Après le succès rencontré l’été dernier par l’invitation lancée au musée d’Orsay d’exposer ses plus beaux autoportraits au Puy-en-Velay, le musée Crozatier ouvre cette année ses cimaises au Centre Pompidou. L’institution parisienne, qui fermera ses portes en 2025 pour travaux, prête une sélection d’œuvres afin d’aborder l’art moderne et contemporain par le prisme de son rapport à la ruralité. Offrant un contrepoint à la prédominance des thématiques urbaines dans les mouvements artistiques du début du XXe siècle, l’exposition donne à voir en plus de 70 œuvres les métamorphoses du monde rural à travers l’art de 33 peintres et photographes, de Georges Braque à Joan Mitchell, en passant par Marc Chagall, Raoul Dufy, Vassily Kandinsky ou encore Kasimir Malevitch.
Cheval blanc pour campagne rouge
À partir de 1928, après s’être imposé comme l’une des figures de l’abstraction radicale, Kasimir Malevitch (1879-1935) renoue avec la figuration en consacrant plusieurs toiles au monde rural. Cette rupture intervient dans un contexte de durcissement de la politique culturelle de Staline, qui vient désormais menacer les artistes d’avant-garde. « Je suis resté du côté des paysans et je peins dans le style primitif », martèle alors le peintre, inquiet des projets du pouvoir soviétique envers le monde rural. Constituant une charge violente à l’égard du stalinisme, ce Cheval blanc dépeint un homme privé de bras, prisonnier d’une camisole à la couleur rouge évocatrice. Bien que figurative, l’œuvre reste fidèle aux principes du suprématisme chers à l’artiste : synthétisme des formes et aplats monochromes.
Sous l’œil de Cérès
C’est à la fin des années 1920 que Raoul Dufy (1877-1953) se prend de passion pour les sujets ruraux. Entre 1933 et 1936, trois étés passés à Langres lui fourniront notamment l’occasion de mettre sa palette libre et colorée au service de l’exploration du thème des moissons. Cette grande toile exécutée au soir de sa vie témoigne de son attachement durable à la ruralité : il y donne à voir un dépiquage, activité visant à séparer la paille du grain. Laissée inachevée à la mort de l’artiste, cette œuvre ensoleillée fait cohabiter la réalité contemporaine du monde agricole avec la figure allégorique de Cérès, déesse des moissons, trônant au premier plan de la scène.
Les Champs de Joan Mitchell
Figure de l’expressionnisme abstrait américain vivant entre Paris et New York, Joan Mitchell (1925-1992) emménage en 1967 près de Giverny. Elle affirmera cependant toujours avoir été davantage influencée par Cézanne et Van Gogh que par Monet, même si une grande exposition les faisait récemment dialoguer à la Fondation Louis Vuitton. Intitulée Champs, une série évoque les paysages ruraux de la Normandie. Plutôt que de chercher à reproduire fidèlement la nature, l’artiste s’attache ici à capturer une émotion, une réminiscence. Son approche picturale se caractérise par des gestes expressifs déployés sur de vastes toiles, superposant de larges couches de peinture aux couleurs intenses : bruns terreux, verts vifs, roses et bleus…
Transhumance auvergnate
Certains ont une tête, d’autres n’en ont pas. Tous sont montés sur roulettes. Parés de peaux de moutons, les vingt-quatre ovins imaginés par François-Xavier Lalanne (1927-2008) entendent abolir les frontières entre la sculpture, le design et l’installation, proposant avec humour un autre rapport à la campagne : pensés comme des sièges, ils peuvent être agencés différemment en fonction des expositions. Leur transhumance auvergnate leur permet d’entrer en résonnance avec les œuvres du sculpteur néoclassique Pierre Julien, qui œuvra pour Marie-Antoinette à la laiterie du château de Rambouillet.
Olivier Paze-Mazzi
Catalogue de l’exposition
À travers champs
Modernité et ruralité dans la collection du Centre Pompidou
144 p., 24 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.com
« À travers champs. Modernité et ruralité dans la collection du Centre Pompidou »
Jusqu’au 5 janvier 2025 au musée Crozatier
2 rue Antoine Martin, 43000 Le Puy-en-Velay
Tél. 04 71 06 62 40
www.musee.patrimoine.lepuyenvelay.fr