Le livre de la semaine : « De la poudre aux yeux », Maurice Quentin de La Tour, pastelliste de génie
Xavier Salmon publie chez Cohen & Cohen une monumentale monographie, spectaculairement illustrée, à la gloire de ce pastelliste d’élite, personnage à la fois excentrique et emblématique des Lumières par sa pétulance, sa générosité et sa soif de connaître.
Nombreux sont ceux qui se souviennent, sans doute, des billets de 50 francs à l’effigie d’un Maurice Quentin de La Tour au sourire ambigu et à la toque imposante. Cet hommage adressé à un maître très apprécié des amateurs, mais qui ne compta jamais parmi les artistes « populaires », paraîtrait désormais incongru par son élitisme. Bien que Chardin (autre sérieux candidat au titre de prince des pastellistes, en dépit d’une production parcimonieuse) ait récemment confirmé son statut de « multimillionnaire » du marché de la peinture, l’intérêt passionné du public pour l’héritage du XVIIIe siècle, cet autre Grand Siècle français, ne cesse, en effet, de donner des signes d’érosion.
De rares parutions
Il existe ainsi un contraste flagrant entre la régularité de la parution des monographies à propos du maître de Saint-Quentin, favorisée par un regain d’intérêt pour le XVIIIe siècle qui s’accélère vers 1850 (les frères Goncourt, qui publièrent une étude importante sur de La Tour en 1867, en furent à la fois les acteurs et le signe), et leur rareté après 1930. Bien qu’il ne contienne pas stricto sensu de catalogue de l’œuvre de l’artiste (celui publié en ligne par Neil Jeffares, tout récemment, l’aurait rendu redondant), le présent livre a donc vocation à combler le siècle écoulé depuis le La Tour : la vie et l’œuvre de l’artiste d’Albert Besnard et Georges Wildenstein (1928)1. On n’en conclura pas que l’artiste avait cessé d’intéresser les historiens jusqu’à ces dernières années, au contraire. Le musée de Saint-Quentin a bien défendu la mémoire de son grand homme. Par ailleurs, de La Tour, pastelliste de la ville et de la cour, était revenu, posthumément, au château de Versailles pour « Le voleur d’âmes, Maurice Quentin de La Tour » (2004), séduisante exposition placée sous le commissariat de Xavier Salmon, lequel eut, par la suite, à traiter souvent de notre artiste, comme dans son catalogue des pastels du Louvre (XVIIe-XVIIIe siècles) paru en 2018.
« On suit ainsi, de son apprentissage à sa déchéance dans la démence, ce perfectionniste attachant et tragique. »
Au plus près du personnage
Rendant compte des découvertes (archivistiques, notamment) qui font mieux connaître la trajectoire de l’homme et de l’artiste, cette monographie maîtrisée, riche et solide, a d’abord le mérite d’appréhender le personnage au plus près, « à hauteur de XVIIIe siècle ». On suit ainsi, de son apprentissage à sa déchéance dans la démence, ce perfectionniste attachant et tragique. Portraitiste à la recherche d’une ressemblance inconditionnelle, de La Tour se révolta contre l’impermanence même de la plus subtile des techniques du dessin où il était passé maître, le pastel, consistant à saisir le réel sur le vif au moyen de poudres colorées après l’avoir scruté avec un œil perspicace. Avant même de l’avoir lu, le premier effet de ce livre chatoyant est d’adresser une invitation irrésistible. On déambule avec bonheur au milieu de ces physionomies d’hommes et de femmes qui semblent nous considérer, en retour, avec acuité comme s’ils étaient nos contemporains.
1 Signalons tout de même Maurice Quentin de La Tour : prince des pastellistes de Christine Debrie et Xavier Salmon, déjà (2000).
Xavier Salmon, Maurice Quentin de La Tour. L’Œil absolu, Cohen & Cohen, 2024, 623 p., 160 €