Un rarissime portrait de Rimbaud par Verlaine affole les enchères

Paul Verlaine (1844-1896), Portrait d’Arthur Rimbaud, juin 1872 (détail). Dessin à la plume et encre brune sur papier, titré, daté, et monogrammé « P.V. », 12,7 x 9,9 cm. Vente Tessier & Sarrou, 2 décembre 2024. Estimé : 100 000/200 000 €. Adjugé 585 000 € (frais inclus).

Paul Verlaine (1844-1896), Portrait d’Arthur Rimbaud, juin 1872 (détail). Dessin à la plume et encre brune sur papier, titré, daté, et monogrammé « P.V. », 12,7 x 9,9 cm. Vente Tessier & Sarrou, 2 décembre 2024. Estimé : 100 000/200 000 €. Adjugé 585 000 € (frais inclus). © Tessier & Sarrou

Il s’agit en apparence d’un modeste croquis à l’encre brune d’une dizaine de centimètres de haut. Mis à l’encan le 2 décembre dernier à Drouot chez Tessier & Sarrou, il a pourtant presque triplé son estimation basse pour culminer à 585 000 € (frais inclus) ! Il faut dire que ce portrait d’Arthur Rimbaud (1854-1891) esquissé par son amant Paul Verlaine (1844-1896) cristallise à lui seul la sulfureuse et tumultueuse relation qu’ont entretenue les deux poètes maudits…

Lorsque le jeune Rimbaud âgé de seulement 16 ans entre dans la vie déjà troublée de Verlaine, en septembre 1871, ce dernier a dix ans de plus, une femme et un enfant. De Paris à Londres en passant par Bruxelles, ils vont entretenir une relation passionnelle et destructrice sur fond d’absinthe, de scandale, de violence, de génie…

« Il y eu en Verlaine, au début de sa carrière, un grand dessinateur généralement ignoré, s’ignorant lui-même. »

Félix Régamey, Verlaine dessinateur, H. Floury libraire-éditeur, 1896.

Deux balles de revolver

Ce tumultueux épisode, on le sait, s’achève brutalement le 10 juillet 1873 dans la capitale belge : lors d’une énième dispute, Verlaine, effrayé à l’idée de voir s’éloigner son « époux infernal », tire sur lui deux balles de revolver. La blessure est certes superficielle et Rimbaud retirera sa plainte, mais Verlaine passera un an et demi en prison…

Henri Fantin-Latour (1836-1904), Un coin de table (détail figurant Verlaine et Rimbaud), 1872. Huile sur toile. Paris, musée d’Orsay.

Henri Fantin-Latour (1836-1904), Un coin de table (détail figurant Verlaine et Rimbaud), 1872. Huile sur toile. Paris, musée d’Orsay. © Wikimedia Commons

Un précieux souvenir

Malgré leur rupture, Verlaine s’est attaché à faire connaître l’œuvre de son amant d’hier. Il fait ainsi publier chez Léon Vanier en 1895, quelques mois avant sa mort, les Poésies complètes de Rimbaud. C’est pour le frontispice de cet ouvrage qu’il choisit (et réalise peut-être) ce croquis qui, après avoir appartenu à Madame Vanier et au collectionneur Paul-Annick Weiller, faisait partie de la collection d’Hugues Gall, directeur de la fondation Claude Monet disparu en mai dernier. En quelques traits de plume le poète, esquisse de mémoire la silhouette élancée de l’adolescent, cheveux longs, mains dans les poches, pipe à la bouche et l’air désinvolte. L’auteur des Poèmes saturniens prend soin d’apposer ses initiales et la mention « juin 1872 », une date qui évoque vraisemblablement l’acmé de leur passion.

Paul Verlaine (1844-1896), Portrait d’Arthur Rimbaud, juin 1872. Dessin à la plume et encre brune sur papier, titré, daté, et monogrammé « P.V. », 12,7 x 9,9 cm. Vente Tessier & Sarrou, 2 décembre 2024. Estimé : 100 000/200 000 €. Adjugé 585 000 € (frais inclus).

Paul Verlaine (1844-1896), Portrait d’Arthur Rimbaud, juin 1872. Dessin à la plume et encre brune sur papier, titré, daté, et monogrammé « P.V. », 12,7 x 9,9 cm. Vente Tessier & Sarrou, 2 décembre 2024. Estimé : 100 000/200 000 €. Adjugé 585 000 € (frais inclus). © Tessier & Sarrou

« N’est-ce pas bien « L’Enfant Sublime » […]. Un Casanova gosse mais bien plus expert ès aventures […]. Et ce dédain tout viril d’une toilette inutile à cette littérale beauté du diable ! »

Paul Verlaine, Les Poètes maudits, 1884

Un portrait iconique

Ce dessin est d’autant plus précieux que les archives rimbaldiennes, et en particulier les portraits, sont d’une extrême rareté. La même année, les deux poètes sont immortalisés côte à côte sous le pinceau d’Henri Fantin-Latour, dans l’un de ses plus célèbres portraits de groupe conservé au musée d’Orsay. Il s’agit des effigies les plus connues du jeune poète de Charleville, après la fameuse photo d’Étienne Carjat que Verlaine lui-même commentait en ces termes dans Les Poètes maudits (1884) : « N’est-ce pas bien « L’Enfant Sublime » […]. Un Casanova gosse mais bien plus expert ès aventures […]. Et ce dédain tout viril d’une toilette inutile à cette littérale beauté du diable ! »

Étienne Carjat (1828-1906), Arthur Rimbaud, octobre 1871. Photographie.

Étienne Carjat (1828-1906), Arthur Rimbaud, octobre 1871. Photographie. © DR