Avis aux amateurs : 20 livres d’art qui vont illuminer vos fêtes

© magdal3na - stock.adobe.com

Noël approche à grands pas et vous manquez d’idées pour un cadeau de dernière minute ? Pas de panique ! Centenaire du surréalisme, célébration des beautés de la Haute-Savoie, fastes des bals versaillais, de la bibliothèque de l’Arsenal ou de l’Opéra Garnier : nous avons réuni pour vous et vos amis esthètes les plus beaux livres d’art à offrir en cette fin d’année.

Prix SNA du Livre d’Art 2024 : tout Pierre Puget en quatre volumes

Cinquante années de son existence avaient été consacrées par Klaus Herding à rédiger ce Puget ! Hélas pour lui, il mourut accidentellement en 2018 avant d’en avoir vu la publication. En 1970 était édité en allemand son livre sur l’œuvre sculpté : Puget, das bildnerische Werk, un ouvrage in 8° qui a fait date, mais Herding l’augmenta considérablement de plusieurs chapitres sur la place du sculpteur dans la société de son temps et, surtout, sur son œuvre peint et architectural, chapitres restés manuscrits. Une étude particulière sur les Veyrier, qui œuvrèrent dans son atelier, est insérée dans le premier tome. Les éditions Faton ont eu l’immense mérite de faire traduire en français et de publier l’ensemble de ces textes, avec l’agrément de ses héritiers, en quatre épais volumes in 4°, minutieusement revus par Geneviève Bresc-Bautier et d’autres spécialistes. Tout a été vérifié. Quelques erreurs ponctuelles dans la transcription d’actes émanant de diverses archives ont été rectifiées. Le troisième volume, celui du catalogue, apporte l’état actuel des connaissances constamment renouvelées : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », disait Boileau, sans aucun doute beaucoup plus de vingt fois, les nouvelles découvertes ne cessant de se faire jour. Outre l’ancienne bibliographie, les études récentes ont été prises en compte et il ne faut pas manquer de lire, à la fin de plusieurs notices du catalogue, le dernier état de la question sous la forme : [Ajout de l’éditeur]. Les éditions Faton ont complètement revu l’illustration et l’ont considérablement et magnifiquement enrichie, permettant en ce qui concerne les sculptures d’en voir plusieurs détails et différents plans. Tous les dessins, les esquisses préparatoires et les répliques sont analysés. De nombreuses œuvres dont l’attribution est incertaine sont discutées, quelques-unes rejetées. Quiconque s’aventure dans l’étude de Puget se doit de prendre connaissance de ces quatre volumes éblouissants, récemment honorés du Prix SNA du Livre d’Art. F. de L.M.

Klaus Herding, Pierre Puget 1620-1694, édition révisée par Geneviève Bresc-Bautier, quatre volumes sous coffret, éditions Faton, 2023, 1 700 p., 320 €.

Le trésor de la Haute-Savoie

En cette fin d’année, la maison d’édition Aux Feuillantines, spécialisée dans les ouvrages rares d’hier et d’aujourd’hui, réédite avec maestria un très beau livre consacré à la Haute-Savoie. Publié pour la première fois en 1866, cet ouvrage est certainement le plus somptueux jamais réalisé sur le département. Il fut commandé aux auteurs par le préfet d’Annecy Joseph Ferrand peu de temps après le traité de Turin, qui en 1860 rendit la Haute-Savoie à la France, afin de louer le riche patrimoine de la région. Le texte de l’historien Francis Wey (1812-1882) est accompagné d’une cinquantaine de gravures de l’aquarelliste et lithographe Henry-John Terry (1818-1880). Le lecteur d’aujourd’hui y découvrira une mine d’informations sur le décor, l’habitat, le costume et la topographie des lieux à l’époque. Au fil d’un texte riche, écrit dans une langue magnifique, sont évoqués les personnages illustres ayant séjourné en Haute-Savoie, de Rousseau à Voltaire et saint François de Sales ; les amateurs d’architecture savoureront les descriptions du cloître de l’abbaye d’Abondance et du château de Ripaille ; les débuts du thermalisme dans des villes comme Évian et Thonon, l’avènement du tourisme à Chamonix, de la randonnée et de l’alpinisme sont également retracés. Francis Wey insiste également sur les avantages que la population locale tirera de ce rattachement à la France.

Cette réédition, particulièrement luxueuse, du seul exemplaire connu avec des lithographies en couleurs rehaussées à l’aquarelle, dans son format original en « grand in-folio » (38 x 57 cm), s’impose par sa remarquable qualité d’impression et ses finitions soignées comme un véritable objet d’art. Il constitue un hommage splendide au « plus souverainement beau des départements français. » Petit bémol toutefois, son poids conséquent de 6 kg ne facilitera pas la lecture ! N.d’A.

