Exposition Louis XV à Versailles. Entretien avec les commissaires

Nicolas de Largillière (1656-1746) et atelier (attr. à), Mme de Ventadour avec le roi Louis XIV et ses héritiers, vers 1715. Huile sur toile, 127 x 161 cm. Londres, Wallace Collection.

Nicolas de Largillière (1656-1746) et atelier (attr. à), Mme de Ventadour avec le roi Louis XIV et ses héritiers, vers 1715. Huile sur toile, 127 x 161 cm. Londres, Wallace Collection. Photo service de presse. © Château de Versailles – C. Fouin

Trois siècles après son sacre et son installation à Versailles, Louis XV est de retour au château par le biais d’une vaste et ambitieuse exposition qui s’attache à évoquer et à comprendre l’homme dissimulé derrière le souverain. Par la réunion spectaculaire de près de 400 œuvres, objets et documents, elle nous convie à la découverte de la personnalité d’un roi silencieux, qui aimait à s’entourer de ses intimes, et des passions qu’il cultiva au plus haut degré, en partie pour tromper sa mélancolie. Outre son goût pour la physique et l’astronomie, la chasse et l’architecture, le public le verra aussi au milieu des arts de son temps et des chefs-d’œuvre de la rocaille qui ornaient son quotidien. Entretien avec Yves Carlier et Hélène Delalex, commissaires de l’exposition.

Propos recueillis par Armelle Fayol

« L’une des choses qui frappent chez Louis XV, c’est qu’il a constamment cherché à s’entourer d’un cercle d’intimité. »

L’exposition est centrée sur l’homme que fut Louis XV plutôt que sur le souverain, et la première grande partie se consacre à cette dimension « privée ». Dans ce destin où public et privé se superposent souvent, quels événements biographiques vous semblaient devoir être évoqués pour servir ce propos ?

Yves Carlier : Dans cette première grande partie, nous souhaitions tenter d’expliquer qui était Louis XV et dessiner les grands traits de sa personnalité. D’emblée, l’évocation de l’enfance s’est évidemment imposée, car il nous fallait rappeler comment et par qui il fut formé, qui l’accompagna durant ses années de jeunesse. D’une façon générale, y compris lorsqu’on évoque sa vie adulte, l’entourage du roi, familial et non familial, amoureux mais aussi amical, nous a paru une question majeure. L’une des choses qui frappent en effet chez Louis XV, c’est qu’il a constamment cherché à s’entourer d’un cercle d’intimité, ce qui a eu comme corollaire le développement des cabinets privés dans toutes les résidences royales et d’un mode de vie en conséquence pour la cour. L’institution des soupers de cabinets, en particulier, est en totale rupture avec le règne de Louis XIV, qui soupait en famille avec quelques courtisans. Louis XV, lui, choisissait qui il voulait autour de lui. En complément, il nous a paru indispensable de consacrer une section au Parc aux Cerfs, cet épisode d’une dizaine d’années au cours duquel Louis XV a mené une vie privée que l’on ne peut cautionner en aucune façon, mais qui est révélatrice d’un aspect de sa personnalité. Sur un plan strictement événementiel, il était inévitable de s’intéresser, enfin, à l’attentat de Damiens tant il a eu de répercussions psychologiques sur le roi. D’abord c’était un crime de lèse-majesté et un crime contre Dieu. En outre, le procès a été instruit par le parlement de Paris, ce qui lui a donné une dimension politique. Pour le règne comme pour Louis XV, il y a un avant et un après Damiens.

Augustin Duflos et Claude-Laurent Rondé, couronne de Louis XV, Paris, 1722. Argent partiellement doré, fac-similés en cristal de roche (diamants) et verre (rubis, émeraudes, saphirs, topazes, perles), satin brodé, H. 24 ; diam. 22 cm Paris, musée du Louvre.

