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Une expo, une œuvre : Un stupéfiant commesso signé Giovanni Castrucci

Giovanni Castrucci, Vue du château de Prague (détail), entre 1598 et 1607 (?). Commesso de jaspes et d’agates, 18,5 x 34 cm. Prague, The Museum of Decorative Arts.

Giovanni Castrucci, Vue du château de Prague (détail), entre 1598 et 1607 (?). Commesso de jaspes et d’agates, 18,5 x 34 cm. Prague, The Museum of Decorative Arts. Photo service de presse. © The Museum of Decorative Arts, Prague – O. Kocourek

À travers une centaine d’œuvres majoritairement exécutées à Prague et commandées ou achetées par l’empereur Rodolphe II, le musée du Louvre nous transporte au cœur d’une vie de cour brillante. Les arts et les sciences y dialoguent, comme en témoignent ici plus d’un chef-d’œuvre.

Grand collectionneur et mécène, Rodolphe II (1552-1612) soutient pleinement le renouvellement de la création à Prague. Il fait de la capitale du Saint Empire romain germanique un véritable lieu d’expérimentation où se côtoient des artistes et des savants venus de toute l’Europe. Ceux-ci partagent une culture humaniste héritée de l’Antiquité, dans un climat de tolérance intellectuelle et religieuse. L’empereur montre un goût tout particulier pour la nature et pour son étude, laquelle passe de plus en plus par une observation directe. Il invite à sa cour des paysagistes comme Pieter Stevens et Roelandt Savery, mais encourage également l’utilisation et la mise en valeur de ressources locales, à l’instar des pierres dont la Bohême regorge. Des quartz de couleurs variées aux agates de Kozákov en passant par les jaspes marbrés ou mouchetés, il aime voir ces minéraux transformés en objets précieux.

Castrucci, spécialiste du commesso

C’est dans ce contexte que Rodolphe II appelle à Prague le célèbre lapidaire milanais Ottavio Miseroni, puis, à partir de 1592 au plus tard, Cosimo Castrucci, spécialiste de la marqueterie de pierres de couleur originaire de Florence. L’empereur avait en effet été séduit par le plateau de table marqueté envoyé en cadeau par le grand-duc Ferdinand Ier de Médicis en 1589. Cosimo est rejoint vers 1598 par son fils Giovanni, qui sera nommé graveur de pierres dures impérial en 1610. Ensemble, ils développent le commesso, une technique inspirée de l’opus sectile antique, redécouverte à Rome lors de fouilles archéologiques au XVIsiècle. Celle-ci consiste à créer de véritables tableaux en juxtaposant des morceaux de pierres de couleur de quelques millimètres d’épaisseur. La variété chromatique des pierres utilisées permet d’imiter la peinture avec une acuité de détails saisissante. La production pragoise se caractérise par ailleurs par un décor continu et non incrusté dans un fond.

Peindre avec les pierres

Certaines compositions ainsi réalisées sont destinées à devenir des plateaux de table ou à orner des façades de cabinet, tandis que d’autres sont conçues comme des œuvres autonomes, de véritables tableaux à l’instar de la peinture. Chaque centre de production a sa propre spécialité : à Rome dominent plutôt des motifs géométriques, tandis qu’à Florence on élabore des compositions plus figuratives. Mais c’est véritablement l’atelier des Castrucci qui invente le paysage – au moment où le genre connaît un développement en peinture –, et qui plus est les vues de Prague, sujet véritablement inédit. Désormais, il n’est plus besoin de représenter des paysages lointains et extraordinaires, les vues environnantes sont jugées dignes d’intérêt. Cette Vue du château de Prague faisait ainsi partie d’un ensemble de sept compositions inventoriées dans les collections impériales sous le nom de Castrucci en 1607. Dans une atmosphère paisible, sur un fond de ciel gris, s’élève le château impérial au-dessus du fleuve d’un vert laiteux. On ne peut qu’admirer la virtuosité de Giovanni Castrucci, qui taille avec précision et minutie les pierres de Bohême pour traduire les reliefs de la cité et ainsi donner naissance à ce paysage coloré. Par cette habile mise en abyme où les pierres recréent le paysage auquel elles appartiennent dans la réalité, on atteint ici un sommet de cette technique picturale particulière qui illustre aussi parfaitement le regard nouveau porté sur la nature dans la Prague de Rodolphe II.

Giovanni Castrucci, Vue du château de Prague, entre 1598 et 1607 (?). Commesso de jaspes et d’agates, 18,5 x 34 cm. Prague, The Museum of Decorative Arts.

Giovanni Castrucci, Vue du château de Prague, entre 1598 et 1607 (?). Commesso de jaspes et d’agates, 18,5 x 34 cm. Prague, The Museum of Decorative Arts. Photo service de presse. © The Museum of Decorative Arts, Prague – O. Kocourek

Pour voir cette œuvre, rendez‑vous à l’exposition « L’expérience de la nature. Les arts à Prague à la cour de Rodophe II », qui se tient jusqu’au 30 juin au musée du Louvre. www.louvre.fr