Notre sélection de lectures archéologiques pour le mois de novembre

La civilisation nubienne, l’histoire de Narbonne ou l’oasis d’AlUla ? Consolidez vos connaissances ou plongez dans l’inconnu en choisissant votre prochaine lecture parmi notre sélection du mois.

Sparte sur mer

Les guerres ont souvent des conséquences insoupçonnées. Au lendemain de celle du Péloponnèse (431-404 avant notre ère), qui vit la victoire de la ligue du Péloponnèse, sous la houlette de Sparte, sur la ligue de Délos, menée par Athènes, la première, tout comme la Confédération béotienne, chercha à imposer sa suprématie sur la mer. C’est ce que nous explique cette brillante (et pointue) monographie : comment ces deux puissances terrestres ont déployé leur maîtrise navale, lors de leur hégémonie respective (404-371 et 371-362 avant notre ère), pour contrer le pouvoir d’Athènes. Les différents chapitres examinent ainsi tour à tour les ressources en argent, en hommes et en matériaux nécessaires pour la construction et l’entretien de cette flotte inédite et des ports militaires pour l’accueillir, les dispositions et l’aménagement des sites urbains proches de la mer, le développement de la navigation et de lieux stratégiques ou encore la création de nouvelles relations internationales. Et si ces cités ont tout fait pour jouer un rôle central dans le monde égéen, on comprendra aussi pourquoi cette supériorité, si importante politiquement, n’a pas perduré…

Affirmer sa puissance par la mer. La rivalité pour l’hégémonie en Grèce dans la première moitié du IVe siècle avant J.-C., 2024, Giulia Icardi, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, 388 p., 50 €

Incontournable Narbonne

Créée ex nihilo sur le territoire du peuple gaulois des Élysiques en 118 avant notre ère, la Colonia Iulia Paterna Claudia Narbo Martius accueille dans un premier temps des citoyens italiens volontaires puis des légionnaires vétérans. Capitale de la province de Transalpine puis de Narbonnaise, elle devient un grand centre administratif, politique et religieux. Cette remarquable synthèse convoque l’ensemble des sources disponibles afin d’apporter un éclairage extrêmement précis – aucune autre cité des Gaules ne peut se prévaloir d’une aussi dense connaissance – sur les cultes, les institutions municipales, la vie domestique, les nécropoles (et leurs inscriptions lapidaires si riches d’informations) ou encore le commerce ; port majeur, Narbonne est alors au cœur des échanges entre Méditerranée, Gaule intérieure et Atlantique, notamment pour le vin dont les Gaulois étaient très friands !

Narbonne. Histoire sociale d’une capitale romaine, 2024, Sandrine Agusta-Boularot (dir.), Paris, CNRS éditions, 512 p., 15 €

Le chat en héritage

Fidèle abonnée d’Archéologia et des Dossiers d’archéologie, Anne-Marie Labbé a puisé dans ses lectures la matière de ce livre qui met en scène neuf destins de femmes à travers les âges, de la Préhistoire à nos jours. Nous voilà ainsi transportés près du site natoufien d’Aïn Mallaha 11 500 ans avant notre ère puis à Ninive, Bubastis, Tanagra, Rome, Segontium, Quempercorentin, Rasnes et Versailles, dans les pas d’une artisane, d’une cuisinière, d’une brodeuse ou encore d’une prêtresse qui ont toutes en commun de tisser, à un moment ou à un autre de leur existence, un lien particulier avec un félin. Chacune a d’ailleurs hérité d’un petit pendentif noir représentant un chat, qui, légué de génération en génération, sert de fil conducteur à ce roman de la transmission, finement documenté. 

Neuf vies plus une, 2023, Anne-Marie Labbé, Rennes, Éditions Les Perséides, 140 p., 13 €

Le rêve de Sapiens

« Alors que sommes-nous finalement ? » : c’est la question vertigineuse à laquelle Ludovic Slimak, après ses deux best-seller Néandertal nu et Le Dernier Néandertalien, ambitionne de répondre dans son dernier ouvrage. À la suite de deux premiers tomes qui venaient scruter et interroger le rapport de l’espèce Sapiens à l’égard des non-Sapiens, cet essai est conçu comme la conclusion qui déplace le regard porté par Sapiens sur lui-même. Écrit dans un style volontiers disruptif, propre à ce chercheur reconnu qui sillonne les sites préhistoriques d’Europe depuis plus de trente ans, le propos tente de déchiffrer l’énigme du développement soudain, vers le 70e millénaire, des conceptions sociales, des technologies et des arts, marquant une véritable « révolution cognitive ». À l’aide de détours par les Pyrénées, l’Islande, l’Australie ou l’aride Sahel, le spécialiste de Néandertal égraine les implications philosophiques et, disons-le, parfois existentielles, qu’il dégage d’exemples les plus divers de l’histoire des sciences, des croyances comme du folklore. Le titre onirique de l’ouvrage n’est pas démenti par son contenu, disséquant la nature profonde de l’être humain au-delà de sa seule corporéité, questionnant jusqu’à notre rapport au réel.

