Événement : une sculpture emblématique de Camille Claudel refait surface

Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et l’Âge mûr, modèle créé en 1898 (détail). Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 1 » au pied de l’implorante. Vente Philocale, 16 février 2025. Estimé : 1 500 000 / 2 000 000 €.

Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et l’Âge mûr, modèle créé en 1898 (détail). Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 1 » au pied de l’implorante. Vente Philocale, 16 février 2025. Estimé : 1 500 000 / 2 000 000 €. © Maison de ventes Philocale

Voilà plus d’un siècle que l’on avait perdu sa trace ! L’exemplaire n° 1 de l’Âge mûr de Camille Claudel (1864-1943), fondu en 1907 par Eugène Blot, vient d’être redécouvert par hasard dans un appartement situé au pied de la tour Eiffel. Estimée 1,5 à 2 millions d’euros, cette rarissime version du bronze magistral créé en 1898 par l’ancienne élève, muse et maîtresse d’Auguste Rodin sera offerte au feu des enchères le 16 février prochain à Orléans.

C’est dans le cadre d’un inventaire après décès que le commissaire-priseur orléanais Matthieu Semont de l’étude Philocale a fait cette stupéfiante découverte, en soulevant un drap dans un appartement inhabité depuis une quinzaine d’années au cœur de Paris…

Une icône de la sculpture

Aux côtés de La Valse, La Vague et La Petite châtelaine, L’Âge mûr est sans conteste l’une des œuvres les plus emblématiques de la géniale Camille Claudel. Mais en quoi la réapparition de cet exemplaire, expertisé par le cabinet Lacroix-Jeannest, constitue-t-elle un événement ? Parce que seuls trois exemplaires originaux en bronze étaient connus jusqu’à présent : la fonte à grandeur d’exécution de 1902 (musée d’Orsay), celle de 1913 (musée Rodin), ainsi qu’une version réduite éditée à six exemplaires par le fondeur Eugène Blot en 1907. Le numéro 3 de cette dernière édition a été acquis en 2008 par le musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine, et c’est le numéro « 1 » qui vient de refaire surface.

Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et l’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 1 » au pied de l’implorante. Vente Philocale, 16 février 2025. Estimé : 1 500 000 / 2 000 000 €.

Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et l’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 1 » au pied de l’implorante. Vente Philocale, 16 février 2025. Estimé : 1 500 000 / 2 000 000 €. © Maison de ventes Philocale

« C’est vraiment de la part d’une femme, une œuvre très noble et très poussée. »

Armand Sylvestre, inspecteur des Beaux-Arts, cité par Bruno Gaudichon et Anne Rivière, Camille Claudel, correspondance, Paris, Gallimard, 2003.

De l’intime à l’universel : un testament artistique

Cette saisissante composition, dont on a souligné à loisir la dimension autobiographique et la portée symbolique, laisse éclater au grand jour la maîtrise technique de Claudel, alors au sommet de son art, autant que le tragique déchirement que lui a causé la rupture avec Auguste Rodin en 1892, après neuf ans d’une relation passionnelle. Allégorie des trois âges de la vie, l’œuvre parfois intitulée La Destinée, La Fatalité, Le Chemin de la vie, évoque autant l’inexorable fuite du temps que la relation de l’artiste avec son ancien amant. Le groupe réunit trois personnages agencés autour d’une puissante diagonale : visiblement tiraillé, un homme nu (Rodin) s’avance, inexorablement entraîné par la vieille femme qui surgit d’un tourbillonnant drapé, telle une allégorie de la mort (sa compagne Rose Beuret), tandis qu’une jeune femme agenouillée tente désespérément de le retenir (Claudel).

Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et l’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 1 » au pied de l’implorante. Vente Philocale, 16 février 2025. Estimé : 1 500 000 / 2 000 000 €.

Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, dit La Jeunesse et l’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze à patine brune richement nuancée, 61,5 x 85 x 37,5 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot datant de 1907. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur « EUG. BLOT PARIS » et le numéro « 1 » au pied de l’implorante. Vente Philocale, 16 février 2025. Estimé : 1 500 000 / 2 000 000 €. © Maison de ventes Philocale

« Ma sœur Camille, implorante, humiliée à genoux, cette superbe, cette orgueilleuse, et savez-vous ce qui s’arrache à elle, en ce moment même, sous vos yeux, c’est son âme. »

Paul Claudel, « Ma sœur Camille », Camille Claudel, Paris, musée Rodin, 1951.

Une commande, un refus, trois fontes

C’est par l’entremise de Rodin que Claudel reçoit en juillet 1895, de la part de la direction des Beaux-Arts, la commande d’un plâtre de L’Âge mûr, sujet qu’elle évoquait déjà dans une lettre de 1890 et dont elle adressait à son frère Paul une description accompagnée d’un croquis, en décembre 1893. Le public découvre au Salon de 1899 la version acceptée par l’État, mais la commande n’aboutit pas et la première fonte est finalement réalisée en 1902 par Thiébaut Frères, pour le capitaine Louis Tissier (son fils la cèdera en 1982 au musée d’Orsay). Une seconde fonte est exécutée après l’internement de l’artiste en 1913, sans doute à l’instigation du diplomate Philippe Berthelot, qui lèguera à son ami Paul Claudel toutes ses œuvres de Camille. L’écrivain l’offrira au musée Rodin en 1952, suite à la grande rétrospective consacrée à la sculptrice.

Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze, 121 x 181,2 x 73 cm. Fonte Frédéric Carvillani, 1913. Paris, musée Rodin.

Camille Claudel (1864-1943), L’Âge mûr, modèle créé en 1898. Bronze, 121 x 181,2 x 73 cm. Fonte Frédéric Carvillani, 1913. Paris, musée Rodin. Photo CC0 / Thibsweb

La version réduite d’Eugène Blot

Le marchand et éditeur de sculptures Eugène Blot a joué un rôle majeur dans la promotion de l’œuvre de Camille Claudel, à laquelle il semble avoir apporté un soutien sans faille. Il lui consacre en effet une exposition dans sa galerie parisienne en 1905, et acquiert les droits de reproduction d’une douzaine de ses œuvres afin d’éditer en bronze La Valse, Aurore, La Sirène, Les Causeuses… Intégrée à postériori à L’Âge mûr, la jeune femme agenouillée qui symbolise l’artiste, intitulée L’Implorante, rencontre un vif succès et fait l’objet d’un large tirage. Le groupe de trois figures, réduit au tiers du modèle original, est quant à lui édité en 1907 à six exemplaires numérotés, de grande qualité. Le présent exemplaire, numéro « 1 », est exposé à la galerie en 1907 et 1908.

Camille Claudel (1864-1943), L’Implorante. Bronze, 27,9 x 36,8 x 21,3 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot, 1905. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur et le numéro « 52 ». New York, Metropolitan Museum of Art.

Camille Claudel (1864-1943), L’Implorante. Bronze, 27,9 x 36,8 x 21,3 cm. Fonte au sable d’Eugène Blot, 1905. Signé « C. Claudel », porte le cachet du fondeur et le numéro « 52 ». New York, Metropolitan Museum of Art. Photo CC0

De l’oubli à la gloire

Dès 1911, la santé physique et mentale de Camille Claudel se dégrade : elle cesse de créer, vit dans la misère et détruit ses œuvres pendant ses crises de paranoïa. Trente années d’internement ne contribueront certes pas à asseoir sa notoriété. En 1951, l’importante rétrospective déployée au musée Rodin lui permet un temps de revenir sur le devant de la scène. Il faut toutefois attendre les années 1980 pour que s’opère un véritable mouvement de reconnaissance. La petite-nièce de l’artiste, Reine-Marie Paris, a notamment joué un rôle clé dans la genèse du musée Camille Claudel, inauguré en 2017 à Nogent-sur-Seine.

Vue intérieure du musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine.

Vue intérieure du musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine. © Marco Illuminati

Claudel enflamme les enchères

Si le record du monde pour l’artiste est actuellement détenu par l’éblouissante Valse, première version, passée dans la collection Blot et portant le cachet de la fonderie Siot-Decauville (Sotheby’s Londres, 2013, 6 millions €), le prix des bronzes originaux de Claudel oscille généralement entre 1 et 2 millions d’euros. En novembre 2017, Artcurial créait l’événement en dispersant une vingtaine d’œuvres importantes issues de la collection des héritiers de Louise Claudel, sœur de l’artiste, et de son mari Ferdinand de Massary. Six musées français avaient à cette occasion préempté pas moins de treize œuvres, dont L’Abandon, grand modèle, qui avait dépassé le million d’euros. Un musée français pourrait-il se porter acquéreur de L’Âge mûr ? Peut-être séduira-t-il une institution étrangère, à l’heure où la sculptrice vient de faire l’objet d’une vaste exposition à Chicago et Los Angeles, et s’apprête à investir l’Alte Nationalgalerie de Berlin !

Camille Claudel (1864-1943), La Valse, première version, modèle créé en 1892. Bronze, H. : 96 cm. Fonte Siot Decauville, Paris. Acquis vers 1902 par Eugène Blot. Sotheby’s Londres, 19 juin 2013.

Camille Claudel (1864-1943), La Valse, première version, modèle créé en 1892. Bronze, H. : 96 cm. Fonte Siot Decauville, Paris. Acquis vers 1902 par Eugène Blot. Sotheby’s Londres, 19 juin 2013. Photo service de presse. © Sotheby’s Londres

Le bronze sera exposé à Paris au 20, rue Drouot, le mercredi 12 février de 11h à 18h ; à Orléans, dans les bureaux de Matthieu Semont au 58, rue de la Bretonnerie, le vendredi 14 février ; dans le salon d’honneur de l’Hôtel Groslot (hôtel de ville historique d’Orléans) le samedi 15 février de 14h à 20h et le dimanche 16 février de 10h à 13h.

Vente Orléans, Philocale, le 16 février 2025.