Si le plan de l’antique Lutèce est désormais connu dans ses grandes lignes grâce aux fouilles menées au gré des aménagements parisiens, l’organisation précise des différents quartiers l’est beaucoup moins. La découverte, sur la montagne Sainte-Geneviève, de déchets témoignant d’une activité de boucherie et de travail de la corne apporte un aperçu précieux sur la localisation de zones artisanales.
Avant même de se mettre à l’œuvre, les archéologues de l’Inrap savaient bien que les sondages, dans cette zone de la montagne Sainte-Geneviève située au sud-est du forum, en limite de la ville antique, seraient positifs. « La cour de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs (ENSAD) est surveillée depuis les années 1990, rappelle Jacques Legriel, responsable scientifique de la fouille actuellement menée au sein de l’établissement installé rue d’Ulm, à deux pas du Panthéon. En 1999, à l’emplacement de l’actuelle cafétéria, c’est un îlot d’habitations mitoyennes, avec des caves voûtées, daté de la seconde moitié du Ier siècle, qui avait été mis au jour. L’emprise de la fouille actuelle, sur 195 m2, se trouve précisément le long de cette insula. »
Des dizaines de chevilles osseuses
Ici, ce ne sont pas des éléments maçonnés qui ont été mis au jour – à l’exception d’un mur bien postérieur, construit au milieu du XIXe siècle –, mais la trace de recharges successives (des niveaux de galets correspondant à des sols de circulation, rajoutés pour assainir l’espace de ce qui était sans doute une esplanade extérieure ou une cour intérieure) et plusieurs dizaines de chevilles osseuses de cornes de bovidés : « Seule la partie externe des cornes est utilisée pour fabriquer de petits objets, comme des boutons, des cuillères, des peignes, explique l’archéologue. La partie intérieure, elle, est rejetée. Le nombre important de ces chevilles osseuses indique la présence d’une activité artisanale de boucherie et de travail de la corne à proximité. »
Un site abandonné et jamais reconstruit
Au milieu du IIIe siècle, le site est abandonné alors que la ville antique se resserre dans des limites plus étroites autour de la Seine. La parcelle – la stratigraphie en atteste – retourne à la nature et reste à l’extérieur de la ville médiévale et de son enceinte construite par Philippe Auguste. Au XVIIe siècle, elle intègre les jardins du couvent des Ursulines, qui s’installent là comme plusieurs autres congrégations religieuses. La rue d’Ulm, à quelques mètres à peine, sera percée en 1850 seulement. « La cour de l’ENSAD n’a jamais été construite, à l’exception de ce mur de séparation de parcelle du XIXe siècle que nous avons dégagé. C’est ce qui a permis l’exceptionnelle conservation de la stratigraphie des niveaux antiques sur 1,50 mètre d’épaisseur. »
Tessons, épingles, charnières…
Outre les rejets de cornes de bovidés, le sol a livré des tessons de poteries, des épingles en os – destinées à la coiffure ou à la couture pour l’une d’entre elles percée d’un chas –, des charnières de portes elles aussi en os et quelques pièces de monnaie, dont un sesterce en alliage ferreux, orné au revers d’une divinité (peut-être Junon) tenant un sceptre, un animal à ses pieds et, à l’avers d’un portrait d’impératrice…
Alice Tillier-Chevallier