L’édito de Jeanne Faton : « Le denier de Notre-Dame » 

Philippe de Champaigne (1602-1674), Le Denier de César, vers 1663-1664. Huile sur toile, 138,5 x 188 cm. Montréal, musée des Beaux-Arts.

Philippe de Champaigne (1602-1674), Le Denier de César, vers 1663-1664. Huile sur toile, 138,5 x 188 cm. Montréal, musée des Beaux-Arts. © DR

Chère lectrice, cher lecteur,

Comme régnait, au temps de la guerre de Troie, la discorde entre dieux et déesses du mont Olympe, la zizanie est entrée au royaume des cieux.

Sainte Barbe, patronne des sapeurs-pompiers éteignant les incendies qui ravagent les cathédrales, et saint Thomas, patron des architectes qui les restaurent ensuite, s’affrontent aux saints évêques et à saint Jacques le Majeur, patron des pèlerins. Des mitres, des crosses et des noms d’oiseaux ont même sifflé aux oreilles de Dieu le père, du Fils et de la Vierge Marie, troubles à l’ordre céleste que le Saint Esprit a bien du mal à faire cesser.

Faire payer l’entrée de Notre-Dame

La coupable ? Une mortelle encore ! La belle Hélène de la rue de Valois, Rachida Dati, notre ministre de la Culture. Elle a émis l’idée de faire payer l’entrée à Notre-Dame de Paris pour sauver les petites églises de France, souvent en péril, au grand dam de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, dont l’article 17 dispose que « la visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance ».

« Parmi les édifices les plus menacés, les églises en milieu rural, les églises du XIXe siècle et les synagogues d’Alsace. »

Préserver le patrimoine religieux

La ministre mérite pourtant un premier Ave Rachida : son souci de préservation du patrimoine religieux, répété dans un entretien accordé au Figaro le 23 octobre dernier, la différencie de sa prédécesseuse boute-en-train de bulldozers, Roselyne Bachelot, qui condamnait, sans état d’âme, nos églises de campagne à la destruction1.

Il met aussi l’accent sur le manque cruel d’argent pour protéger ce patrimoine – tant au niveau de l’État (si ce dernier avait eu les moyens d’entretenir sérieusement Notre-Dame, les alarmes auraient fonctionné correctement) que des communes ; plus de 40 000 édifices, encore affectés au culte, sont leur propriété, dont 15 000 seulement protégés au titre des Monuments historiques. Parmi les édifices les plus menacés, les églises en milieu rural, les églises du XIXe siècle et les synagogues d’Alsace2.

L'intérieur restauré de la cathédrale Notre-Dame après sa réouverture le 8 décembre 2024.

L'intérieur restauré de la cathédrale Notre-Dame après sa réouverture le 8 décembre 2024. © Photo12 / ABC / Eliot Blondet

Une idée incongrue ?

L’idée de Rachida serait-elle donc si incongrue qu’elle enflamme à ce point le bûcher des hérésies ?

Ses détracteurs arguent que la maison de Dieu doit être ouverte à tous (y compris aux mécréants qui pourraient y être frappés de divine épiphanie), qu’il ne pourrait y avoir d’entorse à la sacro-sainte loi de 1905, et qu’il s’agit peut-être d’un coup politique visant à rendre payant le patrimoine religieux au cœur de Paris, comme l’est déjà la Sainte-Chapelle désaffectée et entrée dans le giron des Monuments nationaux… Ses partisans leur opposent, entre autres, l’insuffisance et la méconnaissance des dispositifs d’aide existants, l’exemple payant de nombreuses églises italiennes ou espagnoles et la possibilité de mise en place à Notre-Dame d’un double dispositif de visite.

« Peut-être faudrait-il laisser à César ce qui est à César (l’entretien du patrimoine religieux) et à Dieu ce qui est à Dieu (prier et se recueillir) en offrant le choix aux visiteurs de Notre-Dame, selon le but de leur visite, de s’acquitter ou non d’un droit d’entrée ? »

Un compromis possible

Alors que penser ? Le Vade retro Rachida que constitue l’article 17 de la loi de 1905 n’en est sans doute pas un : une loi peut s’amender, en témoigne le Code du travail, devenu depuis sa création, en 1910, un mille-feuille que la virtuosité de tous les meilleurs pâtissiers de France réunis ne saurait égaler… Le débat est ailleurs, entre désaffection du culte et attachement paradoxal à un patrimoine religieux séculaire, identitaire et rassurant.

Peut-être faudrait-il laisser à César ce qui est à César (l’entretien du patrimoine religieux) et à Dieu ce qui est à Dieu (prier et se recueillir) en offrant le choix aux visiteurs de Notre-Dame, selon le but de leur visite, de s’acquitter ou non d’un droit d’entrée ? Cela ne serait pas si compliqué, guère plus que la collecte des pièces de monnaie glissées dans le tronc des églises…

Bien sûr, il y aurait des resquilleurs de mauvaise foi, ceux qui allument, dans ces mêmes églises, un cierge sans verser leur écot, mais les plus impressionnables d’entre eux pourraient être découragés par quelques images du Jugement Dernier et des flammes de l’Enfer bien senties.

Au programme de votre Objet d’Art

Chère lectrice, cher lecteur, nous espérons que la lecture de votre nouvel Objet d’Art sera un havre de béatitude terrestre en ces temps troublés que nous traversons. Vous y trouverez un florilège des dessins italiens du musée Boijmans Van Beuningen, des chefs-d’œuvre de l’ébéniste Latz ou encore quelques nefs de fous, à l’occasion de l’exposition que leur consacre le musée du Louvre !

Jean-Pierre Latz, pendule, Paris, vers 1739. Marqueterie Boulle,104 x 58 x 34 cm. Dresde,Kunstgewerbemuseum.

Jean-Pierre Latz, pendule, Paris, vers 1739. Marqueterie Boulle,104 x 58 x 34 cm. Dresde,Kunstgewerbemuseum. © Kunstgewerbemuseum, SKD. BLEND3 / Frank Grätz

Notes

1 Roselyne Bachelot, 382 jours le bal des hypocrites, Plon, 2023 et EOA n° 597 p. 3, éditorial « Roselyne au ministère de la Culture » par Jeanne Faton.

2 Chiffres donnés dans le rapport d’information au Sénat sur l’état du patrimoine religieux en France, par Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon, 2022.