Une toile « de première importance » : le Louvre acquiert sa première peinture du sculpteur Pierre Puget

Pierre Puget (1620-1694), Le Chef de saint Jean-Baptiste, vers 1675-1680. Huile sur toile, 46,5 x 71 cm. Paris, département des Peintures du musée du Louvre. © DR
Dans la monographie parue en 2023 aux Éditions Faton, Klaus Herding évoquait le Chef de saint Jean-Baptiste comme un tableau de Pierre Puget (1620-1694) « de la première importance ». Le Louvre vient d’acquérir l’œuvre, que le public avait pu admirer lors de la dernière édition de la FAB Paris, en novembre 2024. Le musée possède plusieurs chefs-d’œuvre sculptés par l’artiste et quelques dessins, mais ne conservait aucune peinture. Une lacune que comble admirablement la toile, qui sera accrochée dans les salles d’ici quelques mois, après un passage par les ateliers du C2RMF.
Les départements des Peintures et des Sculptures du musée du Louvre ont travaillé de concert à l’acquisition du Chef de saint Jean-Baptiste de Pierre Puget. Le premier ne conservait aucune œuvre de l’artiste, le second en est généreusement doté. Sébastien Allard et Nicolas Milovanovic pour le premier, Sophie Jugie et Valérie Carpentier pour le second, ont repéré l’œuvre en septembre dernier. Elle avait appartenu à l’historien de l’art Klaus Herding, auteur de la première monographie consacrée à un artiste renommé comme sculpteur, mais encore méconnu comme peintre. À sa mort en 2018, la toile a été vendue à une galerie allemande, puis acquise par la galerie parisienne de Bayser, auprès de qui les conservateurs ont négocié son achat.
« La cote des peintures de Puget n’est pas exceptionnelle, du fait de sa fortune critique en tant que peintre. Ses tableaux ont longtemps été considérés comme plus faibles que ses sculptures. »
Nicolas Milovanovic
L’un des plus beaux tableaux de Puget
« Nous sommes très fiers de cette acquisition. Elle est d’autant plus importante que le musée du Louvre, connu pour les sculptures de l’artiste, ne conserve pas de tableau de Puget, et qu’il s’agit de l’une de ses plus belles peintures. Cet achat nous permet de rendre justice au talent de peintre de Puget, que nous avons choisi de montrer au public en accrochant Le Chef de saint Jean-Baptiste non loin de ses œuvres sculptées. Il sera visible dans le courant de l’année 2025, sans doute avant l’été » a déclaré Nicolas Milovanovic à Actu-culture.com. L’œuvre sera auparavant confiée au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) pour une intervention qui devrait être mineure, le tableau étant en très bon état.
Dans la cour Puget, au musée du Louvre, sont exposés les chefs-d’œuvre de Pierre Puget, Milon de Crotone (1672-1682, au centre) et L’Enlèvement d’Andromède par Persée (1679-1684, à gauche). Le Chef de saint Jean-Baptiste sera accroché à proximité. © Adobestock
Une composition d’une grande sobriété
La dévotion à saint Jean-Baptiste s’est développée au XVIIe siècle sous l’impulsion de certains ordres religieux et de l’ordre de Malte, dont il était le saint patron. La raison pour laquelle Puget a peint cette tête n’est pas connue, mais elle peut être à rechercher de ce côté. L’artiste a représenté le chef du saint posé sur un plat en étain. Le visage aux yeux clos est tourné vers la gauche, où se trouve un drap dont la blancheur est altérée par quelques éclaboussures de sang et bleuie par les ombres. L’ensemble est posé sur un socle de pierre sculpté. La tête saigne peu ; seules quelques gouttes s’écoulent du plat, formant la signature de l’artiste, « puget ». Ce n’est pas une vision d’horreur qu’a peinte l’artiste, mais une composition empreinte de gravité dont le style suggère une datation postérieure à 1675, voire 1680.
Détail de la signature du Chef de saint Jean-Baptiste par Pierre Puget, vers 1675-1680. Huile sur toile, 46,5 x 71 cm. Paris, département des Peintures du musée du Louvre. © DR
« La composition, qui se limite à de rares accessoires et renonce aux flots de sang habituels, présente la tête de manière isolée et gagne en cohérence, d’où émane une profonde gravité. L’âpreté du thème est soulignée par une palette inhabituelle chez Puget. Le visage de Jean-Baptiste a déjà légèrement changé de couleur. Un teint cireux approchant déjà du gris vert prédomine – les lèvres apparaissent violacées. En même temps, cette tête exerce une sorte de séduction, avec l’épaisse chevelure brune et le blond duvet de la barbe. »
Klaus Herding
Une toile « de première importance »
L’historien de l’art Klaus Herding souligne la sculpturalité du Chef de saint Jean-Baptiste, qu’il rapproche, pour ce traitement des figures, d’autres tableaux tardifs de Puget, David regardant la tête de Goliath (1671, Québec, Université Laval) et L’Éducation d’Achille par le centaure Chiron (vers 1685-1694, Marseille, musée des Beaux-Arts). À ce moment, Puget pratiquait la peinture depuis longtemps, mais ne s’était encore pas affirmé comme artiste total. Sur L’Enlèvement d’Andromède par Persée, sculpture exécutée entre 1679 et 1684 pour faire pendant au Milon de Crotone dans les jardins de Versailles, il signe : « PVGET. MASSIL. S[cvl]P. ARCH. ET PIC », revendiquant sa triple qualité de sculpteur, d’architecte et de peintre – outre son origine marseillaise. C’est justement à Marseille, à la Vieille Charité, que se tiendra les 6 et 7 mars prochains un colloque consacré à l’artiste et à sa fortune critique, au cours duquel une communication sera consacrée au Chef de saint Jean-Baptiste.
Pierre Puget (1620-1694), L’Enlèvement d’Andromède par Persée, 1679-1684. Marbre, H. 320 cm. Paris, département des Sculptures du musée du Louvre. © Adobestock