Saint-Denis révélée par l’archéologie (4/5). Nouvelles données sur l’abbaye médiévale de Saint-Denis

Vue du mur et du pavage de l’abreuvoir du XIVe siècle. Document, UASD 

Vue du mur et du pavage de l’abreuvoir du XIVe siècle. Document, UASD  photo, M. Wyss

Saint-Denis fut, pendant des siècles, la plus florissante et la plus influente des villes de France. Abbaye royale dès le VIIe siècle, ornée d’une somptueuse basilique, elle préserve des vestiges historiques de premier plan, témoins de son extraordinaire passé médiéval. Menées depuis plusieurs décennies, les fouilles archéologiques dévoilent peu à peu l’histoire de la ville – qui est aussi une histoire de l’archéologie urbaine. À l’occasion de deux grandes campagnes menées sous la basilique-cathédrale et sous la place Jean-Jaurès, Archéologia vous propose une synthèse de ces riches heures dionysiennes.

Les auteurs de ce dossier sont : Claude Héron, chef de service, Ville de Saint-Denis, Direction de la Culture, Unité d’archéologie ; Ivan Lafarge, responsable d’opération, Bureau du patrimoine archéologique, Département de la Seine-Saint-Denis ; Michaël Wyss, archéologue émérite à l’Unité d’archéologie de la Ville de Saint-Denis ; Georges El Haibe, responsable scientifique Inrap de la fouille de la place Jean-Jaurès à Saint-Denis ; Clément Tulet, adjoint au responsable scientifique, USAD, de la fouille de la place Jean-Jaurès à Saint-Denis

Plan de l’ensemble abbatial : en gris, les bâtiments connus uniquement à partir des plans antérieurs à la reconstruction du XVIIIe siècle ; en tracé noir, les constructions médiévales conservées ou reconnues en fouille. Document, UASD ; dessin, M. Wyss ; infographie, J.-P. Marie. 1. église abbatiale ; 2. cloître ; 3. hôtellerie ; 4. bâtiment des moines avec salle capitulaire en rez-de-chaussée ; 5. chapelle Saint-Clément ; 6. réfectoire ; 7. cuisine ; 8. porte de l’abbaye ; 9 et 10. infirmeries ; 11. palais abbatial ; 12. fossé sud du castellum ; 13. conduit souterrain du XIIe siècle ; 14. enceinte monastique ; 15. conduit souterrain du XIV e siècle ; 16. jeu de paume ; 17. abreuvoir à chevaux.

Plan de l’ensemble abbatial : en gris, les bâtiments connus uniquement à partir des plans antérieurs à la reconstruction du XVIIIe siècle ; en tracé noir, les constructions médiévales conservées ou reconnues en fouille. Document, UASD ; dessin, M. Wyss ; infographie, J.-P. Marie. 1. église abbatiale ; 2. cloître ; 3. hôtellerie ; 4. bâtiment des moines avec salle capitulaire en rez-de-chaussée ; 5. chapelle Saint-Clément ; 6. réfectoire ; 7. cuisine ; 8. porte de l’abbaye ; 9 et 10. infirmeries ; 11. palais abbatial ; 12. fossé sud du castellum ; 13. conduit souterrain du XIIe siècle ; 14. enceinte monastique ; 15. conduit souterrain du XIV e siècle ; 16. jeu de paume ; 17. abreuvoir à chevaux.

Abbaye majeure de l’Occident médiéval, Saint-Denis a été reconstruite au XVIIIe siècle sur les plans du célèbre architecte français Robert de Cotte. Dans son sous-sol, elle conserve encore les vestiges de son riche passé médiéval. Après la vaste opération de fouilles entreprise dans les années 1970, l’Unité d’archéologie de la Ville de Saint-Denis (UASD) continue d’étudier la topographie de l’abbaye dans le cadre de ses recherches sur le Saint-Denis ancien.

 Depuis 1993, l’UASD a effectué plusieurs opérations à l’intérieur du périmètre de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur. En 2011-2012, une fouille préventive portant sur un peu plus de 8 000 m2 a fourni des informations inédites sur le fonctionnement de l’abbaye médiévale.

