C’est dans la pittoresque cité médiévale de Brioude, au cœur de l’Auvergne, qu’une remarquable exposition est actuellement consacrée à l’œuvre polymorphe de Hans Hartung (1904-1989). Depuis Leipzig où il est né, jusqu’à Antibes où il a terminé sa vie, l’artiste se dévoile ici au gré de soixante-dix œuvres exceptionnellement prêtées par la Fondation Hartung Bergman d’Antibes.
Juillet 2018. La commune de Brioude (Haute-Loire) est en effervescence : après avoir bénéficié d’une restauration d’envergure, l’hôtel particulier du Doyenné rouvre grand ses portes. Transformé en Espace d’art moderne et contemporain grâce à la ténacité du maire de l’époque et de l’éminent historien de l’art Jean-Louis Prat, ce lieu chargé d’histoire accueillera désormais chaque été une exposition monographique consacrée aux plus grands artistes du XXe siècle. Après Marc Chagall, Joan Miró, Nicolas de Staël, Pablo Picasso et Ernest Pignon-Ernest, c’est donc à Hans Hartung que le Doyenné consacre ses cimaises. L’exposition est le fruit d’un étroit partenariat noué avec la Fondation Hartung Bergman d’Antibes, qui prête les soixante-dix peintures, dessins et documents d’archives.
Un accrochage signé Jean-Louis Prat
Jean-Louis Prat, bien connu des amateurs d’art moderne puisqu’il fut pendant 35 ans directeur artistique de la Fondation Maeght, a une fois de plus conçu un accrochage saisissant de beauté et de cohérence pour rendre hommage au peintre, à son existence traversée par les drames et les succès, comme à sa fascinante capacité à se réinventer… Car le commissaire d’exposition, qui a côtoyé l’artiste durant les vingt dernières années de sa vie, entend ici « rendre compte de son cheminement vers l’excès et le lâcher-prise du geste, depuis la jeunesse jusqu’à la mort ».
L’évidence de l’abstraction
S’il admire profondément les maîtres des siècles passés (tout particulièrement Francisco de Goya et Rembrandt), le jeune homme, qui se forme à l’Académie des beaux-arts de Leipzig, à l’École des beaux-arts de Dresde puis à l’Académie des beaux-arts de Munich, se laisse très tôt envoûter par les possibilités offertes par l’art abstrait. « Cet abandon du figuratif m’est venu tout simplement, naturellement, confie-t-il, comme une évidence, tout à fait contrairement à ce qui s’était passé chez les abstraits russes, hollandais, italiens ou français dont l’art a presque toujours été le fruit d’une volonté de rupture avec le passé et d’une démarche surtout intellectuelle. » Dans les années 1930, le langage formel de l’artiste, conjuguant larges barres, taches, griffures et traits entortillés, évolue au gré des coups durs : la mort de son père en 1932, la vie de misère à Minorque, les démêlés avec la Gestapo en 1935, le divorce avec Anna-Eva Bergman en 1938…
À l’épreuve de la guerre
Aussi déterminé dans ses recherches esthétiques que dans son engagement politique, Hartung choisit en 1939 d’intégrer la Légion étrangère plutôt que de rejoindre les rangs de l’armée allemande. Après la capitulation, il s’installe dans le Lot avec sa nouvelle épouse, Roberta González, et son père, le talentueux sculpteur Julio González. Tous les trois vivent alors dans une grande précarité mais continuent à réaliser quelques œuvres graphiques, profondément marquées par l’influence de Picasso et l’effroi suscité par la guerre. Ces quelques mois de compagnonnage précèdent pourtant la tempête : contraint de fuir en Espagne, interné au camp de Miranda, puis forcé à rejoindre la Légion étrangère, Hartung est grièvement blessé le 20 novembre 1944 et doit être amputé. De retour à Paris l’année suivante, il se remet pourtant courageusement au travail…
Une liberté absolue
Inlassablement, l’artiste poursuit ses explorations et s’impose comme l’un des maîtres de l’abstraction lyrique. Par sa recherche d’expression pure et d’intense liberté, il contribue à replacer Paris au premier rang de la scène artistique mondiale, aux côtés de Pierre Soulages, Georges Mathieu, Jean-Paul Riopelle ou Jean Arp. « Ce qui m’importe c’est de ne me laisser enfermer ni par les autres ni par moi-même, affirme-t-il. De rester entièrement libre de changer de faire autre chose, même si ma nouvelle manière risque de trouver moins d’écho que la précédente. » Réalisées après son remariage avec Anna-Eva Bergman en 1952, ses huiles sur toile et œuvres sur papier séduisent par leur apparence très gestuelle et spontanée. Elles sont pourtant le résultat d’une patient travail d’élaboration minutieusement maîtrisé.
Un éternel pionnier
Hartung, qui ne cesse de conforter sa notoriété auprès des galeristes, collectionneurs et musées du monde entier, obtient en 1960 le Grand prix international de peinture à la Biennale de Venise, puis bénéficie en 1969 d’une grande rétrospective au musée national d’Art moderne de Paris. La spontanéité et l’improvisation gagnent dès lors le processus créatif du peintre qui n’hésite pas à s’emparer d’outils et de matériaux inédits pour gratter, pulvériser, brosser, rayer la matière. À l’emploi de peintures industrielles vinyliques, s’ajoutent les pistolets à air comprimé, balais de branches de genêt et autres rouleaux de lithographie. Sa palette évolue aussi sous l’influence du Pop art, s’enrichissant de jaune citron, de rouge vermillon ou de bleu cobalt. Ce phénomène gagne encore en ampleur lorsque le désormais mythique couple Hartung/Bergman s’installe dans leur villa-atelier d’Antibes : plus prolifique que jamais, le peintre, entouré d’assistants, explore avec bonheur le grand format. Jusqu’à la fin de sa vie, il concrétise ainsi son ultime ambition : « accomplir ce qui est démesuré ».
Myriam Escard-Bugat
« Hans Hartung. Une liberté salutaire »
Jusqu’au 13 octobre 2024 au Doyenné – Espace d’art moderne et contemporain
Place Lafayette, 43100 Brioude
Tél. 04 71 74 51 34
ledoyenne-brioude.fr