Sage comme une image ? Au XIXe siècle, les enfants changent de visage

François-Séraphin Delpech (1778-1825), d’après Louis-Léopold Boilly (1761-1845), L’enfance (détail), 1823-1828. Lithographie, 37,9 x 27,4 cm. La Rochelle, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © Musée des Beaux-Arts de la Rochelle / Max Roy
Entre 1790 et 1850, les enfants prennent une place grandissante dans l’art. Plus d’une centaine de peintures, sculptures, estampes et photographies en témoignent au musée de Tessé du Mans.
En 2022, à l’occasion de la signature d’une convention de coopération scientifique entre le musée du Louvre et les musées du Mans, l’attention de Stéphanie Deschamps-Tan, conservatrice en chef au département des Sculptures du Louvre, et Côme Fabre, conservateur au département des Peintures, est attirée par deux œuvres du musée de Tessé, le portrait d’une famille et celui d’un petit garçon.
« À cette époque, il devient naturel de montrer son attachement à sa progéniture, pour laquelle s’ouvre par ailleurs la possibilité d’une ascension sociale grâce à une bonne éducation ; les artistes s’attachent de plus en plus à individualiser leurs jeunes modèles, attentifs à leurs pensées, leurs sentiments et leurs centres d’intérêt propres. »
Une société en pleine mutation
Portrait d’un père de famille avec ses enfants, d’un peintre anonyme, date des environs de 1805. Cette belle toile de grandes dimensions est peut-être unique en ce qu’elle montre ostensiblement dans un portrait de famille – un genre alors très codifié – la tendresse d’un père pour ses trois garçons et sa fille, ainsi que l’éducation raffinée qui leur est prodiguée par cet homme paraissant appartenir à la moyenne bourgeoisie. L’autre tableau est le célèbre Portrait d’un jeune garçon (vers 1820) de Théodore Géricault, une étude très sensible de la psychologie d’un enfant. Ces œuvres ont donné aux deux conservateurs l’idée de construire une exposition sur l’enfance entre 1790 et 1850. À cette époque, il devient naturel de montrer son attachement à sa progéniture, pour laquelle s’ouvre par ailleurs la possibilité d’une ascension sociale grâce à une bonne éducation ; les artistes s’attachent de plus en plus à individualiser leurs jeunes modèles, attentifs à leurs pensées, leurs sentiments et leurs centres d’intérêt propres.
Anonyme, Portrait d’un père de famille avec ses enfants, vers 1805. Huile sur toile, 160 x 127 cm. Le Mans, musée de Tessé, legs de Mr de Saint-Albin (1880). Photo service de presse. © Musées du Mans / Clément Szczuczynski
Soldats…
Mais la Révolution française et les premières décennies du XIXe siècle sont également marquées par de profonds bouleversements politiques, dans lesquels les enfants jouent un rôle actif, devenant parfois des acteurs à part entière. Alexandre-Jean Dubois-Drahonet peint en 1817 le Portrait d’Édouard Deban de Laborde couronnant le buste de son père tué à Wagram. Huit ans après la mort du colonel, c’est sa veuve qui a commandé au peintre deux portraits en pendants de ses fils en uniforme de hussard. À quatorze et huit ans, ils s’inscrivaient ainsi dans une histoire familiale écrasante. À l’opposé, Petits Patriotes (1830) de Philippe-Auguste Jeanron figure un groupe d’enfants sur les barricades des Trois Glorieuses. Ont-ils fait le coup de feu ou seulement joué avec des armes prises sur des morts ? Épuisés, amers, dépenaillés, ils endossent aussi un rôle trop lourd pour eux.
Philippe-Auguste Jeanron (1808-1877), Petits Patriotes, 1830. Huile sur toile, 100 x 80 cm. Caen, musée des Beaux-Arts, dépôt du CNAP. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn / Daniel Arnaudet
Princes…
Cette révolution de juillet 1830 allait amener au pouvoir Louis-Philippe d’Orléans, qui commanda à Horace Vernet le portrait de son fils, Ferdinand-Philippe d’Orléans, duc de Chartres, au collège royal Henri-IV (1821). Il s’agissait là d’une œuvre de propagande destinée à le dépeindre en démocrate éclairé, bien différent donc des Bourbons qui n’auraient jamais envoyé un prince étudier avec des enfants de bourgeois !
Horace Vernet (1789-1863), Ferdinand-Philippe-Louis, duc de Chartres tenant un cerceau, 1821. Huile sur toile, 41 x 33 cm. Versailles, musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Christophe Fouin
… et ramoneurs
D’autres portent un fardeau différent : sous la monarchie de Juillet, le peintre Auguste de Châtillon se fait connaître avec ses scènes de petits ramoneurs, ces enfants de Savoie envoyés par leur famille passer l’hiver dans les villes pour y trouver de quoi survivre malgré le froid et la faim. En 1839, Étienne-Nicolas Suc modèle Jeune aveugle breton, petit mendiant d’une grande dignité accompagné de son chien.
Auguste de Châtillon (1808-1881), Le Petit Savoyard, 1845. Huile sur toile, 116 x 94 cm. Toulouse, musée des Augustins. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn / Daniel Arnaudet
Le charme parfois vénéneux des portraits
D’autres enfants, plus chanceux, grandissent dans le confort et l’amour de leurs parents. Lorenzo Bartolini sculpte dans le marbre Natalia et Verginia Plaideux, filles de Nicolas II Esterhazy (vers 1816-1823), de gracieuses fillettes habillées à l’antique. Le 25 août 1842, Philippe de Belgique, comte de Flandre, âgé de cinq ans, est photographié dans l’intimité par les frères Brand. Le passe-partout du daguerréotype porte l’inscription « A ma Chère Maman, Philippe ». Cette maman est Louise d’Orléans, fille de Louis-Philippe. À peine plus tard, le sculpteur David d’Angers taille un portrait de son fils de deux ans, L’Enfant à la grappe (1845). Il fait scandale et même Charles Baudelaire estime le mouflet trop réaliste avec son ventre proéminent. Oui, parfois les enfants sont dérangeants et surtout les petites filles. Il n’est qu’à observer Portrait de Léopoldine Hugo (1827) de Louis Boulanger et Portrait de Louise Vernet enfant (vers 1818) de Théodore Géricault pour s’en convaincre.
Théodore Géricault (1791-1824), Portrait de Louise Vernet enfant, vers 1818. Huile sur toile, 60,5 x 50,5 cm. Paris, département des Peintures du musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado
« Sage comme une image ? L’enfance dans l’œil des artistes, 1790-1850 », jusqu’au 8 juin 2025 au musée de Tessé, 2 avenue de Paderborn, 72100 Le Mans. Tél. 02 43 47 38 51. https://www.museeslemans.epublications.fr/programme.php
Au MusBA de Bordeaux du 10 juillet au 3 novembre 2025.
Catalogue, Lienart, 192 p., 34 €.