Chronique désinvolte du marché de l’art de François Duret-Robert : « Contrefaçon »
Le célèbre artiste américain Jeff Koons a été condamné pour contrefaçon le 8 novembre 2018 par le tribunal de Paris.
Jeff Koons à la une des journaux, voilà qui n’étonne personne. Mais Jeff Koons en vedette dans la presse juridique, cela surprend davantage. Pourtant, le fait est là : plusieurs revues de droit ont récemment consacré de longs articles au célèbre artiste américain. Et ce, pour une raison très simple : il vient de se voir infliger une condamnation pour contrefaçon, qui s’élève à plus de 120 000 €, par le tribunal de Paris1.
La dame et le petit cochon
M. Davidovici, qui exerce la profession de directeur artistique, travaille notamment pour la société NAFNAF. Pour illustrer l’une des campagnes publicitaires de cette société, il a créé un visuel qui représente une jeune femme allongée dans la neige, dont s’approche un jeune cochon. Au cou de celui-ci est accroché un petit tonneau identique à celui que portent les chiens Saint-Bernard. Le sens de la scène est clair : la femme a fait une mauvaise chute et le jeune cochon vient à son secours, comme aurait pu le faire un chien Saint-Bernard. La substitution du cochon au chien est évidemment destinée à mettre en valeur le premier, lequel évoque la marque NAF-NAF. En effet, un conte pour enfants met en scène trois petits cochons dont l’un se nomme Naf-Naf. Ajoutons que ce visuel est intitulé Fait d’hiver. Du 26 novembre au 23 décembre 2014, s’est tenue au Centre Georges Pompidou une rétrospective de l’œuvre de Jeff Koons. Or, parmi les créations dévoilées dans cette exposition figurait une sculpture intitulée Fait d’hiver qui reprenait fidèlement la composition du visuel de M. Davidovici. Cette sculpture représentait, en effet, une jeune femme allongée dans la neige, dont le visage, identique à celui de l’héroïne de la photographie, présentait la même expression. À ses côtés, se tenait également un petit cochon, portant à son cou un tonneau de Saint-Bernard. Certes, on pouvait relever quelques différences entre le visuel et la sculpture. Dans celle-ci, des pingouins accompagnaient le cochon et des fleurs agrémentaient son cou ainsi que les lunettes de la jeune femme. Et surtout, cette dernière était, dans la sculpture, vêtue d’une robe en résille laissant voir sa poitrine et non pas, comme dans le visuel, d’une veste d’hiver plus adaptée à la situation… Il n’en reste pas moins que « les éléments originaux de la photographie Fait d’hiver étaient reproduits par la sculpture2 ». Aussi, le 9 janvier 2015, M. Davidovici, conseillé par Me Jean Aittouarès, a-t-il fait assigner devant le tribunal de Paris, en contrefaçon de ses droits d’auteur, Jeff Koons, le Centre Pompidou, ainsi que la société Flammarion qui avait édité un ouvrage représentant la sculpture en question.
Droit de reproduction
L’auteur d’une œuvre de l’esprit bénéficie sur celle-ci des droits de propriété intellectuelle à condition qu’elle soit originale. Et pour qu’elle soit originale, il faut qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son créateur. En cas de litige, c’est à l’auteur qu’il appartient de déterminer en quoi consiste cette originalité. En l’occurrence, M. Davidovici explique qu’il a « réalisé la confrontation totalement inhabituelle d’une jeune femme évanouie ou alanguie dans la neige, dont s’approche un petit cochon réel avec à son cou un tonneau de chien Saint-Bernard ». Il ajoute que « les cochons ne sont pas connus pour se porter au secours des victimes d’avalanches, à la différence des chiens de race Saint-Bernard ». Le tribunal a admis le bien-fondé de ce commentaire et a donc considéré que cette composition était originale. Or, parmi les droits dont bénéficie l’auteur d’une œuvre originale figure le droit de reproduction. Et ce droit interdit de reproduire cette œuvre sans l’accord de cet auteur ou de ses ayants droit. Quiconque passe outre à cette interdiction commet, en principe, le délit de contrefaçon3. Le code de la propriété intellectuelle dispose, en effet, « qu’est un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur […] ». Le tribunal a considéré que, en l’occurrence, « la contrefaçon était constituée », puisque « les éléments originaux de la photographie Fait d’hiver étaient reproduits par la sculpture ». Aussi, a-t-il, comme on l’a dit, condamné Jeff Koons pour contrefaçon.
Parodie
Pour échapper à la condamnation, Jeff Koons a invoqué l’exception de parodie. Le code de la propriété intellectuelle prévoit, en effet, que « l’auteur ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature ». Selon la jurisprudence, la parodie doit présenter deux caractéristiques essentielles. Il faut, d’une part, qu’elle évoque une œuvre existante et, d’autre part, qu’elle constitue une manifestation d’humour ou de raillerie. Le tribunal de Paris a considéré que la première condition impose que le public concerné « connaisse cette œuvre existante, le mot évoquer devant être ici compris au sens de remémorer ». Or, en l’occurrence, compte tenu de « l’absence de notoriété de la photographie prétendument parodiée », force est d’admettre que cette condition n’est pas remplie. Les juges n’ont donc pas retenu l’exception de parodie.
Liberté d’expression
Jeff Koons invoque enfin la liberté d’expression qui est garantie par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme. Certes, cette liberté d’expression est nécessairement limitée par la protection des droits d’auteur. Encore faut-il que les restrictions qu’impose cette protection à cette liberté « soient nécessaires et répondent à un besoin impérieux ». Jeff Koons fait état d’un courant jurisprudentiel qui, sur le plan européen, renforce, de nos jours, la liberté d’expression artistique. C’est ainsi qu’il est admis que les artistes dits « appropriationnistes » puissent « reprendre en tant que matière première une œuvre préexistante qu’ils transforment de manière licite dans un but et une signification complètement différents de l’œuvre antérieure ». Telle serait la démarche de Jeff Koons qui « soutient avoir ainsi transformé le visuel initial en y ajoutant des fleurs et deux pingouins, symboles de printemps et de vie, et en changeant la tenue de la jeune femme, laquelle, dans la sculpture, revêt la robe portée par une célèbre actrice pornographique et femme politique italienne, connue sous le nom de La Cicciolina. La composition prendrait ainsi un tout autre sens, non plus celui de la peur de ce qui va arriver à la jeune femme, qui serait celui de la photographie, mais celui de la confiance que chacun doit avoir dans ses propres goûts ». Le tribunal de Paris n’a pas suivi l’artiste américain dans cette voie. Et il a considéré que la reprise de la photographie lui avait surtout permis « de faire l’économie d’un travail créatif ». Aussi l’a-t-il, comme on l’a dit, condamné pour contrefaçon.
1 TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 8 novembre 2018, RG n° 15/02536. Au total, la condamnation s’élève à 218 000 € plus les dépens, dont 120 000 € pour Jeff Koons, 68 000 € pour le Centre Pompidou qui a exposé la sculpture litigieuse, 16 000 € pour la société Flammarion qui l’a reproduite et 14 000 € pour la Fondation Prada qui en est le propriétaire.
2 Texte du jugement du tribunal de Paris.
3 Sauf si l’auteur est mort depuis plus de 70 ans.