Chiharu Shiota déroule les fils de son âme au Grand Palais
En prélude à sa réouverture totale en juin 2025, le Grand Palais dévoile l’univers sensible de l’artiste japonaise Chiharu Shiota à travers une rétrospective immersive sondant les entrelacs de son intimité inquiète. Une expérience poétique interrogeant les vicissitudes de notre existence, à travers la sienne.
Chiharu Shiota a trouvé sa signature de plasticienne en enchevêtrant de nombreux objets dans un réseau arachnéen de fils de laine, cuir ou de cordes.
Ariane de l’art
Née en 1972, à Osaka, cette Ariane de l’art représentée par la galerie Templon a véritablement percé en Europe en 2015, avec The Key in the Hand, installation constituée d’une myriade de petites clés suspendues à des fils de laine rouge au-dessus de vieilles barques, présentée au sein du pavillon japonais à l’occasion de la 56e Biennale d’art de Venise. Au premier étage de l’aile sud du Grand Palais, la rétrospective « The Souls Trembles » (Les Frémissements de l’Âme) convoque ce même enchantement, voire davantage.
Plus de vingt ans de création
Conçue avec le Mori Art Museum de Tokyo et présentant 167 œuvres, dont des photos, sculptures, vidéos, dessins, une peinture et neuf installations, elle déroule le fil de sa création protéiforme sur plus de vingt ans. Déjà présentée dans six pays en Asie, l’exposition met notamment en exergue ses débuts de peintre « contrariée » à l’université Kyoto Seika, ses activités de performer, de plasticienne-magicienne tissant inlassablement, avec ses équipes, de monumentales installations nous plongeant dans les profondeurs entremêlées de son âme.
« J’étale mon corps en morceaux épars, et j’entre en conversation avec lui dans mon esprit. C’est le sens que je donne au fait de le relier à ces fils. »
Chiharu Shiota
À brin les corps
Dans ces dernières, ses délicats dessins, sa photographie immortalisant, en 1994, sa performance radicale Becoming Painting, où elle se recouvrit de peinture rouge sang dans une attitude presque christique, ainsi que dans ses sculptures en bronze ou en verre, cette ancienne élève de Magdalena Abakanowicz, Marina Abramović et Rebecca Horn, en Allemagne, parle infatigablement des corps. « J’étale mon corps en morceaux épars, et j’entre en conversation avec lui dans mon esprit, dit-elle. C’est le sens que je donne au fait de le relier à ces fils ». En explorant la fragilité du sien – Chiharu Shiota a fait deux fausses couches et eu deux cancers –, elle interroge le nôtre dans ce qu’il a de plus universel, relatif et éphémère.
« Le sentiment de présence dans l’absence »
Tel est encore le cas, parmi d’autres, de Reflection of Space and Time, pièce composée de robes blanches suspendues dans un réseau serré de fils noirs, où un jeu de miroirs projette, en son sein, le corps du spectateur. Ces présences fantomatiques, ces secondes peaux parlent du corps disparu, de la mémoire, de l’oubli. « À travers cette exposition, je souhaite analyser deux thèmes éminents et profonds absorbés par Shiota, explique la commissaire Mami Kataoka, directrice et conservatrice en chef du Mori Art Museum. Le sentiment de présence dans l’absence, et la vie et la mort. »
Perte et déracinement
En effet, tout dans l’œuvre de Shiota parle de la perte. Perte de l’intégrité de son corps, des choses, du souvenir, comme dans In Silence, de 2002, où l’artiste engloutit dans son jeu arachnéen de fils noirs, un piano et des chaises calcinés. « Lorsque j’avais neuf ans, souligne-t-elle encore, un incendie s’est déclaré dans la maison voisine de la nôtre. Je vis un piano devant la maison. Calciné, devenu totalement noir, il m’apparaissait comme un symbole encore plus beau qu’avant. » Son corpus évoque aussi les notions de déracinement, de déplacement, comme semblent l’indiquer les barques blanches de Where Are We Going?, celles de l’installation Uncertain Journey, ou encore ce ballet impressionnant de valises dans Accumulation: In Search of a Destination, se balançant au gré du passage du public.
Dualités au fil de l’œuvre
Adapté au lieu, l’événement expérientiel, narratif, mental, aux connexions multiples, à l’image de ces fils, métaphores des relations sociales et du système sanguin qui pulse, est en tout point réussi. Nourri de cartels complets expliquant les inspirations de la plasticienne, très discrète dans la vie, par le prisme de ses propres citations, il lève aussi le voile sur ses dispositifs scéniques, moins connus en France, via des photos et vidéos très parlants. Une invitation à un voyage onirique, entre intérieur et extérieur, intime et universel, présence et absence. Immanquable !
« Chiharu Shiota. The Soul Trembles », jusqu’au 19 mars 2025 au Grand Palais, 7 avenue Winston Churchill, 75008 Paris. Tél. 01 40 13 48 00. www.grandpalais.fr