Dijon : un palais, un musée (1/2). Redécouvrir le palais des Ducs

Sur la façade nord du logis ducal, visible depuis le square des Ducs, les hautes fenêtres signalent la présence de la grande salle, qui abrite les tombeaux des ducs depuis le XIXᵉ siècle. Les lucarnes, reconstruites après l’incendie de 1503, correspondent aux dispositions d’origine. À l’arrière-plan, la tour Philippe le Bon domine de ses 46 m le logis dont elle desservait, jusqu’au 5ᵉ étage, les pièces d’habitation. © musée des Beaux-Arts de Dijon — Photo François Jay
Après plus de dix années de rénovation, le musée des Beaux-Arts de Dijon rouvre au public l’ensemble de ses espaces. Le nouveau parcours de 1 500 œuvres met en valeur une collection de premier plan déployée dans un écrin historique unique : une double visite au cœur d’un patrimoine d’exception. Au premier chef, la réouverture du musée des Beaux-Arts est l’occasion de découvrir d’un œil neuf le palais que nous ont légué les ducs de Bourgogne.
Le musée des Beaux-Arts de Dijon n’est pas seulement l’un des plus anciens de France. C’est aussi l’un des plus riches, qui conserve des milliers de tableaux, sculptures, objets d’art et dessins, abrités dans un écrin historique exceptionnel : la partie orientale du palais des Ducs et des États de Bourgogne, un ensemble de bâtiments dont la construction s’est étalée sur plusieurs époques, du XIVe au XIXe siècle. Intimement liée à celle du lieu qui l’abrite, l’histoire du musée et de ses collections nous fait traverser sept siècles d’art et d’architecture.

La « tour neuve » édifiée par Philippe le Hardi près de la sainte-chapelle du palais (aujourd’hui disparue) abritait à l’époque documents et joyaux. © musée des Beaux-Arts de Dijon — Photo François Jay
L’ambition d’une rénovation
Pour offrir de plus vastes espaces aux collections, accueillir le public dans de meilleures conditions et doter le musée d’infrastructures techniques adaptées, la Ville de Dijon a jeté les bases d’un ambitieux projet de rénovation dès 2004. En 2005, un concours a permis de désigner les Ateliers Lion Architectes Urbanistes, sous la direction d’Yves Lion, comme maître d’œuvre, tandis que la restauration des façades et des espaces historiques du palais relevait d’Éric Pallot, architecte en chef des Monuments historiques. Cinq ans d’études approfondies ont été nécessaires à la préparation des travaux dans un bâtiment rendu complexe par son histoire séculaire. De nouvelles réserves externalisées ont été construites, tandis qu’étaient déménagés les bureaux de la Trésorerie municipale, de la conservation et le centre de ressources documentaires du musée. Le chantier a ensuite débuté avec la galerie de Bellegarde en 2008, puis les salles dévolues au Moyen Âge et au début de la Renaissance. Ce premier parcours de quatorze salles a été inauguré en 2013. La seconde phase de travaux concernait tous les autres espaces du musée qui se déploient autour de la cour de Bar. L’accueil principal a été installé dans l’aile XIXe siècle du palais et s’ouvre aujourd’hui sur la place de la Sainte-Chapelle.

Les salles dédiées au XVIIᵉ siècle au 3ᵉ étage du musée constituent l’une des réussites du nouvel accrochage. © musée des Beaux-Arts de Dijon —
Du passé au présent
Plus de 5 000 m2 de surface d’exposition sont désormais réservés aux collections, au fil d’un parcours chronologique qui tient compte des particularités architecturales et respecte l’enveloppe du palais des Ducs. Les salles patrimoniales classées Monuments historiques ont retrouvé de leur superbe et accueillent les objets médiévaux, à l’instar du premier étage de la tour de Bar. Certaines témoignent encore de l’importance de l’École de dessin (le salon Condé et la salle des Statues) ou servent d’écrin aux collections contemporaines (au deuxième étage de la tour de Bar). Tout en respectant l’architecture de l’édifice, des interventions contemporaines sont venues ponctuer le bâtiment, comme la toiture dorée dans la cour de Bar ou l’extension vitrée sur la rue Longepierre. Elles font entrer le musée dans le XXIe siècle. En 1949, lors de l’inauguration des salles du deuxième étage du musée, Georges Salles, le directeur des musées de France, déclarait : « Dijon possède le plus beau musée de France après le Louvre ! » La formule – que bien des musées français revendiquent – est certes gratifiante, mais qui se risquerait sur le fond à comparer entre elles les collections des grands musées français ? Il n’en demeure pas moins que le musée de Dijon réunit ce que seul le Louvre peut offrir aussi : une collection encyclopédique de plusieurs millénaires d’histoire de l’art au sein d’un palais qui n’a cessé d’évoluer du Moyen Âge à nos jours.

