Le musée de la Typographie à Tours
Casse en braille, conservée au musée de la Typographie à Tours. © Alain Richard
Dans une ruelle du centre historique de Tours, à l’ombre de la cathédrale, se trouve une ancienne boutique remplie de trésors. C’est à cet endroit que Muriel Méchin a accumulé une collection unique d’objets en rapport avec le métier de typographe.
La passion pour le métier n’a pas quitté Muriel Méchin au moment de la retraite. Né en 1940, il avait 14 ans lorsqu’il est devenu apprenti typographe dans une imprimerie de Château-la-Vallière, une petite commune d’Indre-et-Loire.
Travaux de ville
C’était l’époque où chaque commune avait au moins un imprimeur pour réaliser les travaux de ville : menus, faire-part, cartes de visite, et même prospectus et bons de commande pour les commerçants. Pendant quatre ans, le jeune homme apprend la composition, l’impression et le massicotage, puis il est embauché comme ouvrier-typographe. Mais en 1959, rattrapé par l’Histoire, il est envoyé pour son service militaire en Algérie pendant 28 mois. À son retour, il trouve du travail à Tours, d’abord à l’imprimerie Berger puis à l’imprimerie Chaumeil où il améliore ses compétences et continue à produire des travaux de ville mais aussi des catalogues en couleur. C’est le début des machines Heidelberg, ces grosses presses allemandes automatiques et électriques qui transforment le métier de l’ouvrier typographe : il ne presse plus la pédale au pied et ne pose plus manuellement les feuilles pour l’impression. La machine imprime beaucoup plus vite mais nécessite toujours une surveillance humaine de chaque instant.
L’entrée du musée de la Typographie à Tours. © Alain Richard
Dans le centre historique de Tours
Muriel Méchin travaillera ensuite l’offset chez Viaud à Joué-les-Tours puis chez Eppe à Tours, avant de devenir technico-commercial pour les duplicateurs Stencil et l’offset de bureau Gestetner dans les années 1970. Fort de ses expériences variées, il enseignera pendant dix ans la typo-offset dans un lycée professionnel de Lyon avant de revenir à Tours pour y diriger l’imprimerie de la préfecture chargée de réaliser les différents papiers et affiches officiels ainsi que les formulaires à remplir. Au moment de prendre sa retraite, il se demande quoi faire des nombreux objets qu’il a récupérés peu à peu au cours de sa carrière et décide en 2009 d’ouvrir un petit musée dans une boutique du centre historique de Tours. Cette collection initiale va encore s’enrichir de diverses trouvailles. Au gré des salles des ventes, des brocantes et des dons offerts par des imprimeurs cessant leur activité, Muriel Méchin rassemble une collection comportant des pièces exceptionnelles.
Presse à pédale Hirondelle fabriquée par la société Quernel en 1895 à Paris, actionnée par Muriel Méchin. © Alain Richard
« Au moment de prendre sa retraite, [Muriel Méchin] se demande quoi faire des nombreux objets qu’il a récupérés peu à peu au cours de sa carrière et décide en 2009 d’ouvrir un petit musée dans une boutique du centre historique de Tours. »
Plaques de cuivres et bois gravés
Le musée présente différents types de matériel de gravure. Dans une brocante de l’île d’Oléron, Muriel Méchin a eu la chance de trouver quatre plaques de cuivre en taille douce du XVIIIe siècle en parfait état. Si les imprimeurs rayaient généralement les plaques afin d’empêcher leur réutilisation, cela n’était pas toujours le cas. Le collectionneur possède également de nombreux bois gravés à la main au burin sur des planches de buis à l’épaisseur typographique, c’est-à-dire qui peuvent être imprimées en même temps que le texte dans la presse. Plusieurs d’entre elles ont trait à l’épopée napoléonienne et datent du XIXe siècle, de même que des bois gravés par Pierre Gusman (1862-1941) ayant servi à illustrer des œuvres d’Honoré de Balzac parues aux éditions Louis Conard.
