, vie moderne, paysage), nous faisons ensuite dialoguer les œuvres présentées aux deux manifestations pour examiner les points de convergence ou de porosité.
A. R. : Parmi les artistes du Salon, nous avons tenu à présenter les deux peintres qui rejoignent ensuite les impressionnistes : Mary Cassatt et Marie Bracquemond. Et il y a évidemment le cas fascinant de Manet, absolument central pour cette génération d’artistes, mais qui va s’obstiner à refuser de participer aux expositions impressionnistes. Nous montrons de lui une œuvre refusée et une acceptée, Le Chemin de fer qui est un chef-d’œuvre prêté par la National Gallery of Art de Washington (notre institution partenaire sur ce projet ; deuxième étape de l’exposition).
Entretien à retrouver en intégralité dans :
L’Objet d’Art hors-série n° 175
Paris 1874. Inventer l’impressionnisme
64 p., 11 €.
À commander sur : www.lobjet-dart-hors-serie.com
« Paris 1874. Inventer l’impressionnisme »
Jusqu’au 14 juillet 2024 au musée d’Orsay
Esplanade Valéry-Giscard-d’Estaing, 75007 Paris
Tél. 01 40 49 48 14
www.musee-orsay.fr
Catalogue, RMN-Grand Palais, 288 p., 45 €.