La Haute-Savoie, Francis Wey (textes) et Henry-John Terry (illustrations), Aux Feuillantines, 2024, format « grand in-folio », tirage limité à 999 exemplaires numérotés, 240 p., 50 gravures et 1 frontispice en couleurs, en cadeau un portfolio de quatre gravures, 249 € par souscription jusqu’au 31 décembre 2024, puis 279 €.

Quand l’imagerie scientifique révèle les secrets de la peinture

Repentir, retouche et repeint, réemploi… Qui s’intéresse à l’histoire de la peinture a forcément rencontré ces termes techniques (aussi appelés « quatre R ») mais sait-il ce qu’ils recouvrent véritablement ? Une certaine confusion règne en effet autour de ce vocabulaire, que la journaliste Sarah Belmont entend ici dissiper. Réalisé en collaboration avec le C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France), l’ouvrage s’inscrit dans un long processus de réflexion mené par l’auteur autour des phénomènes picturaux, avec l’appui de scientifiques et de conservateurs de prestigieux musées internationaux. Le propos s’ouvre sur une introduction judicieuse permettant de définir les « quatre R » : si le repentir résulte d’un changement délibérément opéré par l’artiste sur l’une de ses œuvres, la retouche et le repeint renvoient quant à eux au processus de restauration mis en œuvre ultérieurement à la création ; enfin, le terme de « réemploi » implique le recouvrement d’une œuvre par une autre, soit par le peintre lui-même, soit par des tiers. Une fois ces bases établies, Sarah Belmont passe au crible vingt-cinq chefs-d’œuvre de la peinture, toutes époques confondues, avec pour fil conducteur une seule et même question essentielle quoique d’une simplicité presque enfantine : pourquoi ? Pour quelle(s) raison(s) un artiste fait le choix de recouvrir une esquisse, de revoir entièrement ou partiellement la composition d’un tableau, avant ou après l’avoir offert au regard souvent intransigeant du public ou du Salon ? Qu’est-ce qui motive les choix – parfois discutables – d’un restaurateur ? Dans un style enlevé qui tient le lecteur en haleine du début à la fin, Sarah Belmont interroge rien de moins que la notion de processus créatif dans la peinture. Sans jamais renoncer au caractère scientifique de son étude, elle parvient avec malice à plonger le lecteur dans ses enquêtes, toujours ludiques et jamais redondantes. F.L-C.

Sarah Belmont, Ni vu ni connu. Le destin caché de 25 chefs-d’œuvre, Chêne, 2024, 256 p., 39,90 €.

Bal à Versailles !

Les bals de la Couronne étaient des événements essentiels de la vie de cour et répondaient à une étiquette précise, qui fut remise à l’honneur sous le règne de Louis XIV. C’étaient aussi des cérémonies très luxueuses, dont les décors et les costumes sont connus par des sources documentaires issues des archives de la Maison du Roi, par des descriptions littéraires et par de nombreuses gravures. S. Castelluccio en use parfaitement dans ce livre, qui analyse encore l’évolution de ces bals. À l’origine, ces derniers avaient lieu pendant le temps du Carnaval ; danseur émérite, Louis XIV les goûtait particulièrement. Puis ils se raréfièrent sous Louis XV, qui délégua à ses enfants leur organisation. Sous Louis XVI, la jeune Marie-Antoinette les revivifia et ne se contenta pas de faire construire des décors éphémères dans l’enceinte des Grands Appartements. Elle fit édifier des maisons démontables de bois le long des ailes de la vieille cour du château, tout autant ornementées que des palais, qui permettaient d’augmenter le nombre des invités et de répondre à tous ses caprices. Étayé par de nombreuses archives, le texte permet de ressusciter l’atmosphère spectaculaire de ces bals, tandis que la riche iconographie de l’ouvrage évoque les lieux, les invités, leurs parures, de même que les décors, souvent inspirés de fausses architectures de jardin. De très intéressantes reconstitutions 3D des maisons de bois demandées par Marie-Antoinette font pénétrer le lecteur dans le secret des bals des années 1780. L’ensemble, parfaitement mis en page, révèle le faste et le caractère fantaisiste de ces fêtes, qui eurent des conséquences désastreuses sur la réputation de la reine à la fin de l’Ancien Régime. C.G.

Stéphane Castelluccio, Les bals de la Reine, Gourcuff Gradenigo, 2024, 192 p., 49 €.