La Douleur aiguë, artiste inconnu, cuivre du XVIIIe siècle et son tirage. © Alain Richard
Hommage à Balzac
Car, à travers ses collections, Muriel Méchin tient à rendre honneur à la tradition d’impression de la ville de Tours. Balzac y est né en 1799 et a commencé comme imprimeur. Ne sachant faire fortune dans ce métier, il se lança dans l’écriture pour y connaître le succès que l’on sait. Le musée possède un exemplaire des Proverbes romantiques d’Auguste Romieu, un livre imprimé chez Balzac en 1827, alors qu’il n’a exercé que de 1826 à 1828. C’est à cette date que sa maîtresse, Madame Deberny, lui racheta ses machines et son matériel pour les donner à son fils. Ce dernier avait probablement davantage le sens des affaires, puisqu’il se retrouva à la tête d’une imprimerie tourangelle très prospère. Son fonds fut ensuite racheté par le fondeur Tuleu, qui fusionna en 1923 avec la fonderie de Georges Peignot, mort à la guerre en 1915. C’est l’origine de la célèbre maison Deberny et Peignot, productrice de machines et fonderie réputée de caractères d’imprimerie. Charles Peignot, le fils de Georges, mena l’entreprise tout en publiant la revue Arts et métiers graphiques.
Bois gravé par Pierre Gusman d’après des œuvres de Charles Huard pour les Illusions perdues paru dans les œuvres complètes d’Honoré de Balzac aux éditions Louis Conard (1912-1940). © Alain Richard
« À travers ses collections, Muriel Méchin tient à rendre honneur à la tradition d’impression de la ville de Tours. Balzac y est né en 1799 et a commencé comme imprimeur. »
Auguste Romieu, Proverbes romantiques, ouvrage publié par l’imprimerie d’Honoré de Balzac en 1827. © Alain Richard
Photogravure
Le musée présente également des plaques de photogravure qui ont succédé aux bois gravés dans les imprimeries dans les années 1860. Ce sont des plaques de zinc avec une couche sensible à la lumière. Le négatif de la photographie ou du dessin d’origine est posé sur la plaque, puis soumis à des rayons ultraviolets. On plonge ensuite la plaque dans un bain d’acide. Partout où la lumière l’a brûlée, le motif d’origine réapparaît. Placée sur la presse, l’image est imprimée en même temps que les caractères, comme on le fait avec des bois gravés.
Des casses et des caractères
Le musée présente deux rangs et 54 polices complètes de caractères latins fondus dans l’alliage traditionnel de plomb (80 %), d’étain (15 %) et d’antimoine (5 %). On peut voir le plan de la casse, c’est-à-dire le document expliquant où sont rangés les caractères en capitales, en bas de casse ainsi que les espaces. Tout le matériel du typographe est exposé et Muriel Méchin répond volontiers aux questions sur son utilisation. Parmi les caractères exceptionnels, il est fier de présenter un lot en provenance de l’imprimerie Protat de Mâcon, celle-là même dont l’ancêtre Jules Protat a identifié et sauvé au XIXe siècle le plus vieux bois gravé du monde occidental, appelé « bois Protat » et daté du début du XVe siècle. Lorsque cette imprimerie historique a fermé en 2022, son fonds a été dispersé à Drouot. Muriel Méchin avait repéré plusieurs éléments remarquables fondus chez Deberny et Peignot dans les années 1950 : six casses de 5 226 hiéroglyphes, du grec, de l’hébreu, de l’éthiopien, de l’arabe, du sanskrit, du celtibérien… Avec le lot se trouvait le catalogue de 1961 de tous les caractères disponibles à l’imprimerie Protat. La maison avait mis sept ans à l’établir.
Hiéroglyphes provenant de l’imprimerie Protat à Mâcon. © Alain Richard
Caractères spéciaux
Le musée de la Typographie présente également d’autres raretés, telle une casse de caractères en braille achetée à un brocanteur des Deux-Sèvres. Dans le livret l’accompagnant, le collectionneur avait remarqué le dessin de la presse servant à les imprimer. Par chance, la semaine suivante, il découvrit chez un autre brocanteur une presse de cette nature qui fut réparée grâce à un ami ébéniste. On peut encore admirer des notes de musique offertes par Monsieur Narbonne, qui était spécialisé dans la typographie des partitions, des caractères permettant d’imprimer les formules chimiques ou mathématiques, ou des caractères chinois.
Composition de formule chimique et son tirage. © Alain Richard
« On peut encore admirer des notes de musique offertes par Monsieur Narbonne, qui était spécialisé dans la typographie des partitions. »
Partition d'une liturgie évangélique : plaque et impression. © Alain Richard
« Caractères à combinaison » Super Veloz
Mais Muriel Méchin est particulièrement heureux de détenir une casse de « caractères à combinaison » Super Veloz mis au point par le Catalan Joan Trochut-Blanchard. Cet ensemble qui se trouvait chez un imprimeur de Chantilly fonctionne comme un Meccano : le typographe combine divers éléments pour créer lui-même des lettres, selon son inspiration. On les utilise peu car c’est un jeu de patience. Il s’agit plus d’une curiosité intellectuelle et esthétique que d’un outil de travail. Récemment, le petit-fils de Trochut-Blanchard, Alex Trochut, a dessiné une nouvelle police avant-gardiste pour l’horloger suisse Jaeger-LeCoultre.
Police de caractères à composition Super Veloz mise au point par Joan Trochut-Blanchard. © Alain Richard
« Le typographe combine divers éléments pour créer lui-même des lettres, selon son inspiration. »
Presses à foison
Le musée dispose de plusieurs presses mécaniques de tailles différentes. Les mini-presses de salon servaient à imprimer des cartes de visite ou des ex-libris. Une petite presse à main Dubuit reproduit en miniature la technique des grandes presses à pédale Hirondelle. Pour faire fonctionner ces dernières, il faut se tenir debout et étaler l’encre sur la table d’encre, puis poser manuellement la feuille et enfin appuyer avec le pied sur une pédale pour activer l’impression. Le rythme est de 800 feuilles à l’heure. On peut procéder à des tirages en couleurs en nettoyant la table d’encre entre deux passages pour y étaler les couleurs primaires à tour de rôle. Une des trois presses Hirondelle conservées dans le musée a été fabriquée par la société Quernel à Paris en 1895. Muriel Méchin l’a achetée à un brocanteur du Loir-et-Cher qui exposait à la brocante mensuelle du boulevard Béranger à Tours.
Petite presse à main Dubuit. © Alain Richard
« Une petite presse à main Dubuit reproduit en miniature la technique des grandes presses à pédale Hirondelle. »
Des machines en état de fonctionnement
Comme toutes les machines du musée, elle est aujourd’hui en état de fonctionnement. En effet, le collectionneur remet en état tout le matériel qui est exposé et procède à des impressions à titre pédagogique. Certains tirages sont d’ailleurs en vente dans la boutique. Une autre de ces machines lui a été donnée par un médecin de Bessé-sur-Braye, dans la Sarthe, dont le grand-père était imprimeur. Le musée expose également une presse à épreuves de marque Deberny et Peignot, c’est-à-dire une petite presse entièrement manuelle qui permet de faire un essai présenté au client afin qu’il signe le « bon à tirer » avant l’impression définitive. Elle a été achetée à un imprimeur d’Amboise à la retraite, M. Pinçon. Des trésors à découvrir sans tarder !
Musée de la Typographie, 13, rue Albert-Thomas, 37000 Tours. Ouvert de 14h à 18h sauf le dimanche. Tél. : 02 47 38 93 25.