Les dessous du Vishnu livrent leurs secrets au laboratoire Arc’Antique à Nantes

Vishnu. Époque angkorienne, seconde moitié du XIe siècle, Mébon occidental. Bronze, H. 123 cm. Phnom Penh, musée national du Cambodge. © Thierry Ollivier
Nouvelle étape pour le Vishnu du Mébon, joyau du musée national du Cambodge datant du XIe siècle, présenté à partir de la fin avril au sein de l’exposition « Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin » : le laboratoire Arc’Antique, à Nantes.
D’ici quelques semaines, il trônera dans la cour khmère du musée Guimet. Pour l’heure, Vishnu repose sur un chariot à roulettes entre les murs d’Arc’Antique, bardé de scotchs blancs disposés en carrés.
Cartographie chimique
« Ce sont les zones de tests de différents niveaux de nettoyage, explique Jane Échinard, conservatrice-restauratrice. Notre objectif est de stabiliser la statue et d’améliorer sa lisibilité. » Retrouvée en 1936 dans le puits central du temple du Mébon occidental, situé sur un îlot au centre du plus grand baray (réservoir) d’Angkor, la sculpture monumentale en bronze, ornée de colliers et de bracelets, était, à l’origine, entièrement dorée, ce dont témoignent quelques traces encore visibles à l’œil nu. Mais la responsable du laboratoire prévient : « Le traitement ne fera pas ressurgir la dorure, ses restes sont perdus dans un mille-feuille de corrosion. » Seul le numérique permettra une restitution de l’aspect originel, appuyée sur les études techniques menées entre mai et octobre 2024 par le C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France) : « La cartographie chimique que nous avons réalisée, explique David Bourgarit, ingénieur de recherche, a montré l’étendue des reliquats d’argent dans l’œil et les plis de beauté, ou encore, sur la bouche, ceux de cinabre, un pigment rouge. »
Étude sur le Vishnu du Mébon occidental d’Angkor. © D. Bourgarit
Étude du cuivre et de l’argile
Au-delà de la polychromie, les analyses avaient également pour but de déterminer l’état de conservation de la statue et d’avancer dans la compréhension de sa fabrication. « Grâce à la radiographie gamma, nous avons vu que le mortier mis en place dans les années 1950 pour sécuriser le bras avant et réinstaller le bras arrière était en bon état et pouvait rester en place, poursuit l’archéométallurgiste. Elle a par ailleurs révélé que les mains étaient assemblées, ce que les bracelets dissimulaient. » Les alliages utilisés pour la statue et les fragments retrouvés dans le même puits ont eux aussi été étudiés et comparés avec le cuivre tiré du complexe minier et métallurgique identifié en 2021 à 190 km au nord-est d’Angkor. « Chhaep est considéré comme une source possible du cuivre d’Angkor, commente Brice Vincent, archéologue de l’École française d’Extrême-Orient et directeur du programme de recherche LANGAU, consacré à l’étude de la métallurgie du cuivre dans le Cambodge angkorien (EFEO/ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge). Les très fortes concordances constatées – sauf pour une main qui compte parmi les fragments – confirment que ce site est un candidat intéressant. »
Un nouveau socle
Reste enfin le lieu de réalisation de la statue, fabriquée selon la technique de la fonte à la cire perdue : les vestiges de noyau d’argile préservés sur la face intérieure vont être confrontés à des échantillons prélevés sur le site exceptionnel de fonderie découvert à Angkor, en 2012, à quelques mètres à peine du palais royal, et étudié dans le cadre du même programme (voir Archéologia n° 633). Une fois nettoyés et stabilisés, le buste et les fragments de dos et jambes seront positionnés sur un nouveau socle. Alors que depuis les années 1950, Vishnu reposait sur les coudes, il retrouvera ainsi une disposition plus aérienne, conforme à celle d’origine : allongé de tout son long et flottant sur son serpent d’éternité.