La tabatière du duc de Choiseul : une enquête exemplaire

Unique par sa suite de portraits du duc de Choiseul (1719-1785), admirable par la précision des scènes, captivante par l’animation des sujets, la tabatière ornée de gouaches sur vélin du miniaturiste Louis-Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794) est présentée dans un ouvrage savant et séduisant qui marque avec brio son entrée au Louvre. Une douzaine de spécialistes nous entraîne à la découverte d’un objet qui, « bien plus qu’une tabatière », est un documentaire sur le ministre dans ses lieux de travail. Au milieu de l’ouvrage, un judicieux livret décrit chaque scène en vis-à-vis de sa reproduction agrandie. Comme dans une pièce de théâtre, le duc joue le rôle-titre : au sein de son hôtel de la rue de Richelieu, il accorde une audience, il présente sa collection de peintures, il s’isole pour une lecture ; dans son appartement versaillais, il dicte des missives, il se prépare à une cérémonie ; au Louvre, il examine le plan d’une fortification. Certains sujets se situent de 1768 à 1769 et même 1770, avant la disgrâce du secrétaire d’État de la Guerre, le 24 décembre. Tour à tour, les chercheurs scrutent l’œuvre commandée à Van Blarenberghe entre 1767 et février 1769. Xavier Salmon éclaire sa relation avec le duc qui lui octroie le brevet de « peintre des batailles » en janvier 1769. Michèle Bimbenet-Privat précise l’histoire de la tabatière « conçue, commandée, exécutée et montée avant la disgrâce ». Béatrix de Gramont (1722-1794), sœur du duc, l’aurait commandée mais conservée, faute de pouvoir lui offrir en guise d’étrennes. Peut-être vendue en 1797 parmi ses biens, la tabatière resurgit en 1820 dans les collections de George IV puis dans celles du marquis de Soyécourt qui la cède vers 1848 à James de Rothschild. Le réalisme des représentations s’affirme au fil des analyses. Les lieux sont documentés par Frédéric Dassas qui se réfère en particulier à Mariette et Dezallier d’Argenville. L’examen des costumes de Dominique Prévôt contribue à identifier des officiers proches de Choiseul dont la bonhomie, l’allure primesautière, le luxe vestimentaire – dont la portée politique est soulignée par Pascale Gorguet Ballestros – sont finement caractérisés. La vue de la Grande Galerie du Louvre, où sont exposés les plans en relief de places fortes, témoignage du décor conçu par Nicolas Poussin, a une valeur documentaire et symbolique analysée par Isabelle Warmoes et Guillaume Fonkenell. Plus que tout, la tabatière conserve le « souvenir de l’arrangement des tableaux collectionnés par Choiseul », vendus en 1772. Guillaume Faroult dresse un remarquable catalogue de quarante-cinq tableaux identifiés. Beaucoup sont hollandais et flamands, d’autres prouvent un intérêt pour des peintres français contemporains. Aussi passionnante est la recherche de Frédéric Dassas sur le décor intérieur et les meubles, pendules, chenets, bras de lumière issus d’ateliers contemporains. Le ministre a le souci de mettre au goût du jour son cadre de vie. Le travail de Viviane Mesqui sur les porcelaines de Sèvres en rend compte comme celui de Guilhem Scherf qui repère les petites sculptures en marbre de Pajou, Caffieri, Falconet. Entré dans le quotidien de Choiseul, le lecteur-spectateur s’émerveille du talent de Van Blarenberghe pour représenter un décor intérieur, traduire la tension psychologique d’une conversation, saisir l’individualité des personnages. Le format à l’italienne harmonisé à la tabatière, le choix graphique d’un bleu assorti aux images, le raffinement de la mise en page confèrent à l’ouvrage, construit sous la direction de Michèle Bimbenet-Privat, un aspect précieux qui s’accorde à l’objet étudié. C.C.

Michèle Bimbenet-Privat, La tabatière Choiseul. Un monument du XVIIIe siècle, éditions Faton, 2024, 256 p., 49 €.

