Dans les coulisses du site archéologique et du futur musée Segeta

Vue des vestiges du site archéologique d’Aquae Segetae, à Sceaux-du-Gâtinais, dans le Loiret.

Vue des vestiges du site archéologique d’Aquae Segetae, à Sceaux-du-Gâtinais, dans le Loiret. © CC4V

Sur la commune de Sceaux-du-Gâtinais, dans le département du Loiret, se dressent les vestiges du sanctuaire gallo-romain d’Aquae Segetae, classé au titre des Monuments historiques depuis 1986. À l’horizon 2025, le musée Segeta s’implantera in situ et viendra contribuer à la valorisation de ce site archéologique, insoupçonné et inestimable, n’attendant qu’à être révélé au public.

À 70 km au nord-est d’Orléans et à 2 km du bourg actuel de Sceaux-du-Gâtinais, au cœur d’un environnement bucolique et dépaysant, rien ne laisse présager la présence de vestiges d’une occupation majeure de l’époque gallo-romaine. Le site archéologique d’Aquae Segetae, pouvant être traduit par « les eaux de Segeta », témoigne pourtant de la présence d’une des 52 villes d’eau de l’Empire romain. Implanté sur le territoire du peuple gaulois des Sénons et à la limite du territoire des Carnutes, cet ensemble était un lieu de pèlerinage important. Il se développa vraisemblablement au cours du Ier siècle de notre ère, connut son apogée au IIe siècle, pour péricliter au IVe siècle. Étape importante du dispositif routier antique avec, à quelques kilomètres de là, le chemin de César, voie antique qui reliait Cenabum/Orléans à Agedincum/ Sens, cette ville d’eau devait être un carrefour stratégique, à mi-parcours entre ces deux chefs-lieux de cités. 

Un ensemble monumental dédié à Segeta

Le site d’Aquae Segetae est l’une des rares agglomérations antiques dotées d’un sanctuaire des eaux n’ayant pas disparu après son abandon. Préservés à travers les siècles et jusqu’à nous, grâce à un environnement dénué d’urbanisation, les vestiges font état d’une conservation inattendue. Il s’agit actuellement d’un des plus vastes ensembles cultuels du département du Loiret, qui constitue un cas d’étude de référence pour la période gallo-romaine sur le territoire. Sur place, se révèlent les témoignages d’un ensemble monumental à vocation cultuelle. De part et d’autre d’une vaste cour, les traces conservées des trottoirs et des caniveaux, accompagnées de dalles perforées se succédant à intervalles réguliers, suggèrent la présence de colonnes et de chapiteaux qui venaient composer le péristyle et l’enceinte sacrée d’un sanctuaire, avec deux entrées principales. Différentes salles étaient réparties autour de la cour cultuelle et pouvaient répondre à des usages divers (boutique, stockage, aire de préparation culinaire…). Un bassin, également appelé « nymphée », avec sa forme polylobée atypique, recueillait les eaux d’une source sacrée. La déesse Segeta, divinité mise à l’honneur sur ce site, conférait à ces eaux des vertus divinatoires et protectrices. En lien avec sa dévotion, les pèlerins venaient de tous horizons afin de bénéficier d’une guérison ou de remercier la déesse pour la réalisation d’un vœu déjà exaucé. Déesse de la fertilité, de l’abondance et de la fécondité, Segeta est très certainement une divinité d’origine gauloise ; son nom aurait pour racine « seg », forme celtique qui signifierait « la force ».

Mur avec arc de décharge (état restauré) sur le site d’Aquae Segetae.

Mur avec arc de décharge (état restauré) sur le site d’Aquae Segetae. © CC4V

Les résultats des prospections aériennes et les campagnes de prospections géophysiques ont permis d’apprécier l’étendue du site.