Augustin Duflos et Claude-Laurent Rondé, couronne de Louis XV, Paris, 1722. Argent partiellement doré, fac-similés en cristal de roche (diamants) et verre (rubis, émeraudes, saphirs, topazes, perles), satin brodé, H. 24 ; diam. 22 cm Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © Musée du Louvre, dist. RMN – M. Beck-Coppola

Quand on souhaite ainsi approcher le plus près possible de la personnalité d’un roi, comment procède-t-on et à partir de quelles sources ?

Hélène Delalex : En ce qui concerne la personnalité du roi, l’une des grandes sources de l’Ancien Régime, comme pour Louis XIV, ce sont les mémorialistes. Pour ce qui concerne Louis XV, nous disposons notamment des mémoires du duc d’Argenson et surtout des mémoires du duc de Luynes, tout à fait impressionnants dans leur détail et leur longueur. Les mémoires du duc de Croÿ sont également un appui précieux. En recoupant ces témoignages, on voit se dessiner peu à peu le personnage avec son caractère mélancolique, ses silences, la manière dont il réagit, ses liens avec ses enfants et sa famille. Les documents d’archives aussi en disent long, que ce soit ceux des Bâtiments du roi, ceux qui concernent le Parc au Cerf, les listes des princesses en âge d’être mariées au jeune roi, par exemple.

Y.C. : Les écrits des ambassadeurs sont très instructifs également. Je pense notamment au prince de Kaunitz, ambassadeur d’Autriche, qui décrit les amitiés et relations du roi, détaillant les jeux d’influence à la cour. À tout ce travail à partir des sources s’est évidemment ajoutée la lecture de la littérature la plus récente sur Louis XV.

Comment ce travail d’historien se croise-t-il avec le travail de sélection et de réunion des objets, qui constitue le langage propre de l’exposition ?

H.D. : Je prendrai l’exemple d’un élément de la biographie de Louis XV : sa hantise de la mort et sa peur de la maladie, qui sont des traits forts de son caractère. Comment montrer cela dans l’exposition ? C’est notamment un prêt tout à fait exceptionnel de la Wallace Collection qui nous en a offert la possibilité : le grand tableau attribué à Nicolas de Largillière, Mme de Ventadour avec le roi Louis XIV et ses héritiers, montre le petit Louis XV entouré de personnages qui sont des ombres, les héritiers de Louis XIV, déjà morts à l’époque où est peint ce tableau. Non loin de là, sur un mur, nous avons accumulé des gravures de cortèges funèbres, des extraits des oraisons funèbres des parents du jeune garçon, pour essayer de rendre sensible l’univers visuel lugubre dans lequel s’est déroulée l’enfance de Louis XV.

Y.C. : Tantôt nous avons cherché des objets pour illustrer un thème majeur, tantôt au contraire nous réfléchissions au parcours à partir d’œuvres que nous pensions incontournables. La commode de la Wallace Collection par exemple, qui est l’icône de l’exposition, aurait pu figurer dans la longue section sur l’art rocaille ; nous l’avons finalement installée toute seule au milieu de la dernière pièce dédiée aux arts sous Louis XV, ce qui signale aux visiteurs son caractère exceptionnel. Inversement, le grand lustre de Mme de Pompadour prêté par la bibliothèque Mazarine figure dans la section rocaille alors que c’est un objet que Louis XV a pu voir quand il séjournait chez sa favorite, au château de Crécy. La scénographie, le rapport des objets les uns avec les autres ont guidé nos choix.

Jacques et/ou Philippe Caffieri (?), lustre à neuf bras de lumière aux armes de M me de Pompadour (trois tours crénelées), d’une paire, Paris, vers 1750-55. Bronze ciselé et doré, H. 134 ; L. 116 cm. Paris, bibliothèque Mazarine.

Jacques et/ou Philippe Caffieri (?), lustre à neuf bras de lumière aux armes de M me de Pompadour (trois tours crénelées), d’une paire, Paris, vers 1750-55. Bronze ciselé et doré, H. 134 ; L. 116 cm. Paris, bibliothèque Mazarine. Photo service de presse. © C. Fouin

En 1722 Louis XV s’installe à Versailles, et c’est là qu’il mourra. Comment, en quelques mots, définir le lien qu’il a eu avec cette résidence, lui qui en a fréquenté et aimé plusieurs ?