Indispensable Histoire naturelle des oiseaux

Voici un véritable bijou littéraire qui fera le bonheur des bibliophiles autant que des passionnés d’ornithologie. On ne présente plus le comte de Buffon (1707-1788), éminent naturaliste et écrivain du Siècle des Lumières à l’origine d’une monumentale encyclopédie d’histoire naturelle. Parmi les trente-six volumes que compte celle-ci, pas moins de neuf sont entièrement consacrés aux oiseaux, ouvrant alors la voie à la science ornithologique moderne. Devant l’ampleur et l’exigence de la tâche consistant à caractériser le plus fidèlement possible chaque volatile et à le restituer dans son environnement, Buffon n’a d’autre choix que de s’associer au plus talentueux graveur naturaliste de son temps, François-Nicolas Martinet. Plus de 1 000 planches voient ainsi le jour (dessinées, estampées et mises en couleur à l’aquarelle) mais leur édition limitée les a longtemps rendues confidentielles. Ce préjudice est aujourd’hui réparé grâce à cette nouvelle édition qui reproduit intégralement l’œuvre originale de luxe précieusement conservée au musée de Montbard, demeure natale du comte. Oiseaux de nos campagnes, espèces exotiques, rares ou disparues, 1 200 spécimens peuplent avec grâce cet ouvrage dont le comte de Buffon résumait à son époque le propos : « La collection de nos planches coloriées l’emportera sur toutes les autres par le nombre des espèces, par la fidélité des dessins, qui tous ont été faits d’après nature, par la vérité du coloris, par la précision des attitudes ; on verra que nous n’avons rien négligé pour que chaque portrait donnât l’idée nette et distincte de son original ». Dans un écrin d’une rare beauté – il est relié et semi-toilé sous étui illustré, et même accompagné d’un portfolio de cinq reproductions –, ce beau livre, que l’on ne se lassera pas de contempler tant un soin particulier a été apporté à sa fabrication, enchantera avant tout le lecteur par ses textes d’une indéniable qualité littéraire et d’une remarquable actualité. Prévoyez tout de même un peu d’exercice physique lors de la lecture et une place conséquente dans votre bibliothèque, l’ouvrage pèse son poids ! F.L-C.

Histoire naturelle des Oiseaux de Buffon, illustrée par les gravures de François-Nicolas Martinet, Citadelles & Mazenod, 2024, 672 p., 350 €.

Redécouvrir l’Arsenal

Pour beaucoup, l’Arsenal est avant tout une merveilleuse bibliothèque où l’historien d’art peut librement consulter de précieux manuscrits, indispensables à sa recherche. Cet historien risque d’oublier que cet édifice fut d’abord l’arsenal du roi, dont l’histoire est complexe, faite de constructions, destructions et réaménagements, imputables aux occupants qui s’y sont succédé. Il faut le visiter. Et s’impose une lecture attentive du magnifique livre qui vient d’être publié à son sujet.

Les canons du roi étaient forgés dans un magasin reconstruit par Charles IX, où furent déposées munitions et armes de guerre. Plus tard, les Keller y fondirent pour le souverain nombre de sculptures. Sully, grand maître de l’artillerie, avait habité et transformé l’Arsenal. En 1634, le nouveau grand maître, Charles de La Porte, marquis de La Meilleraye, y aménagea à grands frais un appartement pour lui-même et son épouse : ses murs furent couverts d’un décor peint sur fond d’or par Charles Poerson selon les directives de François Le Vau. Au XVIIIe siècle, le duc du Maine, à son tour grand maître, confia à Boffrand la transformation des bâtiments et le décor de plusieurs salons. Au XIXe siècle, l’architecte Labrouste réorganisa l’enfilade de ces appartements qu’il repensa entièrement.

Quant à la fameuse bibliothèque, elle est d’abord le fruit d’un rassemblement inouï d’ouvrages et de manuscrits achetés par le marquis de Paulmy, Antoine-René de Voyer d’Argenson (1722-1787). Ce collectionneur boulimique, autorisé en 1756 à s’installer à l’Arsenal, y entassa pas moins de 120 000 volumes imprimés, 6 000 manuscrits, 592 recueils d’estampes, ensemble qu’il vendit avant son décès au comte d’Artois. Sa collection, sans cesse enrichie, devint une bibliothèque ouverte au public en 1798. L’Arsenal fut aussi le lieu d’un salon littéraire célèbre où Victor Hugo, Delacroix et Liszt se réunissaient autour de Charles Nodier.

Ayant miraculeusement échappé aux ravages causés par les révolutionnaires et les communards, l’appartement de La Meilleraye, les salons décorés par Boffrand et le Salon de Musique, récemment restaurés, peuvent être visités. On peut aussi y admirer de nombreux objets mobiliers répartis dans les salons, montrant le goût de Paulmy : consoles, sièges estampillés, bureau, médailliers, cabinets, roue à livres, un splendide régulateur et, sur demande, de très précieux manuscrits enluminés, comme le Psautier de Blanche de Castille et la Somme du Roi. F. de L.M.

Sous la direction d’Olivier Bosc et Sophie Guérinot, L’Arsenal au fil des siècles. De l’hôtel du grand maître de l’artillerie à la bibliothèque de l’Arsenal, coédition Le Passage / Bibliothèque nationale de France, 2024, 256 p., 49 €.

