La tyrannie du cerveau décryptée par Jean-Jacques Hublin

Dans son dernier livre, le professeur au Collège de France à la chaire de « paléoanthropologie », Jean-Jacques Hublin, développe une approche originale de la Préhistoire, démontrant avec brio que la construction de sa propre niche écologique par l’humanité s’est accompagnée de celle d’une « niche neurale » puis d’une « niche cognitive », qui nous singularisent parmi les primates.

Propos recueillis par Romain Pigeaud 

Un cerveau de plus en plus gourmand en énergie a nécessité le développement de nouvelles conditions sociales et économiques qui, en retour, ont contribué à le façonner. Cette boucle sans fin a fait de nous les maîtres de la Terre mais a aussi malheureusement entraîné les problèmes environnementaux que nous connaissons. Avec l’esprit caustique qui le caractérise, Jean-Jacques Hublin en profite aussi pour se moquer des clichés qui brouillent notre vision des sociétés paléolithiques, traquant approximations et effets de mode. Un exercice salutaire, servi par un style net et précis, sans jargon inutile, abreuvé aux meilleures sources.

Selon vous, l’évolution humaine est une longue boucle d’interactions entre le comportemental et le biologique. Faut-il réécrire la Préhistoire selon cet angle ?

Les hominines se sont engagés dans une modification de leur environnement au bénéfice de leur succès adaptatif. Ce processus a suivi les voies de la technologie et de la complexité sociale, mais a aussi profondément affecté notre biologie. Comprendre l’évolution humaine, c’est saisir cette interaction permanente. Les transformations des sociétés du passé n’ont pas uniquement résulté de choix culturels : elles ont longtemps dépendu des ressources disponibles, de la démographie ou de l’économie, autant de facteurs qui ont aussi affecté notre génome.

« La vie, c’est de l’énergie », écrivez-vous. Le sevrage précoce de l’enfant et la nécessité de combler autrement ses besoins énergétiques pèsent sur ses stratégies de communication. Est-il vrai, comme vous l’affirmez, que « ce sont nos enfants qui nous ont rendu véritablement humains » ?

Les exigences énergétiques de notre gros cerveau ont nécessité une profonde évolution des modes de développement chez les hominines. De ce point de vue nous sommes uniques au sein des primates. La croissance des enfants nécessite en particulier l’engagement d’autres adultes que leur mère et l’établissement de réseaux de partage de la nourriture. C’est une donnée fondamentale des sociétés humaines et l’origine de nos capacités incroyables à tisser des liens avec autrui en apprenant très tôt à déchiffrer leurs intentions et leurs attentes.

Cette « tyrannie » énergétique du cerveau aurait baissé avec la complexification des sociétés humaines. Comment peut-on expliquer ce phénomène ?

Notre cerveau est un organe très coûteux en termes d’énergie. L’établissement de sociétés complexes marquées par la division des tâches, et donc par un éparpillement des compétences, explique peut-être la diminution de taille du cerveau au cours des derniers millénaires. Le fait que nous avons appris à externaliser notre mémoire sur des supports matériels sous forme de symboles et de codes peut aussi avoir joué un rôle.

La tyrannie du cerveau. Un nouveau récit de l’évolution humaine, 2024, Jean-Jacques Hublin, Paris, Robert Laffont, 320 p., 21 €