Y.C. : Versailles est pour lui un lieu de pouvoir, notamment le Grand Appartement où le pouvoir se montre de manière très ostentatoire. On sait par des témoignages que Choisy était la résidence préférée de Louis XV. Le duc Luynes disait qu’à Choisy il se comportait en seigneur, et non pas en roi. Mais il n’a jamais eu de velléités d’abandonner Versailles pour habiter ailleurs.

H.D. : Pour Louis XV, chaque résidence a sa particularité : il a des résidences plutôt pour la chasse, des résidences pour les intimes, des résidences royales partagées avec Mme de Pompadour. Versailles, c’est comme une incarnation du roi. Comme le disait un historien, c’est « le magnifique manteau du roi ».

Une section passionnante de l’exposition et du catalogue est consacrée aux amitiés. Louis XV était-il un bon ami ?

Y.C. : Le prince de Kaunitz écrit que c’est un ami fidèle, qui ne reprend jamais l’amitié qu’il a une fois donnée.

H.D. : Les amitiés sont profondément ancrées dans l’enfance pour Louis XV, comme elles le furent aussi pour Louis XIV. C’est une sorte d’inébranlable fidélité aux liens les plus anciens. On peut donner l’exemple de la comtesse de Toulouse, qui a eu sa vie durant l’amitié du roi. Elle disposait d’un appartement à Versailles, communiquant avec le sien, et le roi assistait à tous les soupers qu’elle tenait.

La marquise de Pompadour a bien sûr ici une place à part.

Y.C. : On peut regretter qu’elle n’ait pas écrit ses mémoires ! Elle est l’amie par excellence, qui a percé la psychologie du roi, qui a toujours su comment se comporter avec lui et savait ce qui lui était nécessaire pour oublier sa neurasthénie. Il avait manifestement une confiance absolue en elle.

H.D. : Des témoignages disent que lorsque Louis XV était submergé par sa « douleur noire », il s’enfermait avec Mme de Pompadour dans son appartement et, un quart d’heure après, c’était un autre homme. C’est la seule favorite dans l’Histoire de France qui s’est maintenue à la cour alors qu’elle n’était plus la maîtresse du roi, en sublimant en quelque sorte son amour en amitié. Dans l’exposition, plusieurs objets portent la marque de cette amitié : des représentations de Mme de Pompadour en Amitié, des cachets aux chiffres entrelacés, des allégories de l’amitié ornant des intailles qu’ils partageaient.

François Hubert Drouais, Mme de Pompadour à son métier à broder, 1763-64 Huile sur toile, 217 x 156,8 cm. Londres, The National Gallery.

François Hubert Drouais, Mme de Pompadour à son métier à broder, 1763-64 Huile sur toile, 217 x 156,8 cm. Londres, The National Gallery. Photo service de presse. © The National Gallery, London

« Louis XV voulait dans chaque discipline être un expert. »

Le deuxième grand temps de l’exposition se penche sur les passions de Louis XV. Pour commencer sur ce sujet, les passions du roi étaient-elles, en gros, celles de son siècle ?

Y.C. : La véritable passion qu’il avait pour les bâtiments est une passion royale ; Louis XIV lui en avait donné l’exemple, tout en lui conseillant d’ailleurs de ne pas les aimer autant que lui l’avait fait. Les contemporains sont unanimes à dire en tout cas que, parmi les arts, c’est l’architecture qui intéresse le plus le roi.

H.D. : On peut dire la même chose de la chasse. Louis XV a chassé, pourrait-on dire, comme un forcené dès son adolescence. Certes, les rois Bourbons ont tous été de grands chasseurs, mais ce qui distingue Louis XV, c’est qu’il veut dans chaque discipline être un expert. Il maîtrise par exemple tous les aspects techniques de la chasse. Dans le domaine des bâtiments, il sait discuter avec des gens de métier, parler technique, corriger des plans, et il approfondit de la même manière tous les domaines qui ont sa prédilection. On dit même que pour les courses de traîneau, il va au bout de lui-même, s’épuise littéralement. Le duc d’Argenson le décrit comme pris entre des moments d’intensité et d’apathie absolue ; il se passionne avant de sombrer tout à coup dans la mélancolie.