Guide amoureux des musées de province

Véritable carte du Tendre des musées de province, ce livre est autant un guide qu’une autobiographie. Il s’offre encore comme une errance esthétique et érudite, devant les œuvres accrochées sur les cimaises de toutes les régions de France. Comme Stendhal dans ses Voyages en Italie, Adrien Goetz s’affranchit des musées trop fréquentés de Paris pour gagner les terres du Dauphiné, de Bretagne, de Lorraine ou de Normandie : celles de la province, où s’épanouit la liberté de circuler, de penser et d’admirer. En bon Balzacien, il revendique la « provincialité », pour mieux écrire ces scènes de la vie muséale, dont les collections, loin d’être léthargiques, deviennent sous sa plume des modèles de muséologie et de médiation modernes.

On peut lire le volume d’une traite et parcourir avec l’auteur les quatorze régions de ce voyage initiatique ; ou bien choisir dans chacune d’entre elles certaines pages, qui piquent particulièrement la curiosité. D’emblée, la variété des appellations fascine. Les musées sont des palais (du Tau à Reims ; des Beaux-Arts à Lille), des cités (de la tapisserie à Aubusson), des centres (Pompidou-Metz), des châteaux (Borély, à Marseille), une chartreuse (Douai), des fondations (Maeght à Saint-Paul-de-Vence), des fonds (Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture de Landerneau) et même une piscine (La Piscine de Roubaix) ou des pêcheries (à Fécamp)… Souvent ils portent le nom de leur fondateur : collectionneur, donateur, artiste ou les trois à la fois, tant les musées de province se sont constitués grâce à la philanthropie des édiles locaux, après les envois de l’État au début du XIXe siècle. L’onomastique est à elle seule une page d’histoire, que rappelle Adrien Goetz au fil de ses déambulations, sans insister ni peser, avec un savoureux sens de l’anecdote et du raccourci. Les rénovations, les muséographies nouvelles, les achats récents : rien n’est oublié et sans même l’avoir parcourue, on s’émerveille de la salle des arts graphiques du musée Ingres Bourdelle de Montauban ; l’on « voit » la salle dite « du prince noir » qui a tout d’un « night-club d’esprit gothique », où Jean-Michel Othoniel expose actuellement une installation de briques noires. Des Flandres au Limousin, en passant par l’Ile-de-France, l’art ancien se marie à l’art contemporain en toute harmonie. Les chefs-d’œuvre mettent en valeur les créations oubliées et l’on croise dans l’ouvrage une diversité infinie de médiums : la tapisserie d’Angers, les cartons du premier décor du plafond de l’Opéra de Paris par Jules Lenepveu, les 12 000 estampes du musée des Beaux-Arts de Quimper ou la Vénus en marbre du Mas-d’Agenais, conservée au musée d’Agen… Le périple commence à Chantilly, au musée Condé, et se termine au même endroit, dans le secret du Cabinet des Livres, où surgit le musée idéal et rêvé, peuplé de souvenirs et d’œuvres à naître, disparues ou jamais créées. L’ouvrage est sans conteste un cadeau de Noël délectable, qui aura certainement le même succès que les fameux guides de poche Baedecker au début du XIXe siècle. Comme eux, il orientera les voyageurs dans leur grand tour des provinces de France, de musée en musée, d’expositions en accrochages. Mais plus encore, il sera le compagnon de délicieux voyages en chambre, dans l’art inattendu et surprenant des musées imaginaires. C.G.

Adrien Goetz, Mes musées en liberté. 120 promenades artistiques en France, Grasset, 2024, 352 p., 23 €.

La Manga d’Hokusai

Pour Noël, les éditions Hazan proposent, en deux tomes dans un élégant coffret toilé, un fac-similé des quinze volumes de la fameuse Manga d’Hokusai (1760-1849), œuvre iconique du plus insigne dessinateur japonais, dont il entreprend la réalisation à cinquante ans passés. Les trois derniers volumes, publiés à titre posthume, ont peut-être été complétés à partir de croquis du maître retrouvés après sa mort. Véritable best-seller du livre illustré du XIXe siècle, la Manga fut maintes fois réimprimée. Cependant, il faut savoir que le premier volume a tout d’abord été publié comme un ouvrage définitif. Dans cette nouvelle édition, plus de 4 000 planches méticuleusement reproduites en trois tons composent un véritable guide sur les classes moyennes cultivées de la période Edo (1600-1868). Il se présente comme « un recueil quasi encyclopédique de scènes japonaises sur la nature et les activités humaines, augmentées d’une vaste sélection de traditions japonaises et chinoises. « Tout un chacun pouvait copier ces exemples et apprendre le style de dessin de Hokusai » explique Matti Forrer dans la préface. Chaque dessin est accompagné d’un commentaire de ce spécialiste de l’artiste également conservateur au musée national d’Ethnologie de Leyde. Cette manga, littéralement livre d’« esquisses au débotté », se parcourt à la japonaise de droite à gauche. N.d’A.

