La collection Torlonia s’expose en majesté au Louvre

Vue de l'exposition.

Vue de l'exposition. Photo service de presse. © Fondazione Torlonia / Ph Agostino Osio

Exposée pour la première fois hors d’Italie, l’extraordinaire collection Torlonia resplendit au Louvre, dans les appartements d’été d’Anne d’Autriche qui rouvrent au public après plusieurs années de restauration. Les marbres antiques proposent un éblouissant panorama de la sculpture romaine, tout en témoignant de la longue histoire du collectionnisme européen.

Sous les fresques de Romanelli qui viennent de retrouver toute leur richesse chromatique au terme d’un important chantier de restauration, un grand bouc, l’oeil vif et alerte, accueille les visiteurs. Ce chef-d’œuvre de la statuaire animalière constitue l’une des plus célèbres sculptures de la collection Torlonia. Si son pelage, usé par les intempéries, a perdu de son relief, il prouve néanmoins la virtuosité de l’art romain dans le rendu des moindres détails. Quant à la tête de l’animal, sculptée au XVIIe siècle, l’on s’accorde à en attribuer la restauration à Bernin, qui aurait vu une occasion de se mesurer directement à la statuaire antique en réalisant cette oeuvre d’une grande expressivité. La sculpture incarne ainsi toute la complexité de ces marbres, parfois restaurés à plusieurs reprises au fil des siècles.

Bouc au repos, IIe siècle après J.-C. Marbre blanc, 93 x 135 cm. Collection Torlonia.

Bouc au repos, IIe siècle après J.-C. Marbre blanc, 93 x 135 cm. Collection Torlonia. Photo service de presse. © Fondazione Torlonia

Trésors antiques de la noblesse romaine

Constituée au XIXe siècle par les princes Torlonia, cette réunion de plus de 600 oeuvres s’inscrit dans la longue tradition des collections d’antiques rassemblées par la noblesse romaine. Elle constitue le symbole de la fulgurante ascension sociale de Giovanni Torlonia (1754-1829), fils de l’Auvergnat Marin Tourlounias, venu à Rome faire commerce de draperies avant de s’enrichir par ses activités bancaires. Anobli par le pape, Giovanni Torlonia se conforma au modèle donné par les plus éminentes familles romaines et acheta d’innombrables sculptures pour asseoir son statut princier. Son fils, Alessandro Torlonia (1800-1886) poursuivit son oeuvre, en acquérant les célèbres collections Giustiniani et Albani, et surtout en encourageant les fouilles archéologiques, en particulier à l’emplacement de la villa d’Hérode Atticus sur la via Appia et sur le site de la résidence impériale de Portus. Animé d’une volonté scientifique, il fonda le musée Torlonia en s’entourant des meilleurs spécialistes de l’art romain. Et fit paraître un catalogue, illustré de photographies reproduisant l’ensemble de ses oeuvres, ce qui constitua alors une véritable nouveauté.

« Constituée au XIXe siècle par les princes Torlonia, cette réunion de plus de 600 oeuvres s’inscrit dans la longue tradition des collections d’antiques rassemblées par la noblesse romaine. »

Tazza Cesi, deuxième moitié du Ier siècle avant J.-C. Marbre blanc. Collection Torlonia.

Tazza Cesi, deuxième moitié du Ier siècle avant J.-C. Marbre blanc. Collection Torlonia. Photo service de presse. © Fondazione Torlonia

La plus importante collection privée de sculptures romaines

La richesse de la collection Torlonia, reconnue aujourd’hui comme la plus importante collection privée de sculptures romaines, offre un exceptionnel panorama de l’art antique. Elle permet de mettre en valeur les grandes caractéristiques de la statuaire romaine, comme le développement du portrait, allant des bustes idéalisés des empereurs, notamment Auguste et Hadrien, aux représentations les plus véristes, à l’image du Vieillard d’Otricoli dont les rides sont transcrites avec une précision implacable. Parmi les effigies féminines, la Jeune Fille de Vulci se distingue par la délicatesse du modelé de ses traits qui adoucit la simplification presque géométrique du visage. Ce haut degré de qualité artistique se lit également dans le sourire énigmatique du portrait dit d’Aquilia Severa ou Julia Maesa, et dans le subtil effet de transparence de sa main voilée par une draperie.

Le Vieillard d’Otricoli, milieu du Ier siècle avant J.-C. Marbre blanc, H. 79 cm. Collection Torlonia.

Le Vieillard d’Otricoli, milieu du Ier siècle avant J.-C. Marbre blanc, H. 79 cm. Collection Torlonia. Photo service de presse. © Fondazione Torlonia

L’héritage de l’art grec

Dans la lignée de la statuaire grecque, l’art romain s’inspire constamment des modèles les plus prestigieux. Il reprend des sculptures aussi bien du style sévère comme l’Hestia Giustiniani (seule réplique complète aujourd’hui conservée) que de l’époque classique avec la splendide statue d’Hygie réalisée d’après un modèle conçu par Phidias, sans oublier les créations hellénistiques vibrantes de sensualité, dont le fameux buste de satyre ivre. Deux versions différentes du Satyre au repos montrent à quel point la reprise d’un célèbre prototype, ici attribué à Praxitèle, donne lieu à de véritables exercices de virtuosité technique. Le Vase Albani, gigantesque bassin en marbre orné de scènes représentant les travaux d’Hercule, multiplie de manière éclectique les références iconographiques les plus variées, s’inspirant à la fois d’un groupe statuaire de Lysippe et des métopes du temple de Zeus à Olympie. Ce jeu formel se retrouve sur un autel cylindrique : Zeus et Athéna y sont figurés selon le goût dit archaïsant, tandis que la représentation d’Héra est inspirée par les modèles de l’époque classique. Les imposants sarcophages, magnifiant les vertus des défunts, montrent comment l’art romain acquiert progressivement sa spécificité. Les reliefs monumentaux, et notamment un bas-relief votif figurant l’arrivée d’un navire dans le port impérial, foisonnent de détails. Ils mêlent des scènes de la vie quotidienne, caractérisées par leur réalisme minutieux, à des figures symboliques et allégoriques.

Hestia Giustiniani, Ile siècle après J.-C., d'après un original grec des années 470-460 av. J.-C. Marbre. Collection Torlonia.

Hestia Giustiniani, Ile siècle après J.-C., d'après un original grec des années 470-460 av. J.-C. Marbre. Collection Torlonia. Photo service de presse. © Fondazione Torlonia

Un dialogue avec les antiques du Louvre

Ces oeuvres insignes retrouvent au Louvre d’autres sculptures avec lesquelles elles partagent une histoire commune. La Tazza Medici, immense vasque en brèche verte égyptienne, est ainsi temporairement réunie à une statue de captif qui provenait également de la collection Albani. Ces oeuvres constituent deux rarissimes exemples de sculptures réalisées dans ce marbre très difficile à travailler en raison de sa structure de cristaux. Elles symbolisent le lien étroit unissant ces deux « collections soeurs » (selon l’expression de Salvatore Settis) qui permettent de retracer un exceptionnel panorama de l’art antique, mais également de l’histoire du goût, des collections et des musées.

« Chefs-d’oeuvre de la collection Torlonia », jusqu’au 11 novembre 2024 dans les appartements d’été d’Anne d’Autriche au musée du Louvre, rue de Rivoli, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 53 17. www.louvre.fr

Catalogue, coédition musée du Louvre / Le Seuil, 349 p., 45 €.