De « Notre-Dame de Paris 1/1, le jumeau virtuel » actuellement présenté à la Cité de l’architecture et du patrimoine au film en réalité virtuelle du théâtre antique d’Orange, ou au parcours numérique sur le prochain chantier de remontage de la flèche de la basilique de Saint-Denis, le public se voit aujourd’hui proposer toujours plus d’expériences fondées sur les technologies 3D. À l’aide d’une tablette ou d’un casque, le visiteur peut remonter le temps, déambuler dans un patrimoine disparu ou inaccessible, approcher de près ce qui est trop haut ou trop loin. Dispositifs séduisants de médiation, souvent spectaculaires, ces technologies numériques sont aussi devenues un outil de travail essentiel pour les professionnels du patrimoine. Enquête sur les avancées récentes permises par la numérisation au cœur de sites archéologiques et monumentaux.
Au soir du 15 avril 2019, alors que les pompiers bataillaient pour éteindre l’incendie qui ravageait la toiture de Notre-Dame, Gaël Hamon a d’abord partagé l’abattement général. Jusqu’à ce qu’un membre de son équipe lui rappelle que sa société Art Graphique & Patrimoine (AGP) possédait, sur ses ordinateurs, les données brutes du relevé 3D de la charpente.
Des outils nouveaux et réactifs
« En 2016, nous avions travaillé sur cette partie de l’édifice, se souvient le président et fondateur de l’entreprise spécialisée depuis trente ans dans le relevé de monuments historiques. Pour boucler le document, joindre le point de départ et le point d’arrivée, nous avions dû passer à l’intérieur, par les lucarnes. Puisque nous étions là, j’avais demandé que l’on fasse un relevé de la “forêt”. » Y avait-il dans cette initiative – qui allait s’avérer si utile pour la reconstruction de Notre-Dame – une intention spécifique ? Absolument pas. « Un relevé 3D, répond Gaël Hamon, c’est comme ces clichés pris dans l’instant par un photographe : il n’utilisera pas tout. Certaines photos seront redécouvertes plus tard et se révèleront très profitables… »
Bond technologique
À l’image de la photographie en son temps, les technologies 3D, balbutiantes dans les années 1990 quand AGP a été créé, se sont banalisées et démocratisées, devenant un outil précieux pour l’étude du patrimoine et sa valorisation. D’autant que les coûts des équipements ont nettement baissé et que le matériel de relevé est désormais disponible à la location. Les compétences se sont développées dans des équipes pluridisciplinaires associant aux historiens de l’art, archéologues, architectes et restaurateurs, des géomètres, des ingénieurs ou des infographistes, que ce soit au sein de sociétés privées, d’universités, de laboratoires de recherche ou de plateformes unissant public et privé, comme Archeovision, à Bordeaux.
Un support d’analyse et de compréhension
Avant tout support d’étude, le numérique reste au service de l’analyse et de l’interprétation, pour la restauration des monuments comme pour l’archéologie. « La documentation, la récolte d’informations est depuis toujours dans l’ADN de notre métier, analyse Thomas Sagory, responsable du développement numérique au musée d’Archéologie nationale et de la collection Grands sites archéologiques. L’archéologie est par nature destructrice – au moins en partie – de son objet d’étude, et nécessite donc de générer une trace. En travaillant sur des vestiges, elle doit composer avec l’absence, d’où les besoins de visualisation – c’est une nécessité cognitive, je dirais. C’est pour cette raison que les archéologues se sont emparés de la photographie dès qu’elle est apparue. Pour comprendre les sites, ils les ont dès l’origine transposés dans l’espace, ils ont tracé des plans, réalisé des axonométries et proposé des restitutions des parties aujourd’hui disparues au crayonné ou à l’aquarelle. Les technologies 3D s’inscrivent dans le prolongement de ces méthodes traditionnelles. La nouveauté est simplement que l’on déplace les espaces dans des logiciels 3D, voire 4D en intégrant le paramètre du temps, pour retracer les évolutions d’un site. »
Photogrammétrie, lasergrammétrie, photométrie…
À chaque technologie ses spécificités : la photogrammétrie permet une restitution illusionniste du grain et de la couleur, grâce à la prise de milliers de photos se recouvrant partiellement les unes les autres ; la lasergrammétrie peut enregistrer des données de jour comme de nuit et elle est capable de mesurer le terrain sous un couvert végétal en passant dans les trouées de la végétation ; la photométrie réussit à mettre en évidence des reliefs grâce à un appareil photo fixe et des variations de lumière dont on change le positionnement pour mesurer l’albédo (pouvoir réfléchissant d’une surface), interprété ensuite par les algorithmes pour apporter un volume…
Précision et rapidité
À ces technologies s’est ajouté le développement des drones – « une véritable révolution dans la documentation des sites » pour Yves Ubelmann, architecte et fondateur d’Iconem, qui a été l’un des pionniers de leur utilisation sur des sites menacés en Afghanistan dès la fin des années 2000. « En combinant des prises de vue au sol et des images par des drones survolant les sites, voire par avion pour les très grandes surfaces, on obtient un rendu multiscalaire : nous parvenons à capturer à la fois l’échelle du paysage, celle du bâti et celle du niveau du sol. Là où avec des seules photos aériennes, un pixel représentait 3 ou 4 centimètres du terrain, nous descendons désormais en dessous du millimètre. »
Moins d’une semaine pour relever Compiègne
À ces gains en matière de précision vient s’ajouter la rapidité d’exécution des relevés, qui se compte non plus en semaines, mais en jours. Celui de la ville de Compiègne n’a pris à Iconem, habitué à travailler sur des sites de grande échelle, que quatre ou cinq journées à peine, à raison de plusieurs milliers de photos chaque jour. Vient ensuite le temps nécessaire au traitement et à la consolidation des données préparatoires à l’édition des plans, coupes, élévations, ortho- images ou modèles 3D. Autant d’outils précieux, au-delà de la seule documentation du site, pour établir un diagnostic, réaliser des simulations et préparer, le cas échéant, la restauration.
Dossier réalisé par Alice Tillier-Chevallier
Dossier à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 631 (mai 2024)
3D et réalité virtuelle au service de l’archéologie
81 p., 11 €.
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