Hokusai, La Manga, Matthi Forrer, Hazan, 2024, deux volumes sous coffret, 912 p., 4 000 dessins environ, 99 €.

Les Jacquemart-André, une passion pour l’Italie

La collection de peintures italiennes de Nélie Jacquemart (1841-1912) et Édouard André (1833-1894) intéresse les chercheurs depuis de nombreuses années. L’ouvrage publié en 2023 sous la direction de Pierre Curie et de Giancarla Cilmi fait un point sur les connaissances actuelles.

Nélie Jacquemart et Édouard André ont tous les deux été confrontés à l’art italien dès leur jeunesse. Leur mariage en 1881 leur permet de développer cette passion commune, donnant ainsi naissance à l’une des collections parisiennes les plus significatives du goût de l’époque. Les Jacquemart-André ne sont en effet alors pas les seuls à s’intéresser à l’art italien. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, collectionner est, pour les membres de la haute bourgeoisie, une pratique à la mode, qui trahit également un certain statut, une forme de puissance et de légitimité. Les œuvres italiennes figurent en bonne place dans les intérieurs de ces personnalités passionnées d’art, d’autant plus que la période est propice à leur acquisition. Entre 1882 et 1894, Nélie et Édouard parcourent inlassablement l’Italie à la recherche de trésors. De Florence à Rome, en passant par Venise, mais aussi Padoue, Ferrare, Bologne et bien d’autres, ils achètent de nombreuses peintures dans le but de reconstituer dans leur hôtel particulier du boulevard Haussmann un ensemble représentatif de la Renaissance italienne. La particularité de leur collection réside dans le fait que toutes les typologies sont représentées : grands retables, bannières, fragments de polyptyques, prédelles, tableaux de dévotion, cassoni, plateaux d’accouchée, tondi, portraits. Au décès d’Édouard en 1894, Nélie poursuit seule ses achats, qu’elle présente à Paris et à l’abbaye royale de Chaalis à partir de 1902, puis lègue l’ensemble de ce patrimoine à l’Institut de France à sa mort en 1912, en formulant le vœu suivant : « J’espère qu’elles [ces peintures] serviront aux études de ceux qui se dévouent à l’art et à son histoire ». C’est à ce souhait que répond cet ouvrage, à travers un catalogue détaillé de près de 250 œuvres, dont certaines ont suscité de nombreuses discussions parmi les historiens de l’art, à l’image des Saint Jean l’Évangéliste et Saint Laurent, achetés en 1911 par Nélie comme des anonymes florentins du XVe siècle et aujourd’hui donnés à Giotto. Une lecture passionnante pour tous les amoureux de la peinture italienne de la Renaissance ! C.J.

Giancarla Cilmi et Pierre Curie, Peintures italiennes du XIVe au XIXe siècle. Musées Jacquemart-André, éditions Faton, 2023, 400 p., 74 €.

La Bible chrétienne dans les arts

« Sans beauté, il ne peut y avoir de sacré. » Ces mots du pape Benoît XVI, cités en préface, semblent à propos, tant les chefs-d’œuvre qui défilent dans ce beau livre illustrent toute la splendeur de l’iconographie biblique. Depuis les balbutiements de la Genèse, jusqu’aux derniers jours de l’Apocalypse de Jean, se succèdent les épisodes les plus célèbres de la Bible chrétienne, tels qu’ils furent conçus par les plus grands artistes, marquant de leur empreinte nos représentations et nos archétypes. Des essais très riches permettent d’approcher au plus près cinquante-deux œuvres du Titien, Caravage, Poussin, Delacroix, mais aussi de Chagall ou Maurice Denis. Historienne de l’art reconnue, Sophie Mouquin prend la plume avec sa sœur Delphine, normalienne et docteur en Lettres modernes, pour détailler avec érudition tant les conceptions théologiques qu’expriment ces œuvres ayant fait date dans l’histoire de l’art que leurs aspects plus techniques. Ici les références bibliques, les citations des Pères de l’Église, les déclarations papales éclairent les subtilités de l’histoire sainte et de ses représentations, qui évoluèrent pendant des siècles, au fil d’un panorama qui nous entraîne de l’Italie à l’Allemagne, en passant par l’Angleterre et l’Anatolie, sans oublier la France. Empreint de foi et de sensibilité, cet ouvrage, qui donne également à connaître le génie de l’art chrétien à travers des mosaïques, enluminures, tapisseries et sculptures des plus diverses, saura parler aussi bien aux passionnés d’histoire de l’art qu’aux exégètes, et constitue une excellente initiation à l’iconographie chrétienne. R.B.-R.

