Grandes questions de l’archéologie : pseudoarchéologie, le retour !
Il y a à peine plus d’un an et demi, j’évoquais ici-même la série diffusée par la firme audiovisuelle Netflix, œuvre du journaliste britannique Graham Hancock et intitulée en français À l’aube de notre histoire (Archéologia no 619, avril 2023). Le titre anglais, Ancient Apocalypse, s’appuyait sur une hypothèse fantaisiste : une météorite aurait, il y a environ 12 000 ans, percuté la Terre, anéantissant une brillante civilisation, à l’époque répandue sur tout le globe et dont témoignaient encore de glorieux vestiges, des pyramides mayas aux statues de l’île de Pâques, du site néolithique de Göbekli en Turquie à la « chaussée » des Bahamas, un banal phénomène géologique. Elle aurait provoqué un fort refroidissement climatique, dit du Dryas récent.
Cet ensemble de sites, certes prestigieux, constituait en réalité un fourre-tout aux dates variées mais toutes bien plus récentes que la chute de la supposée météorite. Quant au Dryas récent, cet événement climatique bien identifié n’a été que l’une des étapes dans les oscillations successives qui firent passer la Terre de la dernière période glaciaire, dite de Würm dans nos régions, à l’actuel interglaciaire, alternances dues aux déplacements de l’axe de notre planète par rapport au soleil – ce que l’on appelle les cycles de Milankovic. Et il n’est évidemment aucune preuve géologique de l’impact de ladite météorite.
L’art du complotisme
Un certain nombre d’archéologues, particulièrement dans le monde anglo-saxon, crut de leur devoir scientifique de démonter cette série. En vain, car elle fut rapidement l’une des plus vues des productions Netflix, frôlant un temps The Crown, la célèbre épopée consacrée à la famille royale britannique. Hancock avait de toute façon un argument imparable : lui, modeste amateur, heurtait de front la science officielle, celle des mainstream archaeologists qui s’efforçaient pathétiquement de protéger leurs certitudes éculées. De ce point de vue, Ancient Apocalypse est bien dans l’air du temps : le temps des « vérités alternatives » (ou fake news), indissociables du complotisme. Et Hancock, comme d’autres, de se poser avec aplomb en victime, comme si son audience – plusieurs millions d’exemplaires de livres vendus autour de ses différentes « thèses alternatives » – avait quelque chose à voir avec celle des ouvrages savants publiés par les mainstream archaeologists – quelques milliers d’exemplaires, dans le meilleur des cas. Si le public français est en général plus rétif à ce type de phénomènes, ce n’est pas le cas ailleurs, notamment aux États-Unis.
Bis repetita
Devant le succès rencontré, il aurait été dommage de ne pas poursuivre en si bonne voie. Aussi vient donc d’être mise en place une seconde saison de six épisodes, cette fois concentrés en principe sur les seules Amériques, avec néanmoins quelques digressions vers des sites déjà évoqués, Göbekli en Turquie, l’île de Pâques, voire Delphes, Angkor ou Karnak. On ne saurait nier la qualité de la forme et du montage, vus les moyens techniques mis en œuvre, avec une tendance à entretenir en permanence la confusion entre vues des sites réels et images de synthèse des sites reconstitués, sans compter celles de la terrifiante météorite plongeant vers la Terre, répétées ad nauseam. La musique de surcroît accentue l’atmosphère de mystère.
De grandes découvertes archéologiques peu connues du grand public…
Le but n’est évidemment pas ici de démontrer que rien ne tient, mais plutôt d’analyser la rhétorique mise en place. On peut repérer quatre types d’arguments, d’ailleurs assez banals. Le premier est de feindre de découvrir des vestiges archéologiques connus de longue date – peut-être moins du grand public. Ainsi était déjà présent dans les précédents épisodes le site néolithique turc de Göbekli Tepe, avec ses grandes constructions en pierre et ses statues, complété par celui plus récemment fouillé de Karahan Tepe. Ces sites monumentaux, élevés au cours du IXe millénaire avant notre ère par des chasseurs-cueilleurs en transition vers l’agriculture, sont fascinants et font partie des grandes découvertes archéologiques de ces dernières décennies. Cependant, s’ils sont préhistoriques, ils sont de toute façon postérieurs à la météorite supposée.
