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Archéologie des guerres napoléoniennes (3/7). Autopsie du « camp de Boulogne »

Vue aérienne du camp napoléonien de Camiers avec l’empreinte des baraquements constitués de petites constructions rectangulaires semi-excavées alignées au cordeau.

Vue aérienne du camp napoléonien de Camiers avec l’empreinte des baraquements constitués de petites constructions rectangulaires semi-excavées alignées au cordeau. © F. Lemaire, Inrap

L’essor de l’archéologie préventive a favorisé le développement d’une archéologie des conflits modernes et contemporains. Des premières campagnes du jeune général Bonaparte à celles menées sous l’Empire, les guerres napoléoniennes ont bénéficié, dans le contexte des bicentenaires, de fouilles d’envergure – tant en France qu’à l’étranger, avec de nouveaux enjeux scientifiques. Ces découvertes inédites viennent enrichir un corpus d’une cinquantaine de sites enfin constitué ; ce dossier d’Archéologia vous en dévoile toute la richesse.

L’auteur du dossier est : Frédéric Lemaire, docteur en histoire et en archéologie, archéologue à l’Inrap, spécialisé dans l’étude des grands conflits contemporains, directeur des recherches sur le camp de Boulogne, les champs de bataille de Russie et l’île-prison de Cabrera aux Baléares

Restitution 3D des camps d’Étaples. Au premier plan, en rouge, les camps des 6e léger et 69e de ligne soumis à l’enquête archéologique.

Restitution 3D des camps d’Étaples. Au premier plan, en rouge, les camps des 6e léger et 69e de ligne soumis à l’enquête archéologique. © F. Lemaire, Inrap, modélisation É. Mariette, Inrap

Regroupant quelque 200 000 hommes, le « camp de Boulogne » devait permettre l’invasion de l’Angleterre. Débutées au début des années 2000 et s’échelonnant sur une dizaine d’années, les fouilles ont concerné le camp de Montreuil, en particulier les troupes d’infanterie stationnées à Étaples et à Camiers.

En 2013, des recherches aériennes localisent le camp de la 32e demi-­brigade de ligne (entre-temps renommée régiment) sur le site de Beauregard à Camiers, dans le Pas-de-Calais.

Camiers et ses baraquements

Elles révèlent l’empreinte des baraquements constitués de petites constructions rectangulaires semi-excavées, dont les fonds subsistent sous les labours (qui les détruisent progressivement). Ces baraques sont représentées sur un tableau peint en 1805 par Grâce Dupont, jeune épouse du général Dupont. Dans ses mémoires, elle décrit que cette vue lui semble une « nouveauté étrange » et précise : « On semblait avoir découpé les toits de quelques centaines de maisons pour les ranger l’un à côté de l’autre sur le sable dans une ligne tirée au cordeau », avant d’ajouter : « Rien n’était plus singulier que de voir au milieu des rues parallèles qu’elles formaient la hauteur des hommes atteindre presque celle de leurs demeures. » En 2014, des sondages livrent des boutons réglementaires identiques à ceux retrouvés sur les squelettes sans tête de Saint-Jean-d’Acre ou une petite plaque métallique représentant un cavalier du régiment des dromadaires (auquel appartenait Charles François, le témoin des décapitations).

Boucher de Perthes à Boulogne

Parmi les protagonistes de ce camp, se trouve un inspecteur des Douanes emblématique pour la discipline archéologique, Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), l’un des fondateurs de la Préhistoire et de sa science. Dans une lettre à son père, datée du 8 mai 1811, il donne une description des lieux, et d’un en particulier, occupé par des « beautés nomades »…

Un front de près de 720 m de long

Les troupes du camp de Montreuil formaient trois divisions qui totalisaient onze régiments d’infanterie. Quatre d’entre eux stationnaient à Étaples-sur-Mer où se trouvait une partie de la flottille. C’est Bonaparte qui avait recommandé à Louis-Alexandre Berthier, ministre de la Guerre, de les placer le plus près possible des points d’embarquement. Deux camps ont fait l’objet de fouilles préventives entre 2005 et 2010, en particulier celui occupé par le 69e régiment d’infanterie de ligne, découvert en totalité. Il constituait, avec le 6e léger, une brigade. Séparés par une route, ils occupaient une hauteur en arrière de la ville ; parfaitement alignés, ils présentaient un front de près de 720 m de long.