Sophie et Delphine Mouquin, Contempler l’Histoire sainte, Magnificat, 2024, 232 p., 34 €.

Le centenaire du surréalisme

La bibliothèque de la Pléiade réédite les Manifestes du surréalisme en un tirage spécial illustré. Ce volume unique comprend également les écritures automatiques de Poisson soluble, le Dictionnaire abrégé du surréalisme, ainsi qu’un florilège d’entretiens et de textes éclairant le propos. Une préface du romancier et essayiste Philippe Forest et un important appareil de notes complètent l’ensemble. Ces Manifestes qui constituent l’œuvre d’une vie pour André Breton ont connu leur édition la plus complète en 1962, elle est ici reprise dans son intégralité.

André Breton, Manifestes du surréalisme, bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, tirage spécial illustré, 2024, 65 € jusqu’au 31 décembre 2024, puis 72 €.

Entremêlant art et littérature, Yves Peyré a quant à lui conçu un livre magnifiquement illustré, à la réalisation très soignée, tant par sa mise en page que par son impression et sa reliure. Écrivain, poète et critique d’art, il fait précéder cette anthologie d’une riche introduction retraçant les collaborations littéraires et artistiques au sein du surréalisme, qui s’est épanoui dans le monde entier à la fois en littérature, en poésie, en peinture, en sculpture et en photographie. Une centaine d’écrivains et d’artistes, judicieusement mis en regard, témoignent de l’exceptionnel élan créatif qui le caractérisa, à la suite d’André Breton. L’auteur qui entend le terme au sens large, jusque dans ses marges, se concentre également sur sa genèse et ses retombées. Au fil des pages on découvre les œuvres des figures majeures du surréalisme, tels Louis Aragon, Antonin Artaud, André Breton, René Char, Salvador Dalí, Giorgio De Chirico, Marcel Duchamp, Paul Éluard, Michel Leiris, Dora Maar, René Magritte, Man Ray, Meret Oppenheim, Tristan Tzara et bien d’autres. Relié sous coffret, avec une couverture toilée, ce volume a été tiré à 1 200 exemplaires. N.d’A.

Yves Peyré, Vertige du surréalisme, Gallimard, Art & littérature, 2024, 336 p., 179 € jusqu’au 31 décembre 2024, puis 199 €.

Paul Éluard et Kiki Smith

Le sixième opus de la magnifique collection « Grande Blanche illustrée » s’empare d’un texte majeur de Paul Éluard, L’Amour la Poésie. Dédicacé à Gala, ce « livre sans fin » paraît en 1929, après un dernier hiver passé au sanatorium avec son épouse qui allait bientôt le quitter pour Salvador Dalí. Il traduit le désespoir d’un homme torturé entre l’amour et la poésie, cette dernière lui redonnant goût à la vie. Gallimard a donné carte blanche à l’artiste américaine multidisciplinaire Kiki Smith (née en 1954) dont les dessins, gravures et collages se fondent dans l’univers surréaliste du poète tout en affirmant leur singularité. N.d’A.

Paul Éluard, L’Amour la Poésie, œuvres de Kiki Smith, Gallimard, 2024, collection « Grande Blanche illustrée », 176 p., 45 €. Également disponible en édition de tête.

Lumière sur Caillebotte

En parallèle de la magistrale exposition « Caillebotte, peindre les hommes » qui se poursuit au musée d’Orsay jusqu’au 19 janvier, diverses publications sont proposées aux amateurs. Le journaliste Amaury Chardeau propose une relecture biographique complète de ce peintre, mécène, navigateur et homme secret, à la lumière d’archives et de photographies inédites. Publié aux éditions Norma, ce livre maniable et fort agréablement mis en page séduira tous les curieux. 

Amaury Chardeau, Caillebotte, la peinture est un jeu sérieux, Norma éditions, 2024, 260 p., 32 €.

Le musée coédite quant à lui avec les éditions Hazan, outre le catalogue officiel de l’exposition, un passionnant ouvrage à destination de lecteurs avertis, tout entier dédié à la fameuse collection rassemblée par Caillebotte, un amateur aussi éclairé que fortuné. Introduit par de captivants essais permettant de faire le point sur cet ensemble insigne, réuni dès 1876 et légué à l’État en 1894, le livre propose la transcription de rares archives subsistantes, puis un catalogue détaillé des soixante-six toiles de Manet, Degas, Monet, Sisley ou Renoir aujourd’hui conservées à Orsay. M.E.-B.

Paul Perrin (dir.), Caillebotte et les impressionnistes. Histoire d’une collection, coédition musée d’Orsay / Hazan, 2024, 144 p., 35 €.

