Jacques Cordier à Trouville : l’étoile filante du paysage

Jacques Cordier (1937-1975), Berck par mauvais temps, 1967. Huile sur toile, 46 x 62 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier.

Jacques Cordier (1937-1975), Berck par mauvais temps, 1967. Huile sur toile, 46 x 62 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier. Photo service de presse. © Jean-Louis Chaix

Disparu à seulement 38 ans dans un accident de voiture, le dessinateur et peintre de paysage Jacques Cordier (1937-1975) n’a sans doute pas pu donner la pleine mesure de son talent. L’exposition que lui consacre la Villa Montebello à Trouville dévoile pourtant une cinquantaine de vues de mer qui happent immanquablement le regard. À rebours de toiles que Cordier peignait habituellement à Saint-Tropez, le parcours se concentre ici sur les œuvres réalisées durant ses séjours dans le Nord. Marchons sur ses traces, de Trouville à Anvers.

Deux ans après la belle exposition que le musée Massena de Nice consacrait à ses paysages du Sud et un an après la publication de son catalogue raisonné, sous la direction de l’historienne de l’art Marie-Isabelle Pinet, Jacques Cordier est donc à l’honneur sur les bords de la Manche, l’autre pôle de sa création.

Jacques Cordier (1937-1975), Par gros temps (Honfleur), vers 1966. Huile sur toile, 114 x 146 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier.

Jacques Cordier (1937-1975), Par gros temps (Honfleur), vers 1966. Huile sur toile, 114 x 146 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier. Photo service de presse. © Jean-Louis Chaix

Et la lumière fut

L’année 1966 marque, à plus d’un titre, un tournant pour Jacques Cordier. Pourtant bien décidé à se consacrer entièrement à son art, il épouse Simone Armando-Barbie, fille des propriétaires de l’hôtel de La Ponche, à Saint-Tropez. Installé avec elle sur la Côte d’Azur, il est ébloui par la lumière du Sud qui transforme son art. Il avait pourtant déjà séjourné dans le Var, mais l’on sent désormais sous son pinceau le bonheur de peindre et de partager sa vie avec Simone qui lui apporte un soutien sans faille. Devenue veuve, elle œuvrera inlassablement à la promotion de son œuvre et créera le Fonds de dotation Jacques Cordier, à l’origine du catalogue raisonné et des récentes expositions.

Jacques Cordier (1937-1975), Douvres, les falaises, 1971. Huile sur toile, 33 x 41 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier.

Jacques Cordier (1937-1975), Douvres, les falaises, 1971. Huile sur toile, 33 x 41 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier. Photo service de presse. © Jean-Louis Chaix

L’appel du Nord

Détenteur d’un professorat de l’école de dessin de la Ville de Paris, le jeune Cordier, qui a grandi dans la capitale, commence à exposer à la fin des années 1950 des encres de Chine et des huiles sur toile graphiquement affirmées immortalisant les quais de Seine. Dès 1960, il découvre la Méditerranée qui l’inspire, mais son voyage de noces l’entraîne déjà jusqu’aux ports du nord ; dès 1966, il participe à la biennale de Trouville.

Jacques Cordier (1937-1975), Chantier naval en Normandie, vers 1960. Encre de Chine et aquarelle sur papier, 50 x 65 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier.

Jacques Cordier (1937-1975), Chantier naval en Normandie, vers 1960. Encre de Chine et aquarelle sur papier, 50 x 65 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier. Photo service de presse. © Jean-Louis Chaix

Marie-Isabelle Pinet mène l’enquête

Sollicitée en 2020 par la veuve de Jacques Cordier, l’historienne de l’art a exploré les riches collections du Fonds de dotation comprenant quelque 500 tableaux, 400 œuvres graphiques et de nombreux documents d’archives. Cet indispensable travail scientifique a conduit, en 2023, à la publication du catalogue raisonné, aux éditions Skira. Accompagné d’une biographie bilingue français/anglais qui se parcourt comme un roman, ce dense catalogue classe par médium plus de 1 200 œuvres ! Ces recherches ont donné lieu à de nombreuses découvertes : Marie-Isabelle Pinet a notamment révélé que le peintre avait participé non pas à deux mais à quatre biennales de Trouville.

Jacques Cordier (1937-1975), Les Cabines, Ostende, 1973. Huile sur toile, 33 x 55 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier.

