Voyage au centre du cristal
C’est peu dire : depuis la Préhistoire le cristal de roche fascine l’humanité. Sa transparence et ses facettes diffractant la lumière en ont fait un matériau de prédilection dès le Paléolithique pour rehausser armes, bijoux et objets de prestige. La nouvelle exposition du musée de Cluny nous invite à un voyage, hommage à George Sand et sa Laura, voyage dans le cristal, au cœur de cette matière. Tous ses aspects y sont abordés au fil de 200 pièces, toutes plus fascinantes les unes que les autres : géologie, minéralité, histoire, polyvalence symbolique, au fil du temps et des civilisations mondiales. Et cette rêverie cristalline résonne jusqu’à aujourd’hui, cette pierre étant utilisée aussi bien dans l’optique, dans la mesure du temps ou comme source d’inspiration dans la pop-culture du XXe siècle.
Fermail-reliquaire à l’aigle
Ce bijou-reliquaire a probablement été réalisé à Prague au milieu du XIVe siècle. Il servait à attacher les pans d’un vêtement d’apparat, les reliques qu’il contenait lui conférant prestige et protection. Le luxe des matériaux et le soin apporté à sa réalisation laissent penser qu’il s’agit d’une commande impériale. Serti de pierres précieuses et enrichi d’émaux, il arbore l’aigle couronné sur fond de flammes, emblème de la Bohême. Le jeu de contraste entre la transparence et la brillance du cristal de roche associé au chatoiement d’autres pierres précieuses, de perles, de métaux luxueux ou d’émaux offre des variations de lumière infinies hautement appréciées.
Anneau à buste féminin
Ce très beau, et très rare, bijou romain présente un anneau imposant orné d’une tête de femme en haut-relief coiffée d’un diadème à trois rangs. Particulièrement à la mode à partir de l’époque d’Auguste, le cristal de roche connaît son apogée sous le règne de Trajan (98-117). La coiffure de la jeune femme est d’ailleurs celle à la mode au début du IIe siècle. Cette bague, exceptionnelle, portée lors de cérémonies ou offerte aux dieux, a été découverte sur le site archéologique de Glanum à Saint-Rémy-de-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, en 1930.
Vénus accroupie
Dès l’Antiquité, la compréhension des formes cristallines passionne les scientifiques. Au Ier siècle avant notre ère, l’historien et géographe grec Strabon parle, le premier, de krystallos (« glace » en grec ancien), en associant ce matériau aux cristaux de neige. Ce dernier connaît alors un rayonnement extraordinaire dans le monde antique. Bien que très difficile à sculpter, ce qui augmente d’autant plus la préciosité de l’objet, le cristal de roche sert à reproduire les grands chefs-d’œuvre de l’époque, souvent en modèle miniature, comme cette Vénus, reprenant le modèle de la Vénus dite de Rhodes, sans doute objet de délectation de son riche propriétaire.
Têtes de lion
Ces têtes de lions, symboles de pouvoir, ont été sculptées dans un bloc de cristal de roche d’une parfaite transparence et ont été évidées, sans doute pour les ficher sur des montants ou des accoudoirs de siège. D’une grande force expressive et sans équivalent connu à ce jour, elles témoignent du goût romain pour le luxe et la recherche d’un esthétisme puissant dans le mobilier d’apparat. Elles sont réputées avoir été découvertes (dans une sépulture de la vallée du Rhin) avec une statuette en ivoire représentant Ariane flanquée d’une ménade, d’un satyre et de deux amours, elle sans doute réalisée à Constantinople au VIe siècle…
Lentille asphérique parfaite, dite « Lentille de Visby »
Mise au jour dans une tombe viking sur l’île de Gotland en Suède, cette lentille fait partie d’un ensemble daté entre le XIe et le XIIe siècle. Certaines lentilles ont été montées sur des structures en argent (pour servir comme bijoux ?). Leur forme, déjà très similaire aux lentilles asphériques des lunettes modernes, montre qu’elles étaient utilisées pour leur propriété optique, peut-être comme loupe ou dans un téléscope (?).
Reliquaire quadrilobé
Au Moyen Âge, la tradition, qui fait du cristal de roche un symbole divin par excellence, conduit à l’utiliser comme un matériau de prédilection pour les commandes artistiques des églises, aussi bien pour les objets liturgiques que pour les reliquaires. Si bien que tous les trésors religieux de l’Occident médiéval contiennent des objets en cristal de roche. En effet, outre sa transparence qui laisse voir la relique, ce matériau est porteur d’une lumière propre qui confère à la relique une aura divine, permettant, au-delà de son pouvoir grossissant, d’atteindre la lecture mystique de l’objet.
Reliquaire de Notre-Dame de Termonde
Peut-être créé pour l’église Notre-Dame de Termonde (Dendermonde) en Flandres, cet objet est un « phylactère », type de reliquaire polylobé de faible épaisseur suspendu ou posé sur un pied. La plupart des exemplaires connus ont été produits dans les régions septentrionales entre 1150 et 1250. Cet exemplaire conserve un fragment présumé de la Vraie Croix. Il figure le Christ en majesté, entouré de bustes de saints et d’allégories, de la lune et du soleil. Le pied et les boules en cristal seraient un ajout du XIXe siècle.
« Voyage dans le cristal », jusqu’au 14 janvier 2024 au musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, 6 place Paul Painlevé, 75005 Paris. Tél. : 01 53 73 78 00 et www.musee-moyenage.fr