![Diagnostics archéologiques à Marquion (Pas-de-Calais), sur le canal Seine-Nord Europe, 2009. © Denis Gliksman, Inrap](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/06/visuel-Demoule-archeologie-preventive.jpg)
Les 4 et 5 avril 2024, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a déclaré à l’occasion des travaux de restauration du château de Dampierre dans les Yvelines, « qu’il ne faut pas faire des fouilles pour se faire plaisir » et qu’elle préférait « mettre de l’argent dans la restauration du patrimoine plutôt que de creuser un trou pour un trou ». Elle précisait en même temps sur le réseau social X (anciennement Twitter) qu’elle souhaitait que ne soient retenues que « les prescriptions archéologiques indispensables » et que soient possibles « des dérogations pour les prescriptions archéologiques ».
Ces déclarations ont évidemment suscité de nombreuses réactions, dont une tribune d’archéologues dans le journal Le Monde du 13 avril suivant, mais aussi un éditorial cinglant de la rédaction d’Archéologia.
La ministre était-elle « trypophobe » ?
Laquelle s’est en particulier demandée, prenant la ministre au mot, si celle-ci n’était pas « trypophobe », c’est-à-dire allergique aux trous. Interrogation qui n’est pas passée inaperçue, puisqu’une quinzaine de médias a repris l’information, de Télérama à BFM TV et du Figaro à Sciences et Avenir. La conférence des conservateurs régionaux de l’archéologie (CRA), bras armé du ministère de la Culture en région, s’est tout autant émue devant un tel désaveu de la part de son ministre de tutelle. Aussi le cabinet de la ministre, pris de court, s’est-il efforcé de limiter les dégâts, plaidant une phrase « maladroite » et organisant en catastrophe une visite dans le dépôt de fouille de l’Inrap où sont conservés pour l’instant les fragments du jubé médiéval peint découvert lors des travaux de restauration de Notre- Dame – découverte qui n’a pu être que partielle, le général, responsable de la remise en état du monument, s’étant opposé à toute fouille complète pour cause de délais à respecter. Ce fut l’occasion pour la ministre, qui dit avoir été mal comprise par les journalistes, de louer, toujours sur son compte X et photos à l’appui, le « formidable travail des archéologues autour de vestiges recueillis lors des fouilles menées sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris. L’excellence scientifique de nos archéologues fait la fierté de notre pays. »
Un contexte inquiétant
Fin, donc, de l’épisode ? Mais n’était-ce à l’origine que des propos impulsifs d’une ministre qui, comme cela est normal lorsque l’on accède à une nouvelle responsabilité, n’était pas encore au fait de tous ses dossiers ? Le problème est que le dit épisode n’est pas arrivé seul. On se souvient sans doute qu’en 2023 plusieurs dizaines de menhirs, révélés par un sondage de l’Inrap à proximité des célèbres alignements de Carnac, étaient détruites par l’installation d’un magasin de bricolage, avec l’aval de la mairie. Que durant les congés de Noël 2023-2024, une entreprise de terrassement creusait une tranchée le long de Notre-Dame de Paris sans la présence, obligatoire, d’archéologues. Qu’à peu près en même temps l’architecte des monuments historiques responsable du parc de Versailles prétendait (heureusement en vain), sous prétexte de l’urgence des Jeux olympiques, se passer des prescriptions archéologiques, lesquelles ont néanmoins – comme au château de Dampierre – permis de retrouver le tracé des jardins disparus, en l’occurrence ceux de Le Nôtre. Qu’en janvier dernier le député des Alpes- Maritimes Éric Ciotti faisait annuler par le préfet l’arrêté de prescriptions archéologiques sur les travaux de terrassement dans la vallée de la Vésubie, arrêté qualifié par lui de « grotesque et ridicule, rédigé par des technocrates déconnectés des réalités ». À Vannes enfin, alors que les fouilles ont retrouvé à côté du musée le château des ducs de Bretagne du XIVe siècle, dit de l’Hermine, la municipalité interdit toute communication et souhaite le réenfouir et construire par-dessus l’auditorium du musée – un paradoxe et une affaire à suivre.
Une exigence de « simplification »
Ces incidents à répétition ont lieu dans un contexte où les autorités de l’État affichent une exigence de « simplification ». De manière significative, l’un des médias d’information quotidienne des collectivités locales, Maire-Info, détaillant en avril 2024 les implications pour les élus des mesures annoncées de simplification administrative, remarquait que l’archéologie préventive n’y figurait pas, mais relatait néanmoins les propos mal acceptés de la ministre à ce sujet.
Jean-Paul Demoule
Ancien président-fondateur de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap)
Professeur émérite à l’université de Paris I et à l’Institut universitaire de France
www.jeanpauldemoule.com/blog
Twitter : @JPDemoule
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Tribune à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 632 (juin 2024)
L’archéologie à la conquête du cheval
81 p., 11 €.
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