L’Antiquité fait son cinéma à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Liz Taylor dans Cléopâtre, Alain Chabat dans Astérix, Harrison Ford dans le rôle à succès d’Indiana Jones ou encore les performances de Gladiator : l’Antiquité n’en finit plus d’inspirer les créations cinématographiques. C’est ce que nous dévoile la nouvelle exposition de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé grâce à une sélection vertigineuse de 200 objets « stars ». Pénélope Riboud-Seydoux, directrice de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, et Stéphanie Salmon, directrice des collections de cette même Fondation, toutes deux commissaires de l’événement, nous en dévoilent les coulisses…
Propos recueillis par Éléonore Fournié
Pourquoi avoir organisé cette exposition ?
Pénélope Riboud-Seydoux : Reconnue d’utilité publique, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé a pour vocation de recueillir, de conserver et de transmettre les archives de la société Pathé. Nous avons dans nos collections des œuvres qui évoquent l’Antiquité, et ce pour toutes les périodes du cinéma, depuis ses premiers temps jusqu’à nos jours. Si cette époque n’occupe pas la place principale de la filmographie de Pathé, elle est toutefois récurrente dans son catalogue ! En y travaillant, nous nous sommes aperçues que l’Antiquité filmée a été porteuse de messages très divers au fil du temps et qu’elle a accompagné les évolutions techniques du cinéma à grand spectacle, comme le technicolor ou le CinemaScope. Pour parfaire l’illusion d’un monde ancien fantasmé, elle a fédéré de grandes stars, des réalisateurs confirmés, comme les maîtres du décor ou de la création de costumes.
L’exposition met notamment en valeur le fonds Pathé. De quoi se compose-t-il ?
Stéphanie Salmon : Tout d’abord, je tiens à préciser que l’exposition va au-delà des productions de Pathé et rassemble d’autres collections, privées, françaises et étrangères. Mais en effet le fonds Pathé est assez exceptionnel puisque cette société, la principale productrice de films de cinéma avant la Première Guerre mondiale, a conservé ses archives depuis ses origines (1896). De fait, elles ont acquis un statut patrimonial. En 2006, Jérôme Seydoux, président de Pathé, a décidé de créer une fondation pour permettre de préserver et de diffuser ces archives, dites non films, qui vont des rapports comptables aux trois millions de photos en passant par les procès-verbaux d’assemblées générales, aux 10 000 affiches et 700 appareils… En 2015, Pathé a donné plus de 2 000 films muets à la Fondation. Une dizaine a été restaurée à l’occasion de cette exposition. Ce sont à la fois des petits drames amoureux, des films tirés de la Bible ou de pièces de théâtres (comme Britannicus). La Fondation a aussi une politique d’acquisition : le parcours présente ainsi des dossiers de presse et des plaquettes publicitaires des années 1950-1960, qui en disent beaucoup sur les goûts d’une époque.
P. R.-S. : Autant le catalogue des films muets s’arrête en 1929, autant les archives se poursuivent jusqu’à nos jours. Pathé continue donc de verser à la Fondation des scénarios, des story-boards ou des costumes. Ceux du dernier opus d’Astérix, Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu, sorti en 2023, ont été élaborés par une grande créatrice, Madeline Fontaine, qui s’est abondamment documentée, pour les créer, sur les étoffes d’époque Han conservées dans les musées français et chinois. Ces réalisations sont présentées au rez-de-chaussée de la Fondation en introduction au parcours.
Une Antiquité multiple
Au sujet du parcours, comment s’organise-t-il ?
S. S. : Il se divise en trois phases : de 1897 au début des années 1930 avec, par exemple, les films de Cécil B. de Mille ; puis celle des « péplums » (terme qui aurait, d’ailleurs, été inventé par Bertrand Tavernier et les animateurs du cinéclub Nickelodéon au début des années 1960 !), qui couvre la période 1949-1965 ; puis le renouveau à partir des années 2000. La filmographie Pathé accompagne toute ces époques. Mais en élargissant le spectre chronologique, nous avons voulu sortir de l’optique « péplum », qui est sans doute la plus flamboyante mais pas la seule !
P. R.-S. : Oui en regardant de près la chronologie, on s’aperçoit d’une rupture à la fin des années 1960. Le genre « péplum » tend à disparaître, mais on voit aussi l’éclosion de films se référant à l’Antiquité comme le Satyricon de Fellini (1969), L’Évangile selon saint Matthieu (1964) ou encore Médée (1969) de Pasolini. Cependant ce sont des réalisations, comme les metteurs en scène italiens savent les faire, plus érudites, presque archéologiques, reflet d’un « esprit » italien (qui cherche, aussi par le cinéma, à construire une identité et une histoire italiennes communes). Un peu plus tard, à la fin des années 1970 et dans la vague des années 1980, émerge un genre plus humoristique et parodique, avec La vie de Bryan (1979) des Monty Python ou Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ (1982) de Jean Yann. Puis, en effet, le renouveau vient avec la sortie de Gladiator (2000), suivi d’autres comme Troie (2004) ou 300 (2006). Ils marquent véritablement le retour des films épiques et à grand spectacle, qui transforme l’attrait pour l’Antiquité dans le monde entier. Notons, même si l’exposition ne l’aborde pas, que cette époque voit aussi la production de séries saisissantes, comme Rome (2005-2007).
Au regard de tous ces films, on a l’impression que l’époque impériale, soit les premiers siècles de notre ère, est favorisée. Est-ce exact ?
S. S. : Il est vrai qu’après-guerre, la Grèce ne semble pas être source d’inspiration ; mais ce n’est pas aussi simple car la mythologie irrigue de nombreux films, notamment autour des figures d’Hercule ou d’Ulysse (pensons à Kirk Douglas dans le rôle-titre en 1954 !). Et l’Antiquité filmée, c’est aussi la partie biblique, thème très prisé dans l’après-guerre avec Les Dix Commandements (1956) de Cécil B. de Mille (c’est d’ailleurs sa dernière réalisation), ou de multiples Samson et Dalila ou Salomon et la reine de Saba… Le passé gaulois des Français est représenté par des productions mettant en scène la Gaule, Vercingétorix et les druides ; les Étrusques intéressent les réalisateurs italiens. Je crois qu’il faut vraiment envisager l’Antiquité filmée sous des formes multiples. Enfin, on note que, dès les débuts du cinéma, de nombreuses créations s’appuient sur des grands succès de l’édition, comme Quo Vadis ? (paru en 1896), ou Les Derniers Jours de Pompéi (1834), maintes et maintes fois adaptés au cinéma (Quo vadis ? sort ainsi sur les écrans en 1901, 1910, 1912, 1924 et 1951).
La sortie de Gladiator en 2000 a véritablement marqué le retour des films épiques et à grand spectacle, qui transforme l’attrait pour l’Antiquité dans le monde entier.
Quels types d’objets pourra-t-on admirer dans l’exposition ?
P. R.-S. : Ils sont très variés, même s’il n’y a pas d’objets archéologiques. Ce sont des costumes, des décors, des accessoires, des affiches, des documents et objets publicitaires, des photos et des extraits de films. Il faut savoir que plusieurs grands studios américains (dont la MGM) ont, au cours de leur histoire, organisé des ventes, parfois très célèbres, de milliers d’objets iconiques…
S. S. : Parmi les œuvres phares, nous sommes fières de proposer deux robes de Claudette Colbert dans son rôle de Cléopâtre (1934) et deux robes de Liz Taylor dans ce même rôle (1963) (toutes les quatre ont été empruntées aux États-Unis). Elles côtoient le costume de Lana Turner dans Le Fils prodigue (1955), le bouclier d’Achille/Brad Pitt dans Troie (2004), un char de la course de Ben Hur (1959) ou encore les bijoux de Theda Bara en Cléopâtre dans La Reine des Césars (film de J. Gordon Edwards, sorti en 1917, disparu depuis et devenu mythique)…
D’une époque à l’autre
Que dit le cinéma de notre perception de l’Antiquité, mais aussi de son époque ?
P. R.-S. : Les réponses sont complexes car l’Antiquité filmée n’est pas un genre en soi et sa filmographie est très diverse. Par ailleurs, bien des films se réclament d’une grande authenticité sur les décors, les costumes, etc., les productions se vantant d’avoir fait appel à des spécialistes pour la restitution de mondes disparus, les dossiers de presse en faisant des pages sur le degré de documentation, les recherches faites, les experts mandatés, etc. Mais on remarque aussi que la période sert à aborder d’autres thèmes, plus sociaux ; je pense notamment à la question de la nudité. Dans certains films et à certaines époques, l’Antiquité sert d’alibi pour montrer des corps nus : en 1917, par exemple, les vamps du cinéma, qui sont alors Theda Bara (que nous venons d’évoquer) ou Betty Blythe, portent des costumes qui cachent à peine leur corps (pour l’anecdote, le costume mythique de Theda Bara en Cléopâtre a été repris par Marylin Monroe pour une célèbre séance de photos par Richard Avedon en 1958). Le code de production (Motion Picture Production Code) adopté par les États-Unis en 1930 met fin à cette permissivité – qui touche aussi la violence et la sexualité – ; mais dès qu’il est moins appliqué, à partir des années 1950, on voit, en réaction, la réapparition d’allusions à la sexualité et la mise en avant des corps, principalement masculins, notamment dans les productions italiennes (dont Les Travaux d’Hercule de Pietro Francisci en 1958). Ces créations propulsent alors des stars du body-building (comme Steve Reeves) et nourrissent le phantasme de l’homme antique, huilé et tout en muscles (qui servira d’appui à une nouvelle esthétique homoérotique). Parmi les autres thèmes « portés » par l’Antiquité, on voit aussi celui de la liberté, avec un peuple qui se défait de ses chaînes, sous la conduite d’un héros magnifique. Présent dans le péplum d’après-guerre (mais pas uniquement), ce thème reflète très clairement, à ce moment-là, des sujets d’actualité.
S. S. : Pendant la Guerre froide, avec des démocraties qui doivent se (re)définir, la plupart des films américains font preuve d’un incroyable manichéisme avec de nombreux sous-entendus sur les événements contemporains : dans leurs productions, les empereurs sont toujours montrés comme des oppresseurs – approche qui sera plus nuancée du côté italien par exemple.
Pourquoi y a-t-il une alchimie particulière entre Antiquité et cinéma ?
S. S. : Je crois que quelle que soit la période convoquée par un film et la qualité avec laquelle le sujet est traité (et je pense par exemple à l’art de sublimer les ruines comme dans Jason et les Argonautes en 1963), ce qui demeure, c’est l’envie de spectacle, de grandiose. Nous ne sommes pas dans un documentaire. L’Antiquité sert ce projet : cela reste du cinéma !
P. R.-S. : Il n’y a pas que le cinéma ! Les héros antiques, les scintillantes reines d’Égypte ou d’Orient, la grandeur de Rome hantent la littérature comme la peinture depuis toujours. Grandeur et décadence, courage et séduction : comment le cinéma ne s’en serait-il pas emparé ?
Antiquité et cinéma, jusqu’au 29 mars 2025 à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 73 avenue des Gobelins, 75013 Paris. Tél. 01 83 79 18 96 et www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com
Catalogue, édition de la Fondation Pathé, 184 p., 25 €