Kaïdara d’Amadou Hampâté Bâ illustré par Omar Ba

L’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ (1901-1991) a consacré une grande partie de sa vie à recueillir les histoires, contes et proverbes de l’Afrique de l’Ouest, véhiculés par la tradition orale. Kaïdara est ainsi l’un des récits qu’il a transcrits et annotés. Long poème en vers libres, il raconte le voyage de trois hommes sur le chemin de la connaissance de soi et du monde. Pour accompagner ce récit à la fois poétique et philosophique, Diane de Selliers a fait appel au peintre sénégalais Omar Ba, formé à l’École des beaux-arts de Dakar, puis à celle de Genève. De somptueuses et puissantes illustrations viennent ainsi ponctuer et magnifier ce conte initiatique, qui s’achève au pays des génies-nains, avec la rencontre du dieu Kaïdara. Un livre de collection, pour les bibliophiles poètes et amoureux des couleurs. J.F.

Kaïdara, notes d’Amadou Hampâté Bâ, Diane de Selliers, 2024, 288 p., 40 œuvres d’Omar Ba et 70 détails, 230 €.

L’Opéra Garnier

En janvier 2025, on célèbrera les 150 ans de l’Opéra Garnier inauguré en 1875 ; l’occasion pour Mathias Auclair, directeur du département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France, de publier un ouvrage retraçant son histoire. Sa construction, à l’issue d’un concours remporté en 1861 par Charles Garnier (1825-1898), connut mille et une péripéties, entre restrictions budgétaires et querelles artistiques. À L’aune de documents inédits, des plans et dessins conservés à la bibliothèque-musée de l’Opéra et à l’École nationale des beaux-arts, de photographies prises sur cet immense chantier ouvert au cœur de la capitale, l’auteur livre une somme sur un chef-d’œuvre de l’architecture. N.d’A.

Mathias Auclair, Le Palais Garnier, dessins pour un chef-d’œuvre, Gourcuff Gradenigo, 2024, 160 p., 39 €.

Promenade dessinée dans Paris

Cet élégant livre au format à l’italienne propose une visite de la capitale par le dessin, au fil de 200 planches en noir et blanc tracées avec une grande précision et toutes accompagnées de courtes légendes explicatives. Son auteur, Pierre Thiébaut, architecte des Bâtiments de France, urbaniste et universitaire, a consacré sa carrière à la sauvegarde du patrimoine. Il explore ici dans les moindres détails l’architecture de la Ville lumière, arrondissement par arrondissement, des façades les plus célèbres aux recoins les plus secrets. Voilà un cadeau de Noël original pour les férus d’architecture et les amoureux de Paris. N.d’A.

Pierre Thiébaut, Paris promenade dessinée, Hazan, 2024, 208 p., 49 €.

La fabrique du rêve

« Ce livre traite de la confrontation de l’art pictural avec le monde des songes », c’est ainsi que Victor I. Stoichita, bien connu pour ses travaux transversaux sur l’herméneutique et l’anthropologie de l’image, résume une enquête d’envergure qui débute au Moyen Âge pour s’achever au XVIIe siècle, « époque de la découverte du cogito ». Au fil de cet ouvrage de grand format superbement illustré, l’historien de l’art interroge les diverses facettes du rêve (somnambulisme, subconscient, cauchemar…) en faisant dialoguer avec érudition écrits philosophiques, Ancien Testament, poésies et sources textuelles diverses avec des chefs-d’œuvre de Piero della Francesca, Jérôme Bosch, Albrecht Dürer ou Johannes Vermeer. M.E.-B.

Victor I. Stoichita, La fabrique du rêve, Hazan, 2024, 280 p., 110 €.

Un abécédaire littéraire parisien

«Certains arrondissements semblent plus littéraires que d’autres » annonce d’emblée Antoine Compagnon dans la préface de cet abécédaire qui propose une déambulation dans le Paris des écrivains. Pour l’illustrer, les éditions Gallimard ont puisé dans les pléthoriques collections de photographies de l’agence Roger-Viollet. Au fil des pages, on déambule avec Aragon sur l’île Saint-Louis ; on poursuit Balzac de déménagement en déménagement pour échapper aux huissiers ; on arpente les passages parisiens avec Céline et l’on se perd dans Saint-Germain-des-Prés à la recherche de Marguerite Duras. Enfin, avec Zola, on revit les plus belles heures des Halles, le fameux « ventre de Paris ». N.d’A.

Jean-Noël Mouret, Un abécédaire littéraire parisien, d’Aragon à Zola, préface d’Antoine Compagnon de l’Académie française, Gallimard / Roger-Viollet, 2024, 120 p., 26 €.