Rezé : le Chronographe célèbre l’archéologie près de chez vous !

Fouille de la nécropole du Grand T en 2021, par les archéologues du Département de Loire‑Atlantique.

Fouille de la nécropole du Grand T en 2021, par les archéologues du Département de Loire‑Atlantique. © Lisa Surault, Département de Loire‑Atlantique, 2021

Installé sur les bords de la Loire à Rezé, le Chronographe propose une passionnante exposition jusqu’au 7 janvier 2024 sur le patrimoine archéologique du territoire métropolitain nantais. Au fil du fleuve et de ses affluents, se dessine une histoire dense en vestiges. Conçu en étroite collaboration avec tous les partenaires œuvrant à la compréhension des archives du sol, le parcours rend compte de cette archéologie quotidienne et de proximité. Cécile de Collasson, directrice du Chronographe, nous dévoile les pans de cette mémoire collective.

Propos recueillis par Éléonore Fournié

Pourquoi avoir organisé cette exposition ?

Elle marque les 5 ans de l’ouverture du Chronographe (fin 2017) et les 14 ans de la création du pôle de recherche archéologique de la métropole nantaise. Ces anniversaires sont l’occasion de faire un point d’étape sur la richesse archéologique de 24 communes de notre territoire, grâce à un panorama en treize sites, révélateurs de la diversité des vestiges, des chronologies, des méthodes archéologiques, des types d’opérations ou de sites rencontrés. Pour cela nous nous sommes entourés de nos partenaires historiques – nos collègues du pôle de recherche archéologique métropolitain, de l’Inrap et de l’université de Nantes –, du service régional de l’archéologie (Drac Pays de la Loire), du service archéologique du département de Loire-Atlantique et d’opérateurs privés, comme Éveha. Le soutien de la Drac nous permet de présenter des fouilles très récentes, parfois à peine terminées, et d’aborder ainsi un point essentiel : la temporalité très paradoxale de la recherche en archéologie. En effet, ce n’est pas parce qu’un site est découvert qu’il est immédiatement et intégralement compris ; il faut parfois plusieurs mois ou plusieurs années (les études post-fouilles et leurs analyses scientifiques) pour en percevoir la richesse et l’intérêt…

Atlas archéologique de Nantes Métropole.

Atlas archéologique de Nantes Métropole. © Le Chronographe / MgDesign, Nantes Métropole, 2023

Une archéologie de proximité

Le pôle de recherche archéologique de la métropole nantaise a été créé il y a 14 ans. C’est très récent !

En effet. Historiquement, il y avait une forte tradition de fouilles à Rezé, qui a conduit à l’embauche d’une archéologue municipale dès 2004. La création d’un service municipal à Nantes en 2009, puis l’extension de son habilitation à la métropole en 2015, est corrélée à la très dense activité menée sur le territoire depuis une quinzaine d’années. Ces opérations (préventives comme programmées) sont liées aux vastes aménagements d’une métropole, Nantes, sans cesse en expansion et à ceux, tout aussi nombreux, conduits autour de la Loire. Afin de valoriser ces vestiges, le Chronographe bénéficie d’un dépôt de l’État, en particulier s’ils concernent le site antique de Ratiatum, sur lequel le Chronographe est implanté.

Radiographie d’une fibule de l’Âge du fer

Cette fibule appartient à un ensemble de petits objets métalliques issus d’un dépôt secondaire de crémation, mis au jour dans une nécropole sur le site de Bagatelle à Saint‑Herblain. Ces éléments de toilette brûlés avec le mort (un couteau, une fibule et une pince à épiler) sont apparus lors de la radiographie du dépôt, avant la restauration. L’anneau de la pince à épiler indique qu’elle devait faire partie d’une trousse de toilette. Rarement associés, ces trois objets soulignent le statut privilégié du défunt. La fibule relève d’une typologie bien connue en Aquitaine, dite « à pied relevé ». Par comparaison avec certains exemplaires de Charente, on peut imaginer qu’elle était ornée, dans les zones aménagées en creux, d’incrustations en cuivre ou en corail. 

Fibule de l'Âge du fer.

Fibule de l'Âge du fer. © Arc’antique, Grand Patrimoine de Loire‑Atlantique, 2013

Afin de rendre compte de cette riche actualité archéologique, deux autres projets ont été menés. Quels sont‑ils ?

Le premier est un atlas archéologique métropolitain, consultable en ligne, qui per-met à tout un chacun d’en savoir plus sur les vestiges conservés dans notre sous-sol. 560 références, qui seront actualisées au fur et à mesure, nous renseignent sur l’histoire de telle ou telle commune, à telle ou telle adresse. Le second, l’ArchéoLabo, est un outil mobile, utilisable dans les écoles, les centres de loisirs ou lors d’activités de médiation près des sites, qui aborde les méthodes de l’archéologie de manière très ludique et pédagogique.

Ces opérations sont liées aux vastes aménagements d’une métropole sans cesse en expansion et à ceux conduits autour de la Loire.

Fouille des quais en bois et schiste de Ratiatum (Rezé) par les archéologues de l’Inrap en 2021.

Fouille des quais en bois et schiste de Ratiatum (Rezé) par les archéologues de l’Inrap en 2021. © Emmanuelle Collado, Inrap, 2021

L’histoire du territoire

Comment s’organise le parcours ?

Il commence à la Préhistoire par « Investir un territoire » : nous voyons alors comment s’implantent des groupes humains en bordure des cours d’eau, sur des espaces choisis en fonction de leur localisation et de leurs ressources naturelles. Des vestiges néolithiques ont ainsi été identifiés en bord de Sèvre, à Vertou, lors de campagnes de prospection de l’université de Nantes. La logique de contrôle des accès par l’eau se manifeste particulièrement avec le promontoire de La Sangle, à Bouguenais, occupé pendant les âges des Métaux et mis au jour lors d’une fouille programmée des universités de Tours et de Nantes. Puis, la section « Aménager le territoire » met l’accent sur des opérations particulièrement intéressantes, et nombreuses dans la métropole, sur des fermes gauloises de la fin de l’âge du Fer – avec deux exemples, l’un à Carquefou (voir encadré) étudié par l’Inrap et l’autre à Doulon-Gohards, mené par le pôle de recherche archéologique de Nantes Métropole. Ces investigations aident à mieux cerner l’implantation de ces fermes, la très forte activité économique qui en découle et la création d’un parcellaire constituant la genèse de nos territoires actuels. L’Antiquité est enfin abordée par « Construire l’agglomération », dédié surtout à la période romaine, avec de très beaux exemples découverts à Rezé – la suite du grand quai portuaire – et à Mauves-sur-Loire, où l’identification, par Éveha, d’une ville gauloise sous la ville romaine permet de percevoir le phénomène de romanisation de la cité.

Évocation de la tour du Connétable et de l’enceinte fortifiée de Nantes à la fin du XVe siècle.

Évocation de la tour du Connétable et de l’enceinte fortifiée de Nantes à la fin du XVe siècle. © Fañch Juteau, 2020

Seaux et cordelette de la ZAC de la Haute Forêt à Carquefou

La fouille de ce site a livré deux seaux tripodes en bois d’if et des éléments de cerclage en cuivre exceptionnellement bien conservés, ainsi que les probables éléments du balancier du puits. Très rarement mis au jour dans un contexte d’habitat gaulois, les deux seaux ont été découverts dans un puits (dont le milieu humide a permis la bonne conservation) situé non loin des habitations. Après prélèvement, ils ont été confiés au laboratoire Arc’Antique, où ils ont été dessinés, photographiés et traités chimiquement au polyéthylène glycol, afin de les stabiliser et de les conserver. 

Seau tripode issu de la fouille d’un puits, Zac de la Haute Forêt, Carquefou.

Seau tripode issu de la fouille d’un puits, Zac de la Haute Forêt, Carquefou. © Gwenaël Lemoine, Arc’Antique, Grand Patrimoine de Loire‑Atlantique, 2016

Abordez‑vous les époques médiévales et modernes ?

