Notre-Dame de Paris restaurée (2/12) : IVe-XIVe siècle. Aux origines de la grande cathédrale gothique

Le flanc sud de la cathédrale Notre-Dame, photographié avant l’incendiede 2019.

Le flanc sud de la cathédrale Notre-Dame, photographié avant l’incendiede 2019. © P. Lemaître. All rights reserved 2024 / Bridgeman Images

Précédée par plusieurs édifices dont les vestiges ont été mis au jour par l’archéologie, la cathédrale Notre-Dame que nous connaissons est sortie de terre entre le XIIe et le XIVe siècle. Sa construction et les premières évolutions de son architecture reflètent la place éminente qu’elle a très vite occupée dans le paysage de Paris.

La cathédrale gothique a succédé à une série d’édifices qui remontaient au IVe siècle, époque où fut créé le siège épiscopal de Paris. Il est difficile de restituer avec précision le paysage monumental du quartier cathédral du haut Moyen Âge, mais les découvertes archéologiques depuis le XIXe siècle ont permis de trouver les traces de plusieurs édifices dédiés notamment à la Vierge, à saint Étienne et à saint Jean-Baptiste. L’église la plus vaste, d’environ 70 mètres de long, s’élevait sous la partie antérieure de la cathédrale gothique et débordait vers l’ouest sous le parvis actuel. Des vestiges de ses fondations sont visibles dans la crypte archéologique aménagée à la suite des fouilles menées sous le parvis, entre 1965 et 1970. Au nord de la façade de la cathédrale actuelle s’élevait l’église Saint-Jean-le-Rond, démolie en 1748. Son vocable rappelait les dispositions primitives d’un édifice de plan centré servant de baptistère. Une troisième église devait s’élever en partie sous le chœur gothique. Des vestiges de son abside orientale ont été découverts lors des travaux d’aménagement du chœur en 1858.

Le quartier cathédral avec les découvertes archéologiques du haut Moyen Âge.

Le quartier cathédral avec les découvertes archéologiques du haut Moyen Âge. Plan D. Busson

« l’édifice, gigantesque, était sans commune mesure avec les églises précédentes »

Un chantier de plus de 80 ans

La mise en chantier de la cathédrale gothique au début des années 1160 à l’initiative de l’évêque Maurice de Sully vint bouleverser le paysage de l’extrémité orientale de l’île de la Cité : l’édifice, gigantesque, était sans commune mesure avec les églises précédentes. La cérémonie de la pose de la première pierre, vraisemblablement dans le chœur actuel, eut lieu en présence du pape Alexandre III au printemps 1163. Les travaux progressèrent rapidement dans le chœur, achevé en 1177 à l’exception des hautes voûtes selon le témoignage de l’abbé du Mont-Saint-Michel, Robert de Torigny. La consécration de l’autel majeur à l’extrémité orientale du chœur se fit en présence du légat pontifical Henri, cardinal-évêque d’Albano, le 19 mai 1182. Entretemps le chantier s’était déplacé dans le transept, et la nef était déjà bien avancée à l’extrême fin du XIIe siècle. La façade occidentale était déjà en cours de construction en 1208, date à laquelle on mentionne la destruction de maisons nécessaire à la progression des travaux. Le gros œuvre était achevé vers 1220 à l’exception des parties supérieures de la façade ouest, galerie d’arcatures et niveau isolé des tours, qui étaient cependant terminés en 1245, au moment de la mise en place de la sonnerie dans la tour nord, dont l’une des cloches était un don de l’évêque de l’époque, Guillaume d’Auvergne.

La façade occidentale de Notre-Dame de Paris (photo prise avant l’incendie de 2019).

La façade occidentale de Notre-Dame de Paris (photo prise avant l’incendie de 2019). © Alamy banque d’images – J. Wen

Maurice de Sully et Notre-Dame

L’évêque Maurice de Sully (1160-1196) fut le principal artisan de la mise en chantier de Notre-Dame, avec l’appui du chapitre cathédral et du roi Louis VII (1137-1180).