Jacques Cordier (1937-1975), Les Cabines, Ostende, 1973. Huile sur toile, 33 x 55 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier. Photo service de presse. © Jean-Louis Chaix

« Sa peinture parle pour lui, fort heureusement. Elle est gaie, sincère, honnête. Jacques Cordier exprime avant tout un amour de la couleur… des tons francs, hardis parfois, toujours vigoureux, mais sans que l’harmonie et le bon goût aient à souffrir, affirment ainsi une incontestable personnalité. »

Carton d’invitation au vernissage de l’exposition, galerie de la Palette bleue, Paris, 2 décembre 1960. Archives Cordier.

Prendre le large

En 1966, Cordier change brutalement de style et de point de vue : la palette s’éclaircit, la touche s’allège considérablement, et surtout, le paysagiste qui n’a jamais accordé de place à la figure humaine se détourne désormais des rues et des bâtiments pour se focaliser sur le grand large, la plage et ses parasols, la mer et ses voiliers… Une salle dédiée aux œuvres sur papier met en lumière cette profonde mutation. Odes à la lumière et à la couleur, les huiles sur toile admirablement déployées sur les cimaises de la ravissante Villa Montebello entrent en résonnance avec la mer que l’on admire depuis les fenêtres, horizon qui inspira tant l’artiste. Un éblouissement !

Jacques Cordier (1937-1975), La Pallice, 1966-1967. Huile sur toile, 33 x 55 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier.

Jacques Cordier (1937-1975), La Pallice, 1966-1967. Huile sur toile, 33 x 55 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier. Photo service de presse. © Jean-Louis Chaix

Sur les rives de la Manche

Très tôt apprécié par les collectionneurs privés et les galeristes qui lui consacrent des expositions en France, en Italie et aux États-Unis, Jacques Cordier voyage ; il demeure pourtant inlassablement attaché aux mêmes motifs, aux mêmes panoramas. Une section rassemble quelques vues du Sud saturées de couleurs pour mieux souligner la spécificité des recherches menées au bord de la Manche et jusqu’à Anvers. Explorant volontiers des accords chromatiques acidulés d’une grande audace, le peintre se lance aussi à la recherche du « gris parfait » dans une série de toiles d’une subtilité admirable.

Jacques Cordier (1937-1975), Berck Plage, 1970. Huile sur toile, 73 x 100 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier.

Jacques Cordier (1937-1975), Berck Plage, 1970. Huile sur toile, 73 x 100 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier. Photo service de presse. © Jean-Louis Chaix

« L’art est si long que, pour arriver à systématiser certains principes, qui au fond, régissent chaque partie de l’art, il faut la vie entière. »

Eugène Delacroix, Journal, 1859, 1er mars. Citation recopiée en lettres majuscules par Jacques Cordier dans un carnet.

Le XIXe siècle en héritage

L’arrière-petit-neveu du sculpteur Charles Cordier (1827-1905) ne prend pas son héritage à la légère. Les plus grands peintres de ce siècle foisonnant l’ont guidé dans son parcours, depuis Delacroix, dont il lit assidument le Journal, jusqu’aux postimpressionnistes qui lui inspirent ses chatoyantes compositions réalisées dans le Midi, en passant par les impressionnistes dont les œuvres nourrissent ses vues de la Manche (une dizaine de toiles d’Eugène Boudin et de ses confrères sont d’ailleurs déployées en introduction). Mais c’est aussi Turner, auquel il se confronte à Londres en 1970, qui l’amène à modifier en profondeur son style et à évoluer, à la fin de sa courte vie, vers de vastes horizons toujours plus éthérés et oniriques, à la lisière de l’abstraction…  

Jacques Cordier (1937-1975), L’Estuaire d’Anvers, 1973. Huile sur toile, 54 x 65 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier.

Jacques Cordier (1937-1975), L’Estuaire d’Anvers, 1973. Huile sur toile, 54 x 65 cm. Fonds de dotation Jacques Cordier. Photo service de presse. © Jean-Louis Chaix

« Jacques Cordier de Trouville à Saint-Tropez, héritage et contraste », jusqu’au 26 janvier 2025 à la Villa Montebello, 64 rue Général Leclerc, 14360 Trouville-sur-Mer. Tél. 02 31 88 16 26. www.trouville.fr

Catalogue, Cahiers du temps, 96 p., 22 €.

Marie-Isabelle Pinet, Jacques Cordier, catalogue raisonné, Skira, 304 p., 75 €.