Chronique du droit de l’art : « Tintin a-t-il le droit de séduire ? Les limites de l’exception de parodie »

Xavier Marabout, Nuit d'été, 2016.

Xavier Marabout, Nuit d'été, 2016. © Xavier Marabout

Une récente décision obtenue par les ayants droit d’Hergé distingue les conditions d’application de l’exception de parodie, autorisée, de celles de la contrefaçon de droit d’auteur, interdite. L’exercice est difficile car la frontière est poreuse et les critères subjectifs.

Dans cette affaire, l’artiste Xavier Marabout prétend, selon ses termes, « marabouter » des éléments de sa vision de la société et de sa propre culture. L’artiste a ainsi projeté le célèbre reporter dans une vie adulte, s’interrogeant notamment sur sa vie amoureuse. Ses œuvres consistent à mettre en scène le personnage et ses comparses habituels dans des situations inspirées des toiles du peintre américain Edward Hopper. Point ­important, les œuvres étaient nombreuses et proposées à la vente.

Contrefaçons ou parodies ?

La société Moulinsart, titulaire des droits d’auteur d’Hergé, considérait qu’il s’agissait d’adaptions et de reproductions non autorisées d’éléments extraits de l’œuvre d’Hergé. Elle assignait en contrefaçon de droit d’auteur et, subsidiairement, sur le fondement du parasitisme devant le tribunal judiciaire de Rennes. Xavier Marabout opposait l’exception de parodie, prévue par l’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle. La jurisprudence européenne en a précisé les critères dans sa décision Deckmyn en 2014 : la parodie doit évoquer l’œuvre préexistante, tout en présentant des différences perceptibles, et constituer une manifestation d’humour ou de raillerie. 

Premier jugement

Le 10 mai 2021, le juge de première instance rejette la demande des ayants droit d’Hergé. Il s’est orienté vers une appréciation plus souple de l’exception de parodie voire vers une exception d’usage transformatif. À l’inverse, la cour d’appel de Rennes constate une contrefaçon. Dans son arrêt du 4 juin 2024, elle rappelle les conditions ­essentielles pour caractériser une exception de parodie et l’équilibre qui doit être trouvé entre liberté d’expression et respect des droits d’auteur.

Xavier Marabout, En motocyclette dans le Vernon, 2016.

Xavier Marabout, En motocyclette dans le Vernon, 2016. © Xavier Marabout

La nécessaire évocation de l’œuvre préexistante

Puisque Xavier Marabout met en scène les personnages des Aventures de ­Tintin dans des univers issus des toiles ­d’Edward Hopper, il ne faisait aucun doute que les peintures litigieuses évoquaient une voire deux œuvres préexistantes. Et il existait une distanciation suffisante de ces œuvres, avec des différences perceptibles. Les juges, tant en première instance qu’en appel, ont en effet relevé le changement de format et de genre – les bulles deviennent des toiles –, l’ajout d’éléments, la signature visible du peintre ainsi que le changement de sens donné à l’œuvre d’Hergé. L’artiste questionnait la vie sentimentale de ­Tintin via ses œuvres.

La difficile interprétation d’une manifestation d’humour et de raillerie

La Cour de cassation retient que c’est la poursuite d’une intention humoristique qui permet à la parodie d’échapper au contrôle de l’auteur parodié. Et c’est l’application de ce critère dans notre affaire qui paraît maladroite. La question était de déterminer si Marabout avait la volonté de faire rire – critère objectif –, et non pas de déterminer s’il était drôle – critère subjectif. Or, les juridictions semblent avoir voulu déterminer si ­Tintin érotisé fait sourire. Le tribunal a jugé que « l’effet humoristique est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin ». Il élargissait alors le champ de l’exception de parodie et offrait aux défendeurs un nouveau moyen de défense. Il leur suffisait de démontrer une forme quelconque, même minime, d’humour pour justifier de leur intention. Un simple sentiment d’humour semblait donc satisfaire ce critère. Et Xavier Marabout bénéficiait de cette exception de parodie.

L’intention humoristique en question

A contrario, la Cour n’a pas considéré que ce renversement des situations dans lesquelles Tintin était habituellement mis en scène suffisait à ­caractériser l’intention humoristique et de raillerie propre à la parodie. Cette exception au droit d’auteur, selon la Cour, exigerait une intention humoristique évidente et non un simple sourire intérieur. La Cour soutient que « le seul fait d’introduire dans ses œuvres, d’ailleurs sans outrance, des éléments puissants de sensualité ou disruptifs, ne peut pas être considéré comme procédant d’une intention humoristique ». Il nous semble qu’elle évalue ainsi l’humour de M. Marabout au lieu de se cantonner à caractériser son intention humoristique.

« La question était de déterminer si Marabout avait la volonté de faire rire – critère objectif –, et non pas de déterminer s’il était drôle – critère subjectif. »

La balance entre liberté d’expression et les droits de l’auteur parodié

L’exception de parodie trouve sa source dans les droits fondamentaux et plus particulièrement la liberté d’expression. Il ne peut en être fait exception que de manière restreinte. Mais le droit d’auteur, en tant que droit de propriété incorporelle, est lui aussi fondamental. Il appartenait donc aux juges de trouver un juste équilibre entre les deux. Cet équilibre est souvent mesuré au regard de l’atteinte disproportionnée ou non aux intérêts légitimes des ayants droit. La cour d’appel a jugé que le réarrangement d’une œuvre antérieure pouvait être justifié afin de porter une opinion ou un message permettant d’évoquer des sujets de société ou de rendre hommage à une personnalité. Mais s’interroger sur un Tintin devenu adulte n’est pas un sujet d’intérêt général. Et l’argument de l’hommage avancé par Xavier Marabout n’était semble-t-il pas suffisant. La Cour ne s’est d’ailleurs pas limitée à rechercher un équilibre entre ces droits.

Une démarche commerciale problématique

Un nouveau critère aurait été pris en compte : l’ampleur de la démarche commerciale de l’artiste. La cour d’appel a constaté que la production et la vente d’une série de trente-neuf tableaux sur huit années, qui plus est reprenant les univers de deux artistes de grande notoriété, « une double référence particulièrement attractive », n’était pas une parodie, isolée et limitée, mais répétée voire systématique qui constitue un abus de la liberté d’expression. Implicitement, elle constate ainsi que l’objectif commercial évince l’intention humoristique. Xavier Marabout a finalement été condamné pour contrefaçon de droit d’auteur et parasitisme. La parodie ne peut donc constituer un hommage de nature à détourner la notoriété dans un but commercial. Un appel serait envisagé.