Du camp à la bataille

Un principe présidait à leur organisation : l’ordre de bataille. Les soldats campaient comme ils se battaient, en ligne sur plusieurs rangs, par régiments, bataillons et compagnies. Ce principe était fondé sur la nécessité pour une troupe de passer rapidement et sans confusion de son camp à sa ligne de bataille, l’infanterie s’établissant alors devant son camp, dont l’étendue correspond à son front de bataille. La découverte de deux blocs de craie sculptés ou gravés issus des baraques de fusiliers du 69e de ligne – nos pierres de Rosette en quelque sorte ! – confirme par leur localisation le respect dans ce camp de cette disposition. La localisation des deux inscriptions est strictement conforme au règlement de 1791 et à l’arrêté du 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803) qui réorganise l’armée. Les baraques des soldats, neuf par compagnie sur trois rangs, étaient rudimentaires. Ces petites constructions semi-enterrées mesuraient environ 4 x 5 m, soit la dimension des tentes réglementaires pour une escouade de 14 à 16 hommes. Seuls les officiers disposaient du confort d’une cheminée.

L’archéologie et la propagande napoléonienne

Outil de communication en Égypte, où les opérations militaires se mêlent aux découvertes scientifiques, l’archéologie ne cesse d’être instrumentalisée à des fins de propagande. Ainsi, le grand chantier que constitue le camp de Boulogne est l’occasion de trouvailles opportunes dont la presse se fit l’écho. Un article daté du 18 brumaire an XII (10 novembre 1803) à Boulogne, paru deux jours après dans la Gazette nationale ou Le Moniteur universel, relate la découverte d’une hache romaine lors des travaux de construction du « campement » du Premier consul. Elle est qualifiée de présage, puisque l’objet est supposé avoir appartenu aux légions césariennes qui débarquèrent en Angleterre. En effet, quelle étonnante coïncidence… Pourtant, bis repetita à Ambleteuse. Cette fois, ce sont des médailles de Guillaume le Conquérant qui sont mises au jour sous la tente de Bonaparte. D’ailleurs, l’article rappelle que le général, visitant les ruines de Péluse en Égypte, y avait trouvé un camée de Jules César…

Au cœur de la vie quotidienne des soldats

La fouille méthodique des baraques (191 pour le seul camp du 69e de ligne) a permis la collecte de plusieurs milliers d’objets. Constitués progressivement en corpus, ils dévoilent la culture matérielle des militaires les plus modestes, donnent à voir leurs modes de vie et de consommation, renseignent sur leurs uniformes et équipements. Lors de l’opération, chaque artefact a été géoréférencé et les différentes catégories d’objets ensuite soumises à des études de répartition, à l’exemple des boutons réglementaires trouvés par centaines. Selon les textes, l’habillement et la coiffure du fantassin comptaient 46 boutons d’uniforme, 11 « gros » et 35 « petits ». D’une manière générale, ces boutons timbrés du numéro du corps forment un véritable « fossile directeur » des contextes militaires napoléoniens.

Du catogan aux cheveux courts

On trouve aussi des épingles de catogan, marquées comme les boutons. Selon le témoignage du soldat Fezensac, les cheveux étaient coupés en brosse avec une queue sans poudre. Sous le Consulat, les officiers adoptent la chevelure à la Titus mais pas la troupe qui conserve la queue. Napoléon (le « Tondu ») finit par l’imposer aux soldats mais le changement (autant une mesure d’hygiène que de contrôle social) s’opère difficilement. Les camps livrent aussi des objets personnels, comme des clés de montre, des couteaux de poche, ou des pipes et leurs couvercles, rendus obligatoires pour la prévention des incendies, les toits et les fonds des baraques étant couverts de paille.

Échantillon de petits objets issus des baraques des fusiliers du 69e de ligne.

Échantillon de petits objets issus des baraques des fusiliers du 69e de ligne. © F. Lemaire, S. Lancelot, Inrap

Sommaire

Archéologie des guerres napoléoniennes

5/7. Norman Cross et Cabrera, l’infernal sort des vaincus (à venir)

6/7. L’héritage archéologique des soldats vétérans (à venir)

7/7. Pour une intégration à l’archéologie des conflits (à venir)