L’hydraulique monastique

Situé à 200 m à l’est de la basilique, le site archéologique se trouve à l’écart des bâtiments claustraux dans un secteur affecté à des dépendances et des jardins que se partageaient l’infirmerie monastique et le palais abbatial. Il se trouve sur une légère éminence, qui a joué un rôle majeur dans l’alimentation en eau courante de l’abbaye située en aval. Peu avant 832, il est traversé par un canal de dérivation qui capte les eaux de la rivière du Croult. En 869, ce canal du Croult est doté de deux prises d’eau qui, par gravitation, irriguent les fossés du castellum que Charles le Chauve (823-877) fait édifier pour protéger l’abbaye des raids vikings. Le fossé septentrional alimente les premiers moulins de l’abbaye et donne naissance au canal urbain ; le fossé sud perdure jusqu’au XVIe siècle sous la forme d’un étang utilisé par le monastère comme vivier pour approvisionner en poisson frais sa cuisine maigre. À partir du XIIe siècle, une adduction d’eau souterraine alimente l’abbaye en eau potable. La fouille a révélé deux états successifs de ce conduit dont le dernier a dû mettre en œuvre du plomb, si l’on en juge par la protection en caisson de pierre dont il bénéficiait.

Caisson protecteur du conduit souterrain du début du XIVe siècle. Document, UASD

Caisson protecteur du conduit souterrain du début du XIVe siècle. Document, UASD photo, M. Wyss

L’enceinte monastique de la fin du XIIIe siècle

Mathieu de Vendôme, abbé de 1258 à 1286, fait protéger l’abbaye d’une nouvelle enceinte. Pour la première fois, une fouille a permis d’en étudier un tronçon, conservé sur plus de 50 m de long, ainsi qu’une de ses tours circulaires. La fondation et les premières assises du mur de courtine étaient conservées. Le mur, épais d’à peine 0,70 m, était doté sur sa face interne de contreforts relativement rapprochés : ils étaient probablement reliés par des arcs muraux qui ont dû supporter une coursive. Cette dernière devait être desservie par un système d’échelles ou d’escaliers aménagé dans la tour. Le mur en pierre de taille mettait en œuvre des blocs mesurant jusqu’à 1,10 m de long, caractéristique des maçonneries du deuxième tiers du XIIIe siècle de la basilique.

Un abreuvoir à chevaux du XIVe siècle

La construction d’un abreuvoir, dans le courant du XIVe siècle, cadre bien avec cette époque de faste marquée par le train de vie des abbés de Saint-Denis et leur goût prononcé pour les chevaux de parade, à l’imitation des grands du royaume. Le bassin, de plan rectangulaire, mesure intérieurement 15,20 m de long sur 11,70 m de large et sa profondeur devait atteindre 1,80 m par rapport au sol environnant. Il était construit en calcaire de l’Oise et doté, au sud, d’une rampe d’accès, large de 3,80 m. Le fond du bassin était pavé de grès avec des joints fichés d’éclats de calcaire et de silex afin d’éviter aux chevaux de déraper. Le bassin se remplissait au moyen d’une prise d’eau établie sur le canal du Croult et son trop-plein devait se déverser dans l’étang qui subsistait à l’emplacement du fossé carolingien.

Vestige d’un jeu de paume des XVe et XVIe siècles

La rampe d’accès du bassin débouchait face à l’entrée d’une cour de plan très allongé (52 m de long sur 12 m de large) établie à l’arrière de la courtine. Dans un premier temps, cette cour semble être affectée à des activités liées à l’entretien des chevaux. Puis, sans doute au cours de la guerre de Cent Ans, le mur de courtine est démantelé. L’archéologie montre qu’il est rétabli presque aussitôt quand la cour est utilisée comme jeu de paume (ce jeu était coutumier dans les grandes abbayes et Saint-Denis possédait plusieurs terrains). Le terrain est de plus doté d’une galerie adossée au mur reconstruit. Cette galerie en bois est identifiée à partir de la trace d’une sablière rectiligne implantée à 2 m du mur et reconnue sur une longueur de 18 m. Cette construction, destinée aux spectateurs, était protégée par un toit en appentis couvert de tuiles ; elle a pu s’étendre jusqu’à un muret adossé au petit côté sud de la cour. Implanté de biais, ce muret a été épaissi car son élévation jouait sans doute un rôle particulier dans l’architecture du terrain de jeu. Il servait peut-être de tambour pour influer sur la trajectoire des balles ; si cette hypothèse est bonne, la réception du service se serait faite du côté sud, appelé devers. À en juger par la stratigraphie, le sol de la cour était établi sur un apport de remblai, mais son revêtement a disparu.

Les trois premières assises du mur de courtine du XIIIe siècle. Au-dessus, les deux premières assises liées au jeu de paume du XVe siècle. Document, UASD

Les trois premières assises du mur de courtine du XIIIe siècle. Au-dessus, les deux premières assises liées au jeu de paume du XVe siècle. Document, UASD photo, M. Wyss