Bronze monumental daté de la seconde moitié du XIe siècle, cette sculpture du dieu Vishnu est arrivée à Paris cet été. Allongée sur son flanc droit, la tête penchée soutenue par une main, parée de colliers et de bracelets, elle fait l’objet d’une importante campagne d’étude et de restauration avant sa présentation au public au printemps 2025 au musée Guimet. L’occasion de s’intéresser à cette œuvre iconique du patrimoine khmer. Entretien croisé avec les acteurs de cet événement d’ampleur inédite. Entretien avec Pierre Baptiste, conservateur général de la Section Asie du Sud-Est au musée national des arts asiatiques – Guimet, David Bourgarit, ingénieur de recherche au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) et Brice Vincent, maître de conférences et responsable du centre de Siem Reap à l’École française d’Extrême-Orient (EFEO).
Propos recueillis par Éléonore Fournié.
Quelle est l’histoire de cette œuvre ?
Pierre Baptiste : Cette statue a été retrouvée en décembre 1936 dans les ruines de l’îlot central du temple du Mébon occidental, un sanctuaire hindou édifié à Angkor au XIe siècle, au centre d’un immense lac artificiel, le Baray occidental. C’est le plus grand bronze jamais mis au jour au Cambodge. Il figure le dieu Vishnu, qu’il faut imaginer couché sur le serpent de l’Éternité, méditant le monde à venir, en compagnie de son épouse Lakshmi. Le dieu Brahma, le principe créateur dans l’hindouisme, devait sans doute apparaître sur un lotus émergeant du nombril de Vishnu ou immédiatement derrière lui. S’il ne reste aujourd’hui que la partie antérieure du buste de la divinité, les fragments du corps et notamment du dos et des jambes permettent de se figurer la monumentalité de cette œuvre qui mesurait à l’origine plus de 5 mètres de long et devait peser une tonne environ. Dorée et incrustée, la statue était en outre parée de nombreux bijoux tel un important diadème dont on voit encore les traces des éléments de fixation. Cette œuvre exceptionnelle figure aujourd’hui parmi les chefs-d’œuvre du musée national du Cambodge, à Phnom Penh.
De quels traitements et études va-t-elle bénéficier ?
David Bourgarit : Initié en 2018, le projet Vishnu comprend plusieurs volets techniques : le premier, l’étude technologique, vise à comprendre la manière dont cette sculpture est faite et à caractériser ses matériaux constitutifs (cuivre, dorure, noyau en argile, etc.), afin notamment d’en déterminer la provenance ; le second sera dédié à la restauration de l’œuvre, par le laboratoire Arc’Antique à Nantes. Depuis une quinzaine d’années, nous travaillons sur les productions en cuivre et alliages khmères, mais c’est la première fois que nous étudions une pièce monumentale. Les analyses ont permis de préciser la composition élémentaire du métal (un cuivre à environ 9 % en masse d’étain) et de déterminer que la sculpture est constituée d’une quarantaine de pièces réalisées selon la technique de la fonte à la cire perdue, procédé fréquent à cette époque.
L’enjeu des mois à venir sera de répondre à plusieurs questions. Nous souhaiterions tout d’abord pouvoir attribuer correctement tous les fragments mis au jour : appartiennent-ils au Vishnu ou aux autres éléments du groupe sculpté ? L’analyse fine du métal est capable d’éclairer ce point. Elle a aussi pour but de mieux caractériser l’alliage des différents fragments, ce qui permettra, entre autres, de savoir en combien de fois l’œuvre a été coulée et si toutes les pièces ont été réalisées en même temps. Cela nous donnera ainsi une idée de la capacité des fours et des ateliers de production. Les techniques utilisées pour assembler les différentes pièces entre elles sont également importantes à déterminer car témoins de savoir-faire spécifiques : brasure, soudure, assemblages mécaniques. Enfin, nous nous intéresserons à la polychromie et à l’aspect originel de la sculpture : comme cela est fréquent à cette époque, elle a été entièrement dorée au mercure, produit de choix sans doute importé de Chine. Le Vishnu était également paré d’autres couleurs, au moins sur le visage (sourcils, yeux, moustache, barbe et plis dits « de beauté » du cou). Reste désormais à les déterminer. Si la polychromie est connue pour la statuaire en pierre khmère, c’est en revanche nouveau pour celle en bronze.
Entretien à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 633 (juillet-août 2024)
Sport et archéologie
81 p., 11 €.
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