Les livres de Louis XV

La première bibliothèque personnelle de Louis XV fut aménagée dans les combles du deuxième étage du château de Versailles entre 1726 et 1729. D’autres bibliothèques furent par la suite installées à Choisy, Fontainebleau et Compiègne, abritant chacune plusieurs milliers de volumes. Tous ces ouvrages, achetés auprès de libraires parisiens, étaient reliés de maroquin rouge. Les catalogues montrent un grand goût pour l’histoire, avec des titres comme les Mémoires de Sully ou l’Abrégé de l’histoire universelle de Voltaire, et un intérêt particulier pour les périodes de troubles, telles les guerres de Religion ou la Fronde. Les classiques grecs et romains étaient bien représentés – on y trouvait Thucydide, Xénophon, Plutarque, Quinte-Curce, Cicéron –, tout comme les sciences, passion personnelle du roi, au contraire de la théologie et du droit, pratiquement absents. Louis XV avait enfin à sa disposition des ouvrages de fiction comme Gil Blas de Santillane, les Aventures de Robinson Crusoë, les Mille et Une Nuits ou encore la Vie de Marianne de Marivaux, auxquels s’ajoutaient enfin de nombreux livres consacrés à l’art de la chasse à courre. Charles-Éloi Vial

Pierre Paul Dubuisson, Armorial des principales maisons et familles du royaume, particulièrement de celles de Paris et de l’Isle de France, à Paris, aux dépens de l’auteur, 1757. Reliure en maroquin vert, décor doré à la dentelle avec fleurs de lys et doubles L couronnés du roi, au centre sous une lame de mica, armes du roi et double L couronné peints à la gouache et entourés d’une guirlande en maroquin rouge, 16,8 x 9,5 cm. Versailles, bibliothèque municipale.

Pierre Paul Dubuisson, Armorial des principales maisons et familles du royaume, particulièrement de celles de Paris et de l’Isle de France, à Paris, aux dépens de l’auteur, 1757. Reliure en maroquin vert, décor doré à la dentelle avec fleurs de lys et doubles L couronnés du roi, au centre sous une lame de mica, armes du roi et double L couronné peints à la gouache et entourés d’une guirlande en maroquin rouge, 16,8 x 9,5 cm. Versailles, bibliothèque municipale. Photo service de presse. © Château de Versailles, dist. RMN – C. Fouin

Cette expertise se retrouve-t-elle dans les domaines scientifiques qui l’intéressent, telles l’optique ou la physique ?

H.D. : Selon plusieurs témoignages, Louis XV était capable de corriger des instruments de précision et aimait discuter avec les scientifiques, au point d’avoir recherché toute sa vie la compagnie intime des savants. C’est un peu comme s’il délaissait son masque de roi avec les gens de métier. Louis XIV faisait de même, au fond. Il travaillait à quatre mains avec ses artisans, avec Le Nôtre, avec Mansart. Louis XV a été par exemple, dès l’enfance, un roi jardinier au sens botanique. On sait que l’hiver, l’été, qu’il pleuve, qu’il neige ou encore au retour de la guerre, il allait visiter ses serres chaudes et discuter d’un plan avec son jardinier.

Y.C. : Parfois bien sûr, ce goût personnel croise les intérêts du roi, comme on le voit au jardin botanique de Trianon. Il s’agissait de chercher quelles plantes on pourrait acclimater en France pour nourrir les populations. Louis XV a fait également mener des expériences sur les maladies des blés à Trianon, pour éviter les épidémies.

Le public sera peut-être étonné aussi d’apprendre qu’il passait du temps à tourner le bois ou l’ivoire, comme le montrent des objets rarissimes que vous présentez.

