Archéologie des guerres napoléoniennes (2/7). L’égypte : épigraphie d’une campagne

Halte de l’armée française à Syène en Haute-Égypte, le 2 février 1799, Jean-Charles Tardieu, 1812, huile sur toile. On y voit un militaire gravant la pierre d’un monument antique. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon. © Grand Palais RMN (Château de Versailles), Gérard Blot
L’essor de l’archéologie préventive a favorisé le développement d’une archéologie des conflits modernes et contemporains. Des premières campagnes du jeune général Bonaparte à celles menées sous l’Empire, les guerres napoléoniennes ont bénéficié, dans le contexte des bicentenaires, de fouilles d’envergure – tant en France qu’à l’étranger, avec de nouveaux enjeux scientifiques. Ces découvertes inédites viennent enrichir un corpus d’une cinquantaine de sites enfin constitué ; ce dossier d’Archéologia vous en dévoile toute la richesse.
L’auteur de ce dossier est : Frédéric Lemaire, docteur en histoire et en archéologie, archéologue à l’Inrap, spécialisé dans l’étude des grands conflits contemporains, directeur des recherches sur le camp de Boulogne, les champs de bataille de Russie et l’île-prison de Cabrera aux Baléares
Boutons d’uniforme réglementaires de la 32e demi-brigade (numéro du corps, bonnet phrygien et mention « République française »). À gauche, bouton mis au jour à Saint-Jean-d’Acre, avec la couleur d’origine ; au milieu, bouton d’une baraque du camp de Camiers dans le Pas-de-Calais. Les deux boutons présentent le même défaut demoule, le mot « République », à gauche, est tronqué. © Israel Antiquities Authority © F. Lemaire, photo S. Lancelot Inrap
Menée de 1798 à 1801, la campagne d’Égypte intéresse très tôt chercheurs et archéologues, en particulier les épigraphistes, qui s’attachent aux inscriptions laissées par les soldats de Bonaparte. L’archéologie sous-marine prend ensuite le relais…
C’est à l’égyptologue Georges Legrain (1865-1917) qu’il faut attribuer le premier acte d’une archéologie du fait guerrier napoléonien.
Georges Legrain, le précurseur
Dans une réelle mise en abyme, le chercheur étudie en effet les graffiti laissés par les soldats de Bonaparte sur les monuments pharaoniques de Haute-Égypte, à Edfou en particulier. Il présente ces recherches épigraphiques en 1911 à l’Académie des sciences morales et politiques : « Ce sont là d’humbles vestiges d’une phase glorieuse de notre histoire, des mots gravés à la hâte avec la pointe d’un sabre ou d’une baïonnette, tout aussi dignes d’être recueillis que bien des inscriptions grecques et latines, des sortes d’instantanés de victoire et de marche en avant dont j’ai pris copie. » Pourtant habitué aux sites monumentaux, riches et spectaculaires, il prend ainsi la peine de retranscrire de modestes témoignages, d’un passé récent de surcroît. Mais ne nous y trompons pas, le tropisme patriotique est patent, au point de constituer le mobile premier de l’étude. Parmi les noms relevés par Georges Legrain en Haute-Égypte figure un Geoffroy de la 32e demi-brigade, avec la date 1800. Une recherche dans les registres indique qu’il s’agit selon toute vraisemblance du caporal fourrier Jean-François Geoffroy, matricule no 329, qui participe en effet à la campagne d’Égypte. Volontaire en 1792, il est membre de la Légion d’honneur le 14 brumaire an XIII (5 novembre 1804), preuve de sa présence dans le Pas-de-Calais où stationne l’armée d’invasion.
Les graffiti de la pyramide de Gizeh
Un autre égyptologue, Georges Goyon (1905-1996), réalise en 1935 le relevé des inscriptions et graffiti laissés par les visiteurs de la grande pyramide de Gizeh, parmi lesquels des soldats et des savants de l’expédition d’Égypte. Contrairement à Legrain, sa démarche est d’une parfaite neutralité. On trouve ainsi dans ses transcriptions les noms de voyageurs européens que l’amour de la science, la guerre, le commerce, le hasard ou le désœuvrement ont amenés devant différents monuments. Pour Georges Goyon, ces noms gravés, surtout s’ils sont accompagnés d’une date, constituent des documents archéologiques d’une valeur certaine, même s’il l’estime faible. L’auteur propose une réflexion sur le sens de ces graffiti et l’intérêt de son étude réside dans l’analyse des ressorts psychologiques qui poussent les voyageurs ou visiteurs à apposer sur les parois des édifices le témoignage de leur passage…
Une imprimerie navale engloutie
Les recherches sur l’épave de L’Orient montrent que le « trois-ponts » a explosé non seulement à l’arrière mais également à l’avant où une soute à poudre supplémentaire avait été établie. Les plongeurs ont remonté plusieurs centaines d’objets : canons, armes à feu portatives, munitions, objets du quotidien, etc. Parmi eux figurent des milliers de caractères en plomb d’une imprimerie embarquée par Bonaparte. Cette dernière fonctionnait à bord sous le nom d’imprimerie navale. Un ordre du jour à l’armée, un ordre de service et une proclamation aux Égyptiens en langue arabe étaient sortis de ses presses.
L’épave de L’Orient retrouvée
Après ces deux égyptologues précurseurs, il faut attendre un demi-siècle pour une nouvelle occurrence archéologique avec la découverte, en 1983, par Jacques Dumas, de l’épave de L’Orient, le vaisseau amiral de la flotte qui avait transporté Bonaparte et ses savants en Égypte et qui est détruit par l’amiral Nelson lors de la bataille d’Aboukir le 1er août 1798. La fouille du navire est reprise en 1998 par Franck Goddio (IEASM), en coopération avec le Conseil suprême des antiquités égyptiennes ; dans l’intervalle, en 1991, des chercheurs israéliens mettent au jour, au cours d’une fouille de sauvetage, des vestiges du siège de Saint-Jean-d’Acre (de 1799), en particulier les squelettes de quatre soldats français décapités, ensevelis dans une tranchée. « Alors les Turcs descendirent dans le fossé et coupèrent la tête aux soldats tombés, aussi bien aux morts qu’aux blessés », écrit révolté Charles François, du régiment des dromadaires. L’examen des boutons timbrés découverts avec les squelettes permet de rattacher ces soldats à la 32e demi-brigade dont les grenadiers participent aux assauts dans les brèches de la tour carrée. Rapatriée en France par la Royal Navy, après la reddition du corps expéditionnaire, la 32e demi-brigade de ligne rejoint l’armée des Côtes de l’Océan, rassemblée autour de Boulogne pour l’invasion de l’Angleterre.
Fouille sous-marine de L’Orient et du gouvernail de 11 m de long. © Franck Goddio, Fondation Hilti, Christoph Gerigk
Sommaire
Archéologie des guerres napoléoniennes
5/7. Norman Cross et Cabrera, l’infernal sort des vaincus (à venir)
6/7. L’héritage archéologique des soldats vétérans (à venir)
7/7. Pour une intégration à l’archéologie des conflits (à venir)