Familier de l’Église de Paris dont il était auparavant archidiacre et enseignant à l’école cathédrale, il œuvra aussi bien du point de vue théologique et pastoral – ses nombreux sermons faisaient encore référence au siècle suivant – que sur un plan administratif – l’augmentation des ressources du diocèse sous sa direction servit au financement de l’édifice. Il profita de la présence du pape Alexandre III à Paris pour lui confier la pose de la première pierre de la nouvelle église en 1163. Ce chantier ambitieux était complété par la construction d’un nouveau palais épiscopal au sud de la grande église, au bord du petit bras de la Seine. Maurice de Sully finança personnellement la construction de la cathédrale gothique. Il légua par testament la somme de 100 livres pour la couverture en plomb de l’église, montant qui figure parmi les plus importants mentionnés par les sources. À la fin de sa carrière, il se retirait volontiers dans l’abbaye Saint-Victor, sur la rive gauche où s’élève aujourd’hui la Sorbonne. C’est là qu’il fut inhumé. Son successeur et homonyme, quoique sans lien de parenté, Eudes de Sully (1196-1208), fut le premier évêque à être inhumé dans le chœur gothique de Notre-Dame.

Louis Steinheil, Maurice de Sully, XIXe siècle. Vitrail. Chœur de la cathédrale Notre-Dame.

Louis Steinheil, Maurice de Sully, XIXe siècle. Vitrail. Chœur de la cathédrale Notre-Dame. © P. Lemaître. All rights reserved 2024 / Bridgeman Images

Un phare sur l’île de la Cité

L’échelle hors norme de la cathédrale impliqua de repousser de plusieurs dizaines de mètres vers l’est le nouveau chœur. En implantant la façade gothique en retrait d’une quarantaine de mètres par rapport à l’église antérieure, on put aménager une place en avant de la cathédrale, le parvis, certes beaucoup plus réduit que le parvis actuel, mais dont les dimensions (40 m de large sur 35 de profondeur) en faisaient une des principales places publiques du Paris médiéval, accessible par la rue Neuve-Notre-Dame, dans l’axe de la cathédrale depuis la rue qui traversait l’île de la Cité au débouché du Petit-Pont vers la rive gauche. Le percement de cette voie fut décidé également par l’évêque Maurice de Sully. Il impliquait de déplacer l’hôtel-Dieu, le plus grand hôpital parisien au Moyen Âge, placé sous la tutelle du chapitre de la cathédrale, le long du petit bras de la Seine – où il demeura jusqu’aux travaux haussmanniens du Second Empire, qui le transférèrent au nord du parvis actuel.

Jean Delagrive, le quartier cathédral, Plan détaillé de la Cité, 1754. Détail. Gravure, 81 x 43 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Jean Delagrive, le quartier cathédral, Plan détaillé de la Cité, 1754. Détail. Gravure, 81 x 43 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo BnF

Au sud de Notre-Dame s’élevait le palais épiscopal entièrement renouvelé sous Maurice de Sully, avec appartements, grande salle de réception, chapelle et tour où le trésor de la cathédrale était conservé et qui servait aussi de prison, le palais abritant également l’administration judiciaire épiscopale. Au nord de l’édifice s’étendait le « cloître » des chanoines, un quartier qui était clos la nuit, pour l’isoler du reste de la ville, et où résidaient, dans des demeures très confortables, la plupart des cinquante et un chanoines formant le chapitre cathédral, une institution fondée à l’époque carolingienne, au début du IXe siècle, pour assister l’évêque et qui avait rapidement acquis une autonomie.

La multiplication des chapelles

Dès les années 1220, d’importantes modifications furent apportées à la cathédrale. Parmi elles, l’agrandissement des fenêtres hautes du vaisseau principal entraîna la suppression des oculi, ouvertures circulaires qui ouvraient jusque-là sur les combles des tribunes. Viollet-le-Duc les rétablira au XIXe siècle dans le transept et dans les travées de la nef et du chœur contiguës à la croisée, avec cette différence que ces baies rondes sont désormais vitrées – du fait que les tribunes sont, depuis le XIVe siècle, couvertes en terrasses, et non plus comme auparavant par des toits en appentis. Dès le deuxième quart du XIIIe siècle, des chapelles furent ajoutées sur les flancs de l’édifice pour répondre à la multiplication des fondations de messes par les membres du clergé et des confréries, ce qui nécessitait un nombre accru d’autels pour célébrer des messes basses. Le phénomène concerna d’abord la nef, puis le chœur et enfin le chevet, où les chapelles rayonnantes furent terminées au début du XIVe siècle.

Vincent Hantier, Façade occidentale et parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 1699. Graphite sur papier, 59,2 x 46,2 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Vincent Hantier, Façade occidentale et parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 1699. Graphite sur papier, 59,2 x 46,2 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo BnF

Les métamorphoses du transept

Au début de la seconde moitié du XIIIe siècle, le transept fut agrandi, ses nouvelles façades s’alignant sur les flancs de la nef et du chœur dilatés par l’adjonction des chapelles. On doit le projet de ces nouveaux frontispices à portail unique et grande rose à l’architecte Jean de Chelles, dont le nom est mentionné au bas de la façade du bras sud commencée en février 1258. C’est sans doute Pierre de Montreuil, son successeur décédé en 1267, qui en poursuivit la construction. La flèche médiévale a dû être construite à la fin du XIIIe siècle, des bois médiévaux retrouvés dans les décombres de la flèche de Viollet-le-Duc après l’incendie de 1219 ayant pu être datés des environs de 1280. Les nouvelles façades du transept et la flèche en bois et plomb de la croisée doivent être perçues comme une réponse à la construction récente de la Sainte-Chapelle (1243-1248) à l’autre extrémité de l’île de la Cité, au cœur du palais royal, afin d’abriter les reliques de la Passion du Christ (parmi lesquelles la couronne d’épines) acquises par Saint-Louis de l’empereur latin de Constantinople en 1239 et 1241. Le bouleversement qu’impliquait l’érection de ce nouveau sanctuaire au centre de la capitale ne pouvait laisser indifférent le clergé de la cathédrale, qui tenait à souligner la prééminence de son église dans le paysage monumental parisien.

Jean Fouquet, La Dextre de Dieu chassant les démons, dans Heures d’Étienne Chevalier, Tours, vers 1452-60. New York, The Metropolitan Museum of Art, ms. 71.

Jean Fouquet, La Dextre de Dieu chassant les démons, dans Heures d’Étienne Chevalier, Tours, vers 1452-60. New York, The Metropolitan Museum of Art, ms. 71. Photo The Metropolitan Museum of Art, New York

Au cœur de Notre-Dame

À l’intérieur, l’espace de la cathédrale était hiérarchisé. La partie la plus sacrée était constituée du sanctuaire, dans l’abside, à l’extrémité orientale du vaisseau principal ; s’y trouvaient l’autel majeur et les principales reliques, notamment la châsse de saint Marcel abritant le corps de ce saint évêque de Paris du Ve siècle, laquelle était exposée en hauteur sous un baldaquin juste derrière l’autel. En avant s’étendait le chœur liturgique avec les stalles accueillant les chanoines et les chapelains lors des nombreux offices qui se succédaient toute la journée et que rejoignait parfois l’évêque. Ces espaces liturgiques étaient isolés par une clôture de pierre du reste de la cathédrale afin d’éviter les perturbations occasionnées par la masse des fidèles. Il reste d’importants vestiges de la clôture nord et sud du chœur, qui vint compléter dans la première moitié du XIVe siècle le jubé élevé dans les années 1230 entre les piliers orientaux de la croisée – jubé dont de magnifiques vestiges ont été découverts lors des fouilles récentes à cet endroit de la cathédrale.

Israël Silvestre, Veuë de l’Archevesché de Paris, et du pont de la Tournel prise de dessus le pont de l’Hostel Dieu, 1658. Le nouveau palais épiscopal construit par Maurice de Sully longe le petit bras de la Seine. Eau-forte, 19,8 x 11,5 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Israël Silvestre, Veuë de l’Archevesché de Paris, et du pont de la Tournel prise de dessus le pont de l’Hostel Dieu, 1658. Le nouveau palais épiscopal construit par Maurice de Sully longe le petit bras de la Seine. Eau-forte, 19,8 x 11,5 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo BnF

Le rayonnement d’un modèle

Le gigantisme de la cathédrale et le raffinement de son décor répondaient à la volonté de son clergé d’affirmer son statut à l’échelle de Paris et au-delà du diocèse dont elle était l’église mère. Tous les habitants de ce dernier étaient d’ailleurs invités à venir la visiter au moins une fois par an. Lors des grandes fêtes religieuses, d’impressionnantes processions partaient de la cathédrale pour desservir, accompagnées de reliques, un itinéraire dans la ville. Aucun édifice n’est autant cité dans le périmètre de l’Île-de-France que couvrait l’ancien diocèse : bien des éléments du plan de la cathédrale, de son élévation et de son décor ont été repris, certes à échelle réduite, dans la quasi-totalité des églises médiévales qui nous sont parvenues aux alentours, un témoignage éloquent de l’ascendant de la cathédrale à l’horizon régional.