H.D. : Il s’est en effet passionné aussi pour l’art du tour et, selon le témoignage de De Croÿ, s’enfermait souvent dans son cabinet du Tour, seul. D’une certaine façon, l’art du tour est quelque chose de classique alors dans toute l’Europe ; tous les grands seigneurs, les princes s’adonnent à cet art très aristocratique, mais c’est là encore l’assiduité de Louis XV qui frappe. Il aura de multiples cabinets du Tour, et les pièces tournées de ses mains que l’on conserve sont tout à fait virtuoses. C’est le cas d’une pendule que nous avons fait restaurer pour l’exposition, qu’il a tournée lui-même et offerte à sa fille Marie-Adélaïde. Il a tourné la même pour l’offrir à Marie-Antoinette ; elle est aujourd’hui au musée de l’Ermitage. La restauration a montré, par rapport à une pendule similaire, de petits défauts de conception au milieu d’une grande virtuosité, qui attestent l’intervention de la main du roi.

Jean Antoine Lépine (horloger du roi), pendule en ivoire, Paris, vers 1770. Ivoire tourné, guilloché et sculpté, bronze ciselé et doré, émail, verre, laiton et acier, H. 42,3 ; L. 23 ; P. 11,5 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Jean Antoine Lépine (horloger du roi), pendule en ivoire, Paris, vers 1770. Ivoire tourné, guilloché et sculpté, bronze ciselé et doré, émail, verre, laiton et acier, H. 42,3 ; L. 23 ; P. 11,5 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Photo service de presse. © RMN (château de Versailles) – D. Arnaudet / J. Schormans

Parmi les instruments scientifiques que vous avez réunis se trouve un microscope acquis pour le château de Versailles en 2021. En quoi est-il rarissime ?

H.D. : Ces objets ont été produits en très peu d’exemplaires, entre 1750 et 1754, et les archives nous montrent qu’il s’agissait de pièces de prestige, et non de laboratoire, destinées à une élite scientifique. Le prix en livres payé pour ces instruments à la pointe de la recherche était tout à fait astronomique. L’année de l’acquisition, en 1750, l’Académie des sciences avait fait une grande présentation de la composition des corps découverte grâce aux observations microscopiques. La passion de Louis XV pour ce type d’objets était bien dans l’air du temps.

Claude Siméon Passemant (ingénieur), attribué à Jacques et Philippe Caffieri (sculpteurs et bronziers), exécuté sous la direction de Michel-Ferdinand d’Albert d’Ailly, duc de Chaulnes, microscope tripode, Paris, vers 1750. Bronze ciselé et doré, laiton, acier, acajou, galuchat vert, vélin vert doré aux petits fers, lentilles en verre et miroir concave, H. 50,8 ; L. de la base 28,2 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Claude Siméon Passemant (ingénieur), attribué à Jacques et Philippe Caffieri (sculpteurs et bronziers), exécuté sous la direction de Michel-Ferdinand d’Albert d’Ailly, duc de Chaulnes, microscope tripode, Paris, vers 1750. Bronze ciselé et doré, laiton, acier, acajou, galuchat vert, vélin vert doré aux petits fers, lentilles en verre et miroir concave, H. 50,8 ; L. de la base 28,2 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © Château de Versailles, dist. RMN – C. Fouin

Les arts sous Louis XV font l’objet de la dernière grande partie de l’exposition. Comment avez-vous choisi de présenter l’art rocaille, qui fait l’objet d’un développement à part ?

Y.C. : Avant toute chose, nous voulions montrer que l’art rocaille est d’abord un art de l’invention. Un mur entier est consacré à des compositions graphiques : des dessins pour des ornements, un tableau rocaille de Jacques de Lajoüe, des estampes liées à l’art de la voiture, à l’orfèvrerie et au bronze. À partir de l’idée de l’ornemaniste, la transcription en trois dimensions est le fait des bronziers, orfèvres et céramistes, qui peu à peu vont créer des objets montés de style rocaille. Nous avons sélectionné des types d’objet qu’on ne montait pas sous le règne de Louis XIV, à l’image des animaux montés, fréquents dans l’art rocaille.

La quintessence de l’art rocaille

Formées à partir de vases de porcelaine de Chine, ces deux aiguières formant une paire présentent une monture en bronze doré exceptionnelle qui incarne parfaitement l’art rocaille. Les développements sophistiqués de ses rinceaux s’enroulent solidement autour des vases et se prolongent dans la montée spectaculaire de l’anse et du bec. Il n’est pas exclu que ces objets aient été créés par le fameux bronzier Jean-Claude Chambellan-Duplessis.

Paire d’aiguières. Porcelaine, Chine, première moitié du XVIIIe siècle. Bronze doré, France, vers 1740-50. H. 52 ; L. 33,5 ; P. 27 cm. Paris, musée du Louvre.

Paire d’aiguières. Porcelaine, Chine, première moitié du XVIIIe siècle. Bronze doré, France, vers 1740-50. H. 52 ; L. 33,5 ; P. 27 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN (musée du Louvre) – M. Beck-Coppola

Louis XV a-t-il particulièrement aimé l’art rocaille ?

Y.C. : Il a en tout cas conservé les objets rocaille les plus incroyables qui avaient été faits pour lui, telle la commode de la Wallace Collection, créée à l’origine pour sa chambre, qu’il a gardée plus de trente ans. Pierre Verlet, le grand historien, l’avait très bien dit : Louis XV a été fidèle au style qui porte aujourd’hui son nom. S’il a adhéré au néoclassicisme, comme en témoigne le Petit Trianon, il n’a pas rejeté ce qui a précédé. Par comparaison, Marie-Antoinette faisait sans cesse transformer ses appartements pour qu’ils soient toujours au goût du jour. Louis XV, lui, a principalement vécu dans des décors « Louis XV » jusqu’à la fin de son règne.

« Louis XV a été fidèle à l’art rocaille et a été son meilleur ambassadeur. »

Certes, on ne peut dire qu’il a été l’instigateur du style qui porte son nom. Les prémices de l’art rocaille datent de la Régence, et même du règne de Louis XIV. Mais il a été fidèle à cet art et a été son meilleur ambassadeur, comme en témoignent certains cadeaux diplomatiques. Le cabinet de la Pendule est un bon exemple de cette fidélité. Il a été décoré en 1738 selon un aménagement particulier. Lorsqu’il a été modifié en 1760, le néoclassicisme commençait à apparaître. Louis XV aurait très bien pu commander un décor moderne, mais il a fait compléter le décor en recopiant des boiseries de 1738.

Un luxe inouï

L’exposition permet de redécouvrir ce meuble prestigieux revenu à Versailles, son lieu d’origine, en 2019. C’est pour la chambre de la Dauphine, Marie Thérèse Raphaëlle d’Espagne, à l’occasion de son mariage avec Louis Ferdinand, le fils de Louis XV, que cette commode d’un luxe inouï fut livrée au Garde-Meuble de la Couronne le 23 janvier 1745. La commande avait été passée au célèbre marchand mercier Hébert, qui était réputé faire travailler les talents les plus novateurs. Il en confia la réalisation à Bernard II Vanrisamburgh. Reconnu aujourd’hui de façon quasi unanime comme le plus grand ébéniste du règne de Louis XV, celui qui signait ses meubles B.V.R.B. maîtrisait en virtuose le difficile travail du laque japonais, dont il fut le pionnier en Europe et le spécialiste incontesté. Les volutes de bronze doré qui encadrent et rehaussent le précieux matériau font de ce meuble un chef-d’œuvre incontesté de l’art rocaille.