La rénovation du musée et la refonte du parcours ont permis de révéler des éléments du palais médiéval : cette superbe fenêtre en est un vestige, désormais visible au 2ᵉ étage du musée. © musée des Beaux-Arts de Dijon — Photo Stéphane Rouillard
Au temps de Philippe le Hardi
En 1363, le duc valois Philippe le Hardi reçoit le duché de Bourgogne en apanage et se voit ainsi récompensé de sa fidélité vis-à-vis de son père, le roi de France Jean le Bon. En épousant en 1369 Marguerite de Male, héritière de la Flandre, de l’Artois et de la Franche-Comté, Philippe le Hardi étend son territoire vers le nord de l’Europe et jette les bases d’une principauté que ses descendants, Jean sans Peur (duc de 1404 à 1419), Philippe le Bon (duc de 1419 à 1467) et Charles le Téméraire (duc de 1467 à 1477) ne cesseront de développer. Le duc s’installe à Dijon et commence à faire construire une demeure à l’intérieur de l’antique castrum. De ces premières constructions subsiste la « tour neuve », édifiée vers 1365, qui prendra l’appellation de « tour de Bar » après l’emprisonnement du duc de Lorraine René de Bar, capturé par Philippe le Bon en 1431. Conscient de la contribution des arts à son dessein princier et à sa postérité, Philippe le Hardi, à l’instar des membres de sa famille, développe un effort de mécénat sans précédent. Dès 1383, il est à l’origine de la chartreuse de Champmol, aux portes de Dijon, fondation religieuse mais aussi haut lieu de création artistique. Avec la fondation de la chartreuse destinée à accueillir les tombeaux de la dynastie, il donne ainsi une impulsion décisive à l’art bourguignon et fait de la Bourgogne un brillant foyer artistique, belle synthèse entre art français et art flamand dans le domaine de la sculpture, de la peinture et des arts décoratifs.

La Bourgogne est rattachée au domaine royal depuis un siècle et demi quand le duc de Bellegarde, gouverneur de Bourgogne, fait construire en 1615 la galerie qui porte son nom et qui relie la tour de Bar au logis ducal. Sous Louis XIV, l’architecte Jules-Hardouin Mansart transforme, à partir de 1688, le logis médiéval en un palais de style classique, créant la cour d’honneur et l’aile occidentale. © musée des Beaux-Arts de Dijon — Photo François Jay
Le palais au XVe siècle
Son fils Jean sans Peur, pourtant moins féru d’art, poursuit son œuvre. Il fait notamment terminer le tombeau de son père, installé à la chartreuse en 1404. Le troisième duc valois, Philippe le Bon, incarne la figure du prince chevaleresque et mécène. Soucieux de marquer symboliquement le prestige de sa dynastie à travers des réalisations fastueuses, il commande un tombeau pour son père, similaire à celui de son grand-père. La création de l’ordre de la Toison d’or, en 1430, dont le siège est installé dans la sainte-chapelle de Dijon qui jouxte le palais ducal, participe de la même volonté d’asseoir son pouvoir en l’inscrivant dans une lignée mythique. Même s’il réside peu à Dijon, il consacre des efforts importants à l’extension et à l’aménagement du palais ducal, siège de son duché. C’est lui qui fait édifier en 1433 les monumentales cuisines ducales, qui attestent la grandeur des banquets servis à la cour du duc de Bourgogne à l’heure de son apogée. À partir de 1450 la construction du corps de logis du duc est entreprise, derrière la façade gothique surplombée par la tour Philippe le Bon qui domine l’actuel square des Ducs. La façade arrière donnant sur le jardin livre encore une bonne idée de ce que pouvait être l’architecture fastueuse du logis, transformé à l’époque moderne. Dans la salle principale située au premier étage – actuelle salle des tombeaux – se déroulaient les festivités. Détruite en partie par un incendie, cette salle est réaménagée en 1503. La tribune des musiciens, encore en place, porte les chiffres du roi de France Henri II. Au XVIIe siècle, elle accueille les gardes du prince de Condé, usage qui lui vaut encore aujourd’hui l’appellation de « salle des Gardes ». Au XIXe siècle, l’aspect de la salle évolue avec le remaniement de la cheminée monumentale, puis l’installation des tombeaux des ducs de Bourgogne en provenance de la chartreuse de Champmol. La mort, lors de la bataille de Nancy en 1477, du dernier duc, Charles le Téméraire, entraîne la fin d’une dynastie et d’un territoire géographiquement indépendant. Le roi Louis XI récupère une partie des terres ducales au profit du royaume de France, mais cède la Franche-Comté, l’Artois et les Flandres à Maximilien de Habsbourg, époux de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire. Le rêve d’un duché de Bourgogne constitué en royaume indépendant se dissipe ainsi à la fin du XVe siècle.







