Un objet à la loupe : quand l’Histoire abrite les sciences au château de Saint-Germain

« Dessin de l’ensemble à l’échelle de la bibliothèque à établir au premier étage », réalisé par l’architecte Lafollye, 15 juin 1885. Dessin aquarellé sur papier. 100 x 0,62 m.

« Dessin de l’ensemble à l’échelle de la bibliothèque à établir au premier étage », réalisé par l’architecte Lafollye, 15 juin 1885. Dessin aquarellé sur papier. 100 x 0,62 m. © MAN / Valorie Gô

Depuis le Moyen Âge, le château de Saint-Germain-en-Laye, où se trouve aujourd’hui le musée d’Archéologie nationale, accueille des bibliothèques fameuses. La première d’entre elles est une des « librairies » du roi Charles V (1364-1380), dont les manuscrits sont répartis au sein de ses résidences comme le Louvre, Melun, Vincennes ou Saint-Germain. C’est ainsi que le donjon de cet édifice aurait abrité, dans sa partie la plus haute, un cabinet d’étude. On y trouvait la traduction d’ouvrages savants de l’Antiquité classique et des textes fondateurs du christianisme ; une attention particulière était portée à la science et aux savoirs pratiques et politiques. L’attitude du « Sage Roi » révèle ainsi les prémices d’une conservation de ce patrimoine savant.

Ce premier acte reste dans les mémoires érudites quand, en octobre 1859, un incendie ravage le palais du Luxembourg. Le journaliste Léon de Villette, qui s’interroge sur le devenir du château de Saint-Germain, propose qu’y soient « conservés les dépôts si précieux aux sciences, à la littérature, à l’histoire du pays et aux beaux-arts » de la Bibliothèque impériale. Dans ce lieu aux murs épais, les ouvrages auraient un asile assuré, les lecteurs un lieu silencieux propice à l’étude et la possibilité de promenades délassantes dans les jardins. C’est pourtant le Musée gallo-romain, créé en 1862 par décret impérial, qui, par son formidable essor, a le dernier mot.

Une « bibliothèque spéciale » vite encombrée

Dès 1864, Auguste Verchère de Reffye, l’un des concepteurs du musée, et l’attaché de conservation, Philibert Beaune, réclament la constitution d’une bibliothèque comme un « complément indispensable aux collections ». Ils en appellent à l’empereur et au surintendant des Beaux-Arts, le comte de Nieuwerkerke, et obtiennent en 1866 la création d’une bibliothèque installée « dans la salle no 32, au second étage » du donjon, c’est-à-dire là où l’on situe par tradition la « librairie » de Charles V. Elle « renfermerait spécialement les ouvrages archéologiques et recevrait les publications périodiques les plus intéressantes ». À l’inauguration du musée en 1867, Napoléon III offre à cette bibliothèque, qu’il vient de visiter, les deux tomes de son Histoire de Jules César dédicacés et parés d’une luxueuse reliure. Pour autant, le lieu se prête mal au développement d’une telle bibliothèque. La difficulté pour l’atteindre, le manque de lumière naturelle et l’afflux massif des documents invitent le directeur du musée Alexandre Bertrand, son attaché, Gabriel de Mortillet, et l’architecte Eugène Millet à la déplacer au premier étage du donjon dès 1869. La bibliothèque, désormais intitulée « salle d’étude », est dans la salle 4, située au cœur du parcours de visite et ouverte à tous du mardi au samedi. Elle prend la place des collections numismatiques et des inscriptions gauloises qui rejoignent la salle du deuxième étage laissée vacante et bientôt intitulée « salle du Trésor ». Malgré tout, dès la fin des années 1870, la salle d’étude ne suffit plus à contenir l’ensemble des ouvrages, plans, relevés, photographies, manuscrits et albums. L’appel aux dons porté en 1868 par la Revue archéologique dirigée par Alexandre Bertrand, puis relayé par Gabriel de Mortillet dans ses Promenades au Musée de Saint-Germain, a porté ses fruits. Les envois de l’empereur, des ministères, des correspondants de la Commission de Topographie des Gaules, des érudits et du personnel du musée ne cessent d’enrichir fonds et collections pour illustrer et comprendre les vestiges archéologiques du territoire national, dont beaucoup des objets sont présentés dans les salles du musée. À cela s’ajoutent des ouvrages sur l’anthropologie, l’ethnologie, la paléontologie, la géologie, la minéralogie, toutes sciences auxiliaires d’une archéologie naissante. Créer des magasins et une nouvelle bibliothèque plus spacieuse s’impose rapidement.

La genèse difficile d’une grande bibliothèque fermée au public

Le projet d’une bibliothèque, en plus de la salle d’étude, est mentionné dès janvier 1872 par Eugène Millet. Il s’agit de l’installer dans l’aile sud, au premier étage. L’espace en est déjà délimité par des murs dressés en 1871 lorsqu’ont débuté les travaux de restauration de la partie méridionale du château. En 1877, les magasins de la bibliothèque sont prévus à l’entresol. Il reste cependant à placer dans ces mêmes espaces les appartements de réception du directeur et son cabinet de travail. L’architecte Auguste Lafollye, connu pour la création d’une bibliothèque réputée au château de Pau, reprend le chantier en 1879 mais se heurte également au manque d’espace. Opiniâtre, il défend le projet d’une grande bibliothèque, éclairée des deux côtés, et repousse l’appartement du directeur dans un espace plus réduit et déployé sur deux niveaux. En 1884, il est décidé d’utiliser, pour le décor de la bibliothèque, les boiseries de la chapelle du château exécutées sous Louis XIII. Le dessin aquarellé de juin 1885 montre toute l’ambition du projet, qui mêle rayonnages pour les ouvrages scientifiques, objets archéologiques et vestiges de l’ancienne chapelle, rare témoignage du passé prestigieux du site. Ce projet de bibliothèque semble résumer toute la richesse d’un lieu dédié à la science et abrité par l’Histoire. En juillet 1900, la bibliothèque n’est toujours pas meublée et l’espace est utilisé fréquemment pour des expositions de beaux-arts ou les réunions des Dames françaises. Seule la salle d’étude est ouverte, mais désormais accessible sur autorisation du directeur. Il faut attendre 1921 et le tome II du Catalogue illustré de Salomon Reinach, pour avoir l’assurance que la grande bibliothèque est aménagée ; la description nous apprend qu’elle renferme ouvrages et archives, « les recueils et les séries qui ne sont pas d’usage courant, ainsi que les manuscrits des archéologues O. Rayet, Ch. Robert, C. Creuly, E. Desjardins, E. Chantre, etc. » Mais elle demeure inaccessible au public. L’actuelle bibliothèque du musée est dessinée par l’architecte Louis Blanchet et située au rez-de-chaussée de l’aile sud. Elle est intégrée dans les vastes travaux de modernisation lancés par André Malraux en 1961. Achevée en 1970, cette bibliothèque, plus adaptée aux lecteurs et en rupture avec les pratiques précédentes, renoue peu à peu avec les premiers temps du musée : être une bibliothèque de référence en archéologie et ouverte à tous.

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