Bernard Vanrisamburgh (ébéniste) et Thomas Joachim Hébert (marchand mercier), commode, livrée le 23 janvier 1745 Bâti de chêne, tiroirs en noyer ; placage de laque du Japon, amarante, nacre ; vernis parisien ; bronze ciselé et doré ; marbre de brèche d’Alep (à l’origine marbre brocatelle), H. 89 ; L. 159 ; P. 66,5 cm Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Bernard Vanrisamburgh (ébéniste) et Thomas Joachim Hébert (marchand mercier), commode, livrée le 23 janvier 1745 Bâti de chêne, tiroirs en noyer ; placage de laque du Japon, amarante, nacre ; vernis parisien ; bronze ciselé et doré ; marbre de brèche d’Alep (à l’origine marbre brocatelle), H. 89 ; L. 159 ; P. 66,5 cm Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © Château de Versailles, dist. RMN – C. Fouin

Dans les grands décors peints qu’il commande, de quel goût fait-il preuve ?

Y.C. : Les tableaux commandés pour ses appartements sont des tableaux narratifs, notamment sur le thème de la chasse, et non pas des tableaux d’histoire. Et lorsque dans les années 1760, on a fait appel à des peintres d’histoire pour la galerie de Choisy, Louis XV n’a pas du tout apprécié le résultat.

H.D. : Là encore on peut le comparer à Louis XIV, qui tout en étant le promoteur du grand décor d’histoire, n’est ni un grand connaisseur ni un amateur de peinture ; son goût personnel le porte plutôt vers les natures mortes, les décors cynégétiques. Il commande de grands décors parce qu’il est le roi. De la même façon, quand Louis XV commande le décor du salon d’Hercule, il ne suit pas un goût personnel, n’agit pas en amateur : il termine Versailles.

Parmi les effigies de Louis XV que vous avez réunies, un portrait peint tardif, daté de 1774, frappe particulièrement. Que voyez-vous dans ce tableau ?

Y.C. : Il s’agit d’un portrait intime qui frappe notamment par comparaison avec les quelques effigies solennelles que nous présentons, notamment l’exceptionnel portrait en habit de sacre par Rigaud, qui vient d’être restauré, ainsi que l’œuvre de Parrocel qui le montre en chef de guerre. Le portrait peint par Arnaud Vincent de Montpetit correspond bien plus à l’homme dont parle l’exposition.

H.D. : Nous avons voulu proposer des choses moins connues que les portraits de Louis XV par Vanloo qui figurent dans le salon de l’Abondance, et que le public pourra aller voir en sortant de l’exposition. Pour la première fois sera présenté à Versailles, par exemple, un double portrait très rare du jeune Louis XV avec la petite infante d’Espagne, peint par Jean-François de Troy et merveilleusement restauré. Le portrait intime du roi, peint un an avant sa mort, nous offre quant à lui presque un face-à-face avec Louis XV. Le roi se retourne, comme pour un dernier regard. Et c’est d’ailleurs ce regard à la fois pénétrant et bouleversant qui vient clore le parcours.

À la gloire du roi

Portraitiste préféré de Louis XV, Jean-Baptiste II Lemoyne eut l’honneur de concevoir trois monuments publics à la gloire du roi, à Bordeaux, à Rennes et à Rouen. Cette statuette est la réduction en bronze du monument érigé sur la place de la Bourse, à Bordeaux, en 1743. Elle est l’un des quatre exemplaires commandés par les jurats de la ville vingt-trois ans plus tard. La tête haute, le roi tient le bâton de commandement et, le cheval au pas, semble passer en revue ses troupes. La cuirasse et le grand manteau d’imperator achèvent de donner au souverain cet air de majesté hérité de son bisaïeul Louis XIV. Lionel Arsac

Jean-Baptiste Lemoyne, Louis XV à cheval, 1769. Bronze, H. 72,5 ; L. 52,5 ; P. 32 cm. Bordeaux, musée des Arts décoratifs et du Design.

Jean-Baptiste Lemoyne, Louis XV à cheval, 1769. Bronze, H. 72,5 ; L. 52,5 ; P. 32 cm. Bordeaux, musée des Arts décoratifs et du Design. © Madd, Bordeaux – L. Gauthier

« Louis XV. Passions d’un roi », jusqu’au 19 février 2023 au château de Versailles, place d’Armes 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 75 05. www.chateauversailles.fr

Catalogue sous la direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, In Fine / Château de Versailles, 496 p., 49 €.