Le début d’une aventure

Remontons le temps : 1836, Jean-Baptiste Jollois, ingénieur des ponts et chaussées, ayant fait campagne avec Bonaparte en Égypte, repère et documente la présence de vestiges puis dresse un premier plan dans son Mémoire sur les antiquités du département du Loiret. Des interventions sont réalisées par l’abbé Cosson au milieu du XIXe siècle puis par l’abbé Moufflet au milieu du XXe siècle, pour lesquelles seules quelques données nous sont parvenues. La (re)découverte du site intervient en 1963, avec la mise au jour fortuite d’un coin de mur, d’une large dalle et d’un fût de colonne, lors de l’entretien de la parcelle agricole par Roger Huet et Robert Sziraky. De 1966 à 1976, la responsabilité des fouilles programmées pluriannuelles est confiée à Michel Roncin, professeur d’histoire dans un lycée de Montargis et membre du groupe archéologique de Montargis (GAM), accompagné de bénévoles. En 1976, le site est touché par une importante sécheresse qui entraîne la résurgence de la nappe phréatique et l’inondation des lieux, mettant fin aux fouilles. Dès 1984 et jusqu’à aujourd’hui, l’installation d’une pompe permet de maintenir l’ensemble hors d’eau. Les travaux d’assainissement effectués entre 1984 et 1986 conduisent à des découvertes complémentaires et à la relance des investigations. De 1986 à 1993, les interventions dirigées par Jean-François Barratin et Jocelyne Vilpoux se succèdent avec, entre autres, la mise au jour d’un bâtiment thermal à vocation curative, accolé au sanctuaire, composé d’une piscine froide et d’une salle chaude sur hypocauste. Ces structures sont réenfouies à cette époque pour des questions de conservation. Les différentes campagnes de fouilles du XXe siècle ont eu lieu essentiellement sur le sanctuaire de l’eau et dans la partie sud que nous connaissons aujourd’hui, en affinant les connaissances sur l’organisation de cet espace cultuel. En 1996, un mémoire de maîtrise effectué par Jocelyne Vilpoux offre une synthèse et remet en perspective les données recueillies au cours des vingt années de recherche précédentes.  

Vue de l’intérieur du nymphée et du canal d’adduction.

Vue de l’intérieur du nymphée et du canal d’adduction. © CC4V

Un potentiel archéologique à révéler

Ce sont les résultats des prospections aériennes réalisées par Daniel Jalmain dès 1976 et les campagnes de prospections géophysiques lancées depuis 2004 qui ont permis d’apprécier l’étendue du site. Un plan de synthèse a pu être dressé, encore en cours d’actualisation, rendant compte de l’organisation complexe de la cité antique. En effet, Aquae Segetae n’a pas encore dévoilé tous ses secrets. Seulement 4 % du potentiel archéologique estimé est aujourd’hui visible à travers les vestiges conservés sur place. Sous nos pieds dorment encore les témoins d’une ville d’eau plus vaste et complexe qu’on ne l’imagine. Elle s’étendait sur une surface estimée à environ 23 ha, avec la présence d’un ensemble monumental d’une dizaine d’hectares composé d’un sanctuaire des eaux, d’un temple, d’un théâtre, de thermes curatifs et publics, mais également d’îlots urbanisés s’organisant autour d’une vaste place centrale. En 2016, un diagnostic d’archéologie préventive a été mené par le département du Loiret et a aidé à conforter l’emplacement du futur musée. Cette année, dans le cadre du projet de construction du musée Segeta, une prospection géoradar et des fouilles préventives, réalisées par le Département et l’Inrap, amorceront la reprise des investigations et permettront l’approfondissement et le renouvellement des connaissances. Après avoir intégré le Projet collectif de recherches sur les agglomérations secondaires antiques en région Centre engagé en 1993, une nouvelle dynamique est lancée avec la création en cours d’un groupe de recherche dédié spécifiquement à Aquae Segetae, regroupant le service régional de l’archéologie, l’Inrap, des structures privées comme Éveha, des universités et leurs laboratoires, des archéologues indépendants et des collectivités territoriales dont le service d’archéologie du Loiret.

Photographie aérienne du site archéologique d’Aquae Segetae, avec traces du temple conservé en sous-sol, 1979.

Photographie aérienne du site archéologique d’Aquae Segetae, avec traces du temple conservé en sous-sol, 1979. © Daniel Jalmain

Le musée de Segeta aura pour vocation de valoriser le site archéologique et les collections qui y ont été découvertes.

Une découverte archéologique majeure

Au XIXe siècle, Jean-Baptiste Jollois pense avoir trouvé la « Vellaunodunum » des commentaires de César. Bien plus tard, en 1917, l’archiviste Jacques Soyer pose l’hypothèse que le site correspondrait à « Aquis Segeste » figurant, dans sa retranscription médiévale, sur la table de Peutinger, copie d’une carte routière antique. Les réflexions en restent là, jusqu’au lancement des fouilles pluriannuelles par Michel Roncin et son équipe à partir de 1966. En 1973 et 1974, plusieurs fragments de marbre sont découverts au sein du nymphée (bassin cultuel), dans les remblais. Leur assemblage permet de reconstituer une plaque dédicatoire sur laquelle est gravée une inscription, seule mention épigraphique retrouvée in situ, rendant hommage à la déesse Segeta : « AVG DEAE/ SEGETAE/ T MARIUS PRISCINUS/ V.S.L.M. EFFICIENDUM CURAVIT/ MARIA SACRA FIL » pour « Aug(ustae) deae/ Segetae/ T(itus) Marius Priscinus/ u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito) efficiendum curavit/ Maria Sacra fil(ia) », soit « À la déesse Segeta, auguste : Titus Marius Priscinus s’est acquitté de son vœu bien volontiers ; sa fille Maria Sacra a pris soin de le faire achever. » À travers cet ex-voto emblématique, Maria Sacra, fille du citoyen romain Titus Marius Priscinus, s’acquitte du vœu de son père envers la déesse et réalise son projet, probablement l’embellissement du sanctuaire des eaux. Cette découverte majeure confirma la thèse avancée par Jacques Soyer en 1917 et l’attribution de ces vestiges à la ville d’eau Aquae Segetae.

Extrait de la table de Peutinger avec localisation d’Aquis Segeste.

Extrait de la table de Peutinger avec localisation d’Aquis Segeste. © Bibliothèque nationale de Vienne

Un musée à l’horizon 2025

Face à l’histoire riche et à l’identité forte de ce site archéologique, la Communauté de Communes des 4 Vallées (CC4V) porte le projet de construction du futur musée Segeta, qui ouvrira ses portes au public courant 2025. Ce projet de grande ampleur est soutenu par l’État, la Direction régionale des affaires culturelles, la Région Centre-Val de Loire, le département du Loiret et l’Europe, avec le concours de l’agglomération montargoise et rives du Loing et des membres de l’association Segeta. Dans le cadre de sa conception, le projet du musée fait l’objet d’un suivi étroit par le service régional de l’archéologie et le service de l’archéologie préventive du Loiret. Conçu par le cabinet d’architectes Berranger§Vincent, également concepteur du Chronographe à Rezé (Nantes), le bâtiment sera construit en partie sur pilotis et viendra s’intégrer dans le paysage et la topographie naturelle des lieux. L’alliance du béton et du bois lui confèrera une allure simple et épurée. Le parti pris architectural, basé sur la multiplication des baies vitrées, proposera un lien intérieur/extérieur constant. Un belvédère viendra compléter l’expérience et offrira une vue panoramique sur les vestiges et la restitution paysagère. Au sein d’un parcours extérieur, d’une superficie de 1 500 m2, les tracés des plantations, les cheminements et des évocations illustrées suggéreront la présence des témoignages encore conservés sous nos pieds. Ce musée et lieu de mémoire aura pour vocation de valoriser le site archéologique et les collections qui y ont été découvertes. L’un des objectifs prioritaires sera de rendre perceptible au public les vestiges apparents et de révéler l’invisible, en offrant des clés de compréhension, par le biais d’outils de lecture adaptés, faisant appel aux différents sens et aux nouvelles technologies. D’une superficie d’environ 800 m2, le musée Segeta sera composé de trois modules : le bâtiment principal, consacré à l’accueil du public et à la boutique, ainsi qu’aux espaces d’exposition permanente, temporaire et à une enquête archéologique sur presque 400 m2 ; un autre module composé d’une salle pédagogique de 125 m2 pour la réalisation des ateliers ; et un dernier édifice d’environ 100 m2 étroitement lié à la perspective de reprise des fouilles programmées avec, entre autres, une salle de lavage et une réserve pour le stockage temporaire du mobilier archéologique. De nombreux dispositifs, en cours de conception (vidéo-mapping, restitution 3D, enquête archéologique…), proposeront au public de revivre le passé de manière pédagogique et ludique, de s’immerger dans l’époque gallo-romaine et d’expérimenter l’archéologie.  

Esquisses du projet architectural : vues du bâtiment et du parcours paysager.

Esquisses du projet architectural : vues du bâtiment et du parcours paysager. © Berranger§Vincent architectes

Constituer les collections du futur musée

Au fil des découvertes réalisées ces dernières décennies sur le site et la commune de Sceaux-du-Gâtinais, les collections ont été disséminées dans différents lieux de conservation (musée Girodet à Montargis, centre de conservation et d’étude d’Orléans…). L’un des objectifs du futur musée est de réunir, au sein d’un même espace et sur leur lieu de découverte, les collections les plus emblématiques, de les présenter et de les valoriser auprès du public dans le parcours permanent et dans le cadre d’expositions temporaires. Un travail minutieux d’inventaire a permis de sortir de l’oubli des objets d’une grande diversité et d’une richesse insoupçonnée. La plupart des collections n’a jamais été étudiée et dévoilée au public. En lien avec la vie quotidienne, l’architecture et le religieux, ces témoignages nous en apprennent davantage sur les pratiques et les modes de vie des sociétés passées – de l’ex-voto en métal de quelques millimètres d’épaisseur, à la base de colonne de 87 cm de haut, en passant par l’impressionnant chapiteau de 60 cm de large recouvert de décors végétaux. Environ trois cents objets sont pour l’instant sélectionnés pour intégrer le futur musée, soit à peine 10 % des collections existantes qu’il reste encore à continuer d’identifier. L’une des particularités de ce site réside dans la découverte d’ex-votos liés au culte de la déesse, principalement déposés au niveau du nymphée par les pèlerins. Ils se présentent sous la forme de figurines en terre cuite (déesse-mère, Vénus ou divinité féminine sortant de l’eau, risus ou enfant rieur, Apollon) ou d’objets en métal façonnés de manière à évoquer la partie du corps à faire soigner (œil, bras, pied ou organe génital masculin). Segeta est connue pour ses vertus liées, entre autres, à la guérison des organes malades et à la stérilité. Des études sur ces collections sont en cours et à venir, plus particulièrement concernant les éléments lapidaires et les offrandes en terre cuite (coroplastie), afin de mieux appréhender l’usage religieux et l’architecture du sanctuaire, les modes d’approvisionnement ou encore d’affiner les datations.    

Ex-votos en métal (organe génital masculin et yeux) découverts dans le sanctuaire.

Ex-votos en métal (organe génital masculin et yeux) découverts dans le sanctuaire. © CC4V, musée Girodet

L’une des particularités du site réside dans la découverte d’ex-votos liés au culte de la déesse Segeta.

Un devoir de transmission auprès des publics

En parallèle du travail de conception et de suivi du projet du musée, et d’ici son ouverture à l’horizon 2025, l’équipe de la CC4V en place, en lien avec les membres de l’association Segeta, assure l’animation et la valorisation du site existant avec, comme enjeux, l’éducation, l’accessibilité à la culture et l’attractivité du territoire. Le public est invité, sur réservation toute l’année ou lors des manifestations, à venir découvrir ce lieu de transmission et de mémoire. Dans ce cadre, des évènements phares seront reconduits en 2023 comme les Journées européennes de l’archéologie en juin, les visites estivales en juillet-août ou encore les Journées européennes du patrimoine en septembre, avec des propositions riches et diversifiées. En parallèle, des projets pédagogiques sont en cours de développement avec les écoles, les centres de loisirs et les structures du champ social. À plus long terme, l’objectif est de relancer des fouilles programmées pluriannuelles dans certaines zones, en associant les étudiants en archéologie, les habitants, ou encore les scolaires, afin de créer une passerelle, de la fouille au musée, et de faire dialoguer professionnels et grand public. Ce site archéologique offre un cadre bucolique où il fait bon se ressourcer. L’eau sacrée est encore présente et coule au sein du nymphée. Il est toujours possible de faire un vœu afin qu’il soit exaucé : la déesse Segeta veille toujours sur ces terres et voit se succéder les Hommes qui marquent de leur empreinte ce lieu intemporel et perpétuel. À travers ce projet, c’est toute l’histoire d’Aquae Segetae et toutes ces décennies d’investissement et de passion des différents acteurs qui prennent vie et que nous avons vocation à vous faire partager.

Travail d’inventaire des collections en cours.

Travail d’inventaire des collections en cours. © Musée Girodet / François Lauginie

Une immersion dans Segeta : modélisation 3D et jeu vidéo

En 2021, la CC4V a accueilli en stage un étudiant du Master valorisation et médiation du patrimoine archéologique (Panthéon-Sorbonne). Ses missions ont consisté à modéliser en 3D certaines collections découvertes lors des anciennes fouilles et les vestiges immobiliers actuellement conservés sur place (7 207 m2 ). Intégrés dans certains dispositifs de l’exposition permanente du futur musée, ces modèles 3D pourront par exemple aider à la création de restitutions et d’évocations du sanctuaire en élévation, afin de permettre au public de s’immerger dans l’époque gallo-romaine et de comprendre l’organisation et l’architecture de cette importante ville d’eau. En 2022, un nouveau projet inspiré de ce travail de modélisation 3D est né avec la création d’un jeu vidéo expérimental intitulé « Les mystères de Segeta », réalisé par un étudiant en Bachelor de Video Game Art à Autograf, école d’arts appliqués à Paris : une expérience immersive qui invite le public à se plonger dans un univers énigmatique et à participer à une quête afin de percer les mystères des vestiges d’un autre temps.

Nuage de points du site archéologique, base du modèle 3D.

Nuage de points du site archéologique, base du modèle 3D. © CC4V, Raphaël Morin

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