Sapiens nu. Le premier âge du rêve, 2024, Ludovic Slimak, Paris, éditions Odile Jacob, 252 p., 23,90 €

Préhistoire de l’Hexagone

Après deux ouvrages consacrés aux vestiges préhistoriques de France, Lascaux. Histoire et archéologie d’un joyau archéologique (2017) et Cosquer. La grotte inattendue (2022), Romain Pigeaud (auteur régulier de notre magazine) invite à nouveau ses lecteurs à découvrir les humains qui peuplèrent le territoire entre le Paléolithique et l’Âge du bronze. Grâce à un traitement thématique de son sujet, qui propose diverses sections consacrées aux vagues migratoires successives venues de l’Est, à leur implantation progressive, à leurs connaissances techniques, à leurs modes de vie, à leurs croyances et à leurs mythes, cet expert en Préhistoire nous immerge dans le quotidien de ces sociétés. Sans négliger des questionnements davantage contemporains sur la place de la violence et des inégalités, notamment entre hommes et femmes, dans la France préhistorique. Introduit par une préface de Jean Guilaine, professeur émérite au Collège de France et membre de l’Institut, ce propos audacieux se déploie sous la forme d’un formidable panorama, remarquablement documenté, qui n’occulte guère les nombreux enjeux du sujet. Cette France de la Préhistoire, loin d’être l’exposé d’une nation préhistorique, « image d’Épinal », la fameuse « grande chaudière » décrite par Ernest Renan, est au contraire une France métissée « de reliefs et de circonstances ».

La France de la Préhistoire, 2024, Romain Pigeaud, préface de Jean Guilaine, Paris, éditions Presses universitaires de France/Humensis, 480 p., 30 €

Au pays des pharaons noirs

Peu connue, la civilisation nubienne, dans le Soudan actuel, possède une riche histoire antique, notamment au Ier millénaire avant notre ère, lorsqu’elle domina la puissante Égypte. Comme le révèlent les fouilles menées dans le pays, les Nubiens ont laissé derrière eux de superbes vestiges, trop longtemps attribués aux seuls Égyptiens ; ils témoignent de l’existence d’une société raffinée, possédant un indéniable savoir-faire architectural. C’est cette formidable civilisation que nous invite à redécouvrir Charles Bonnet, archéologue et professeur honoraire à l’université de Genève, qui a participé à la direction de la mission archéologique internationale de Kerma-Doukki Gel pendant plusieurs décennies. Ce grand spécialiste, découvreur de statues de pharaons noirs en 2003, revient sur plus d’un demi-siècle de recherches, au fil d’un ouvrage richement illustré de reconstitutions et cartes, qui reflète bien le génie nubien.

Les pharaons noirs. Une histoire de la Nubie, 2024, Charles Bonnet, Lausanne, éditions Favre, 216 p., 14, 50 €

L’égyptologie en planche

Depuis plusieurs années, les éditions Dunod s’essaient avec succès à la vulgarisation scientifique et historique par la bande dessinée. Parmi les belles réussites de cette collection, on peut désormais compter Égyptologix par les auteurs d’Une folle histoire de l’archéologie qui nous avait déjà séduit. Cet album plein d’humour ne raconte pas l’histoire de l’Égypte mais revient sur les grands moments de l’égyptologie et les figures qui l’ont animée. En sept chapitres, du moine Cristoforo Buondelmonti qui, en 1419, crut percer le mystère des hiéroglyphes à Christiane Desroches Noblecourt et au sauvetage des temples d’Abu Simbel, les deux auteurs nous embarquent dans un passionnant voyage. Tout y est : les tâtonnements de l’époque moderne, l’accélération donnée par la campagne d’Égypte, Champollion, Mariette, Belzoni et Carter… Au-delà des personnages, l’intérêt de l’ouvrage est aussi de replacer chaque moment dans un contexte plus vaste. Au fil des planches, on se rend compte que, très vite, cette nouvelle branche de l’archéologie est soumise à des contraintes géopolitiques et économiques. La concurrence entre les grands musées européens est rude. Archéologues et conservateurs endossent facilement le costume de trafiquant ou de marchand d’antiquités quand il s’agit de capter les plus belles pièces qui peuvent aussