Peintures rupestres en Afrique du Sud : des artistes paléontologues ?

© Éric Le Brun

Les artistes de culture san ont-ils utilisé un crâne fossile de Dicynodonte, un animal disparu depuis des millions d’années, pour dessiner une créature mythique sur les parois rocheuses ? Une telle hypothèse (délirante ?) permettrait-elle d’expliquer l’inexplicable ?

C’est une antienne aussi vieille que les études d’art rupestre. Des spécialistes et des amateurs croient identifier des motifs sur les dessins, sans se poser de questions quant à la cohérence de leurs observations. Dernier exemple en date : dans les montagnes du Koesberg en Afrique du Sud, un panneau rocheux offre un dessin aux contours étranges : une sorte de gros animal longiligne de profil, à deux pattes et doté d’une espèce de défenses incurvées vers le bas. Partant de la gueule, elles lui donnent l’aspect d’un morse, mais avec une longue queue à la place des nageoires postérieures. Peint par des artistes san semble-t-il au début du XIXe siècle, il représenterait une créature mythique. Aucun morse n’étant connu dans les environs, un géologue non spécialiste de l’art rupestre s’est demandé où les artistes auraient pu trouver un modèle. Bingo ! Dans les environs se trouvent des crânes fossiles de Dicynodontes, des reptiles mammaliens ayant vécu à la charnière des ères Primaire et Secondaire. Les artistes san les auraient identifiés comme les restes d’animaux éteints et les auraient associés à des créatures mythiques : ils seraient ainsi devenus les premiers paléontologues !

Paréidolie en folie

Cette belle histoire se heurte cependant à la réalité : la peinture n’a pas été étudiée en détail et le relevé publié laisse planer le doute quant à la figuration des « défenses » (qui semblent appartenir à d’autres tracés). Dans les illustrations de l’article, il n’y a ni photographie améliorée (via DStretch par exemple), ni relevé permettant de soutenir objectivement l’interprétation de l’auteur. « Ici, seul un relevé partiel de Stow de 1930 a été “photoshopé” pour supprimer les unités graphiques environnantes », explique Romain Lahaye, spécialiste des peintures rupestres sud-africaines. « Si l’idée initiale est intéressante et plausible, le principal reproche que l’on peut lui faire est qu’elle relève de la paréidolie (soit une illusion d’optique qui nous fait reconnaître des images connues dans des formes aux contours flous). L’auteur n’étaye son intuition initiale que par des données qui la confortent (présence de fossiles à proximité, absence de morses dans la région, mythe local très vaguement apparenté), tout en évitant celles qui la remettent en question. L’unité graphique est donc artificiellement isolée des autres figurations qui l’entourent. On pourrait lui objecter que les défenses pourraient n’être que les dents longues d’un phoque à fourrure du Cap (Arctocephalus pusillus), que plusieurs indices suggèrent qu’il pourrait s’agir d’une référence aux “animaux de la pluie” – la forme générale évoque en effet des hippopotames ou des créatures hybrides qui leur sont associées, avec des points sur le corps, de possibles émanations autour du visage (plutôt que des défenses) –, qu’une représentation de serpent à cornes est située à proximité et qu’un site voisin présente des caractéristiques similaires ; enfin qu’il est également envisageable qu’il s’agisse d’une bête ou d’un théranthrope inédit (un hapax) ! Donc si c’est possible, cela me semble tiré par les cheveux ! » Encore une belle histoire qui s’effondre…

Pour aller plus loin :
BENOIT J., 2024, « A possible later stone age painting of a dicynodont (Synapsida) from the South African Karoo », PLoS ONE, 19 (9), e0309908. Doi : 10.1371/journal.pone.0309908
LE QUELLEC J.-L., 2010, La Dame Blanche et l’Atlantide. Enquête sur un mythe archéologique, Paris, Errance.
LE QUELLEC J.-L., 2015, « The death of a pterodactyl », Antiquity, 89 (346), p. 872-884. Doi : 10.15184/aqy.2015.54
LAHAYE R., La mobilisation des données sud-africaines dans l’interprétation rituelle des arts rupestres San du Maloti-Drakensberg, thèse soutenue en 2023 à l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne.