Parole d’artiste ! Rencontre avec Marine Wallon

Marine Wallon, Komitake, 2024. Huile sur toile, 40 x 55 cm. Photo © N. Brasseur © adagp, Paris, 2024
Peintre des littoraux déchiquetés, des reliefs escarpés, des déserts inhabités et des champs mouvementés, Marine Wallon, née en 1985 à Paris, a débuté sa carrière dans les années 2010 par un travail graphique avant d’adopter la peinture à l’huile en 2012. Depuis elle réalise à l’aide de grandes brosses, de spatules et de chiffons des paysages dans lesquels la figure humaine est souvent résumée à une présence anonyme. Issus de captures d’écran de films, ces paysages zoomés et dézoomés interrogent la perception spatiale du spectateur. Pour les réaliser, l’artiste s’implique physiquement dans sa peinture, s’immerge dans la couleur dans une forme de transe. En résultent des toiles où la touche est tour à tour rapide et appliquée, lisse et tourmentée, fine et épaisse.
Propos recueillis par Enzo Menuge
Comment êtes-vous venue à l’art ?
Enfant, je n’ai pas immédiatement mis des mots sur mon intérêt pour l’art. J’ai fréquenté un atelier de modelage pendant dix ans, où le travail de la matière et de la couleur a été une première révélation. Toutefois, les questions de l’assemblage et de la gravité m’ont un peu ennuyée. Quand je suis arrivée au lycée j’ai arrêté le modelage et j’ai commencé à dessiner d’après le modèle vivant. La finalité de cette pratique est restée assez floue pendant longtemps. Une fois entrée aux Beaux-Arts de Paris en section peinture, je me suis mise à travailler sur le motif. J’essayais notamment de saisir le mouvement de la mer bretonne à Belle-Île-en-Mer. C’était assez instinctif ! J’ai expérimenté l’acrylique, qui ne m’a pas plu, et l’huile me faisait peur. Je me suis mise à l’aquarelle de manière autodidacte ; j’avais du mal à oser la couleur franche, j’utilisais une gamme assez sourde.
Marine Wallon. Photo © Vincent Ferrané
Vous sortez diplômée des Beaux-Arts en 2009. Comment la peinture était-elle perçue à cette période ?
À l’école des Beaux-Arts, j’ai fréquenté l’atelier de François Boisrond puis celui de Philippe Cognée. À ce moment-là, je pratiquais le dessin et non la peinture. Mes recherches étaient très expérimentales, et j’avais l’ambition de fusionner différents arts comme la photographie, la vidéo et le dessin. L’atelier partagé, qui limite l’espace pour chacun, a sans doute empêché ma peinture de se développer aux Beaux-Arts. Je rêvais de toiles gigantesques avec des couleurs virevoltantes, du Kandinsky à l’échelle de l’expressionnisme américain ! C’était assez éloigné de ce que je produisais. Ce qui était peut-être le plus inhibant pour moi, c’était le regard des collègues d’atelier. À partir du moment où on faisait le moindre trait, tout était commenté. Je ne me sentais pas libre. Lorsque je suis partie en résidence à la School of Museum of Fine Arts à Boston en 2008, j’ai découvert la liberté d’exécution et le plaisir dans la création, loin de la surcharge d’analyse qui régnait alors en France. C’est vraiment quand j’ai eu pour la première fois mon propre atelier au 6B à Saint-Denis, dans lequel j’ai pu m’isoler, que l’énergie de la peinture est apparue. Ayant été danseuse, je retrouvais le même genre d’implication physique et de liberté d’improvisation.
« J’accorde une grande attention au cadrage, sans doute en raison de mon intérêt pour la photographie et le cinéma. »
En 2012, vous adoptez la peinture à l’huile, et l’année suivante, à la résidence Chamalot située en Corrèze, vous vous mettez à peindre sur des grands formats…
L’espace que j’avais à la résidence Chamalot était bien plus important que mon atelier de l’époque, ce qui m’a permis de travailler sur des plus grands formats. Auparavant, je ne me voyais pas couvrir librement une grande toile sans construction préalable, et puis cela représentait un certain budget. J’ai alors beaucoup expérimenté et je me suis imprégnée de la peinture contemporaine, notamment de la Suédoise Mamma Andersson et du Polonais Adam Adach. J’accorde une grande attention au cadrage, sans doute en raison de mon intérêt pour la photographie et le cinéma. Le choix de certains formats me permet de créer une tension entre le cadrage et mes gestes sur la toile. Cette contradiction interne crée le rythme du tableau. Lors de mon exposition « RELIEF » chez Catherine Issert, j’ai présenté mon premier triptyque intitulé Umi-Hotaru, un grand panorama marin à la dimension cinématographique. Je vais sans doute continuer à explorer les possibilités expressives de ce type de format dans les prochaines années…
Marine Wallon, Umi-Hotaru, 2024. Huile sur toile, triptyque, 200 x 480 cm. Photo © N. Brasseur © adagp, Paris, 2024
Pour peindre, vous vous appuyez sur des captures d’écran de films et des photographies. Quel est votre rapport à ces images ?
Au début de mes recherches picturales, je prenais des captures d’écran floues de films touristiques, lorsque l’effet visuel produit était fort en termes de couleur ou de composition. Je m’appuyais sur cette image pour peindre. À présent, je m’en détache de plus en plus, même si je garde souvent un document photographique comme source. Quand j’ai commencé la peinture, les couleurs de la photographie m’influençaient beaucoup ; j’essayais d’obtenir par exemple les mêmes gris éteints, loin des gris colorés des maîtres anciens. Lorsque j’ai réellement osé la couleur franche, j’ai commencé à percevoir les possibilités qu’offraient les accords colorés. Maintenant que je me suis confrontée à la couleur pure, ça m’amuse de retravailler des teintes plus sourdes, de manière plus consciente, sans coller à la photographie.
« J’aime lorsqu’une photographie ou un film sont tellement triturés qu’ils basculent dans le domaine de la peinture. »
Parallèlement, je me suis beaucoup intéressée au cinéma expérimental, genre dans lequel on peut trouver des œuvres très figuratives comme celles de Jonas Mekas ou des films quasi-abstraits comme ceux de Rose Lowder. J’aime lorsqu’une photographie ou un film sont tellement triturés qu’ils basculent dans le domaine de la peinture. Étonnamment, alors que je suis très amatrice de peinture, ce sont peut-être ces expressions artistiques qui me touchent le plus. Je suis née dans les années 1980, j’ai grandi avec ces médiums qui se développaient et se perfectionnaient. La vidéo est arrivée dans l’espace domestique lorsque j’étais enfant, avec la commercialisation du caméscope. J’ai également connu les appareils photo jetables et les photos complètement ratées du Polaroid. Je fais partie de cette génération qui a vécu l’arrivée du pixel. Une photographie en ultra haute définition ne m’inspire absolument pas, je n’y vois aucune porte de sortie. Paradoxalement, j’ai besoin de passer par une photographie ou une capture d’écran pour revenir à la peinture.
Marine Wallon, Matahambre, 2023. Huile sur toile, 80 x 100 cm. Photo © R. Darnaud © adagp, Paris, 2024
« Pouvoir avec un seul outil signifier un végétal ou une roche, c’est très stimulant. »
Pourquoi abandonnez-vous parfois le pinceau pour peindre avec des chiffons, des spatules, des racloirs, outils de sculpture ?
J’ai un goût pour l’exagération qui me pousse à jouer avec les échelles et les proportions. Dans certaines situations, ça m’arrange beaucoup de peindre en un seul geste et de recourir à d’autres outils que le pinceau traditionnel. Pouvoir avec un seul outil signifier un végétal ou une roche, c’est très stimulant. Au moment où j’arrive avec mes spatules chargées de couleurs devant la toile, c’est le saut à l’élastique. J’ai une chance sur deux pour que ça fonctionne. Sinon je suis obligée de tout racler et de recommencer. Ça fait partie du jeu. Réaliser certaines parties d’une toile en un seul geste crée parfois une ambiguïté d’échelle intéressante. Le regardeur peut se demander s’il s’agit d’une image microscopique ou macroscopique. Évidemment, les végétaux ou les roches ont une échelle, mais lorsqu’on observe attentivement un motif, qu’on rentre dans la matière, les frontières entre l’infiniment petit et l’infiniment grand se brouillent. C’est vertigineux d’éprouver cette sensation cosmologique !
Marine Wallon, Gibara, 2023. Huile sur toile, 200 x 160 cm. Photo © R. Darnaud © adagp, Paris, 2024
En 2022 vous vous êtes essayée à la gravure. Que vous a apporté cette pratique ?
Chaque année, des artistes sont invités par le musée du Louvre à réaliser une gravure dans l’atelier de chalcographie avec l’aide des imprimeurs taille-douciers. J’ai travaillé en étroite collaboration avec Lucile Vanstaevel. C’était une vraie rencontre artistique ! Je suis restée en contact avec elle. Nos techniques sont à la fois proches et tout à fait opposées. Avec l’eau-forte et l’aquatinte, j’étais limitée à deux ou trois couleurs, ce qui est assez restreint quand on est peintre. Je pouvais toutefois explorer le travail de la matière. Nous avons donc joué avec les creux amenés par les acides sur la plaque de cuivre et les effets créés par les vernis de recouvrement. Il en a résulté une estampe texturée intitulée Isola, représentant un littoral rocheux bleu et orange. La dimension expérimentale de la gravure était très stimulante et m’a appris de nouveaux gestes pour la recherche à l’atelier !
Marine Wallon, Isola, Chalcographie du Louvre, 2022. Eau-forte, aquatinte au lavis, procédé à l’essence de lavande sur cuivre, 51 x 89 cm. Photo © RMN / image RMN
Pour en savoir plus sur l’artiste : marinewallon.fr