Oui : dans la quatrième séquence, intitulée « Entre ville et faubourgs », nous nous intéressons à la ville de Nantes et à son espace urbain qui ne cesse d’évoluer. Si l’on connaît assez mal l’agglomération antique de Condevincum et le port de Nantes (qui est un véritable mille-feuille historique), les opérations récentes ont permis de mieux comprendre l’évolution de ses fortifications (fouille du square Fleuriot de Langle), la densification de l’habitat intra-muros et, au contraire, son expansion hors les murs, notamment au XVIIIe siècle. Cette séquence présente un rare exemple de manoir périurbain médiéval, mis au jour sous la caserne Mellinet, mais aussi de très nombreux objets de la vie quotidienne (une brosse à dent, des boutons, etc.), extrêmement émouvants.

Fouille de la caserne Mellinet en 2018, par les archéologues de Nantes Métropole.

Fouille de la caserne Mellinet en 2018, par les archéologues de Nantes Métropole. © Équipe de fouille, Nantes Métropole, 2018

Comment traitez‑vous la question des défunts ?

C’est l’objet de notre dernière séquence « Donner place aux morts » qui s’organise autour de quatre fouilles allant de l’âge du Bronze au XIXe siècle. Nous voyons ainsi comment ont évolué les pratiques et gestes funéraires pendant près de 3 000 ans. Le lien que nous entretenons avec la mort a beau-coup changé : à l’époque romaine, les nécro-poles sont situées le long des voies d’accès menant à la cité – comme le montrent les fouilles de la rue d’Auvours et du parking du Grand T à Nantes ; ces nécropoles sont très intéressantes parce qu’elles nous donnent aussi des indications sur les limites de l’agglomération antique. À l’époque médiévale, les espaces funéraires se déplacent près des églises, souvent au cœur des villes. Puis, pour des questions de place et d’hygiène, les morts sont enfermés derrière des murs et éloignés du monde des vivants. Les sépultures ellesmêmes sont très différentes d’une époque à l’autre : on passe de la tradition de la crémation à l’époque antique à celle de l’inhumation avec la christianisation.

Des ardoises bavardes

De nombreuses ardoises en schiste ont été retrouvées en 2017 dans un conduit de latrines le long des fortifications médiévales du square Fleuriot de Langle à Nantes. Elles sont gravées de signes énigmatiques ; il s’agit sans doute des marques de tâcherons qui ont suivi un chantier de construction à proximité des remparts. Ces « pense-bêtes » ont ensuite été jetés à la poubelle, dans les latrines… Un dispositif immersif, présenté dans l’exposition, permet de faire parler ces objets de manière inédite.

Ardoise de couverture en schiste gravée.

Ardoise de couverture en schiste gravée. © Guillaume Chamarre, Pôle de recherche archéologique de Nantes Métropole, 2022

Cette exposition extrêmement pédagogique est aussi très touchante dans sa manière de raconter l’histoire de ce territoire. Qu’est‑ce qui vous a le plus ému en la concevant ?

Outre le fait que j’ai découvert le seau de Carquefou que je ne connaissais pas, je demeure toujours impressionnée par l’apport des études de palynologie et de carpologie. À partir d’éléments de prime abord insignifiants (pollens, spores, graines, etc.) et qui sont loin d’être des chefs-d’œuvre, nous arrivons à restituer des paysages antiques et protohistoriques, à comprendre les pratiques agricoles, à restituer gestes et outils du quotidien. C’est un des aspects les plus passionnants de l’archéologie !

Un PCR au pôle de recherche archéologique

Créé en 2009 par la Ville de Nantes, le pôle de recherche archéologique a été étendu au territoire de la métropole nantaise dès 2015. L’archéologie préventive concentre l’essentiel de ses recherches qui s’appliquent à des thématiques diversifiées, tant en contexte urbain que rural, et à des chronologies allant des âges des Métaux à la période moderne. Dans la perspective d’une meilleure intégration des connaissances acquises et à venir, l’équipe vient de lancer un projet collectif de recherche (PCR), agrégeant des chercheurs d’autres institutions, sur les dynamiques de peuplement en pays nantais. L’objectif est de comprendre la genèse et l’évolution des territoires sur le temps long, notamment au travers des relations entretenues entre les sociétés humaines et leurs milieux. F. M.

« C’est arrivé près de chez vous ! 10 ans d’archéologie dans la métropole », jusqu’au 7 janvier 2024, au Chronographe, 21 rue Saint-Lupien, 44400 Rezé. Tél. : 02 52 10 83 20 et lechronographe.nantesmetropole.fr et atlasarcheo. nantesmetropole.fr