… mais qui n’ont rien de mystérieux
Bien plus anciennes cette fois, car remontant à environ 25 000 ans, sont les traces de pas humains de White Sands en Amérique du Nord, qui ne font que confirmer l’arrivée précoce des Sapiens sur ce continent. La datation des peintures rupestres de Colombie et du Brésil fait toujours débat (entre -10 000 et -30 000 ans selon les lieux), mais elles n’ont rien de mystérieux. Tout comme les vastes agglomérations pueblos du sud-ouest des États-Unis, cette fois du Ier millénaire de notre ère. Défileront encore, guère plus vieux ou même plus récents, la massive forteresse inca de Sacsayhuamán, les tertres cérémoniels de Poverty Point ou de la culture de Hopewell aux États-Unis, et bien sûr l’île de Pâques.
Des datations remises en question
Le deuxième argument, lié et déjà utilisé par d’autres auparavant, est d’affirmer que tous ces monuments sont en fait plus anciens que ce que l’on dit, puisque de toute façon on ne peut pas dater la pierre, mais seulement des restes organiques. Les populations qui sont censées les avoir construits seraient en fait des sortes de squatters réutilisateurs. Les Vénitiens n’avaient-ils pas volé à Byzance et rapporté chez eux diverses statues romaines antiques ? Ainsi les Pascuans auraient réutilisé les grandes statues moaï sculptées par d’autres (dont on n’a aucune trace) bien avant. Les ajustements des grandes dalles de la forteresse de Sacsayhuamán feraient preuve d’une trop grande technicité – avec zoom sur les cas les plus remarquables.
Des rapprochements faciles
Le troisième argument est de comparer des monuments qui n’ont rien à voir, sauf de manière très générale : il y a effectivement des constructions circulaires un peu partout dans le monde, de Göbekli déjà cité aux kivas d’Amérique du Nord, tout comme il existe des enclos ronds ou carrés (il n’y a pas tellement le choix), et que sont souvent peints sur les parois des ronds et des carrés.
Enfin le dernier argument est de rapprocher des phénomènes encore plus généraux, propres à l’humanité tout entière et à toutes les époques. Ainsi la plupart des constructions cultuelles sont orientées suivant des phénomènes astronomiques variés, lever ou coucher du soleil ou de la lune, solstice d’été ou d’hiver, équinoxe, etc. C’est le contraire qui est plutôt rare. De même on trouve dans beaucoup de mythes de par le monde un récit de déluge, ou l’existence de héros civilisateurs, qui notamment enseignent l’agriculture. Quelle qu’en soit l’explication, invariants de la nature humaine ou vieux récits originaux des débuts de Sapiens (hypothèse de Jean-Loïc Le Quellec), on ne saurait évidemment les rattacher à des événements réels.
L’appât du gain
À cela s’ajoutent cette fois-ci un côté New Age, avec la référence à des plantes hallucinogènes, voire à des phénomènes paranormaux ; un côté « politiquement correct » en interrogeant, sur les sites archéologiques, des guides autochtones ; mais symétriquement un côté quelque peu méprisant pour toutes ces sociétés qui auraient été incapables d’élever toutes seules ces monuments grandioses. Il se dit que l’un des fils de Hancock fait partie de la direction de Netflix, et on a appris tout récemment que l’entreprise avait de sérieux problèmes avec le fisc français. On ne peut que reprendre en conclusion la recommandation de l’archéologue britannique Peter Campbell : « Si vous avez vu À l’aube de notre histoire et que vous vous demandez s’il existe un complot dans le domaine de l’archéologie, faites simplement ceci : suivez l’argent. C’est tout. Croyez-vous un millionnaire sur une série Netflix ? Ou des dizaines de milliers de personnes travaillant dans l’archéologie pour une moyenne de 15 £/heure ? »
Pour aller plus loin :
BROCH H., 2005, Au cœur de l’extraordinaire, Éditions Book-e-book.
DEMOULE J.-P., 2013, On a retrouvé l’histoire de France. Comment l’archéologie raconte notre passé, Gallimard (chapitre 7 : « Les faussaires de l’archéologie »).
DEMOULE J.-P., 2022, « Pseudoarchéologie et complotisme », Analyse, Opinion, Critique, 9 décembre 2022 [en ligne].
LE QUELLEC J.-L., 2009, Des Martiens au Sahara. Chroniques d’archéologie romantique, Actes Sud.
LE QUELLEC J.-L., 2019, « Poisson d’avril ou escroquerie. Les fake news en archéologie », Archéologia, no 575, p. 48-57.
STOCZKOWSKI W., 2022, À la recherche d’une autre Genèse. Anthropologie de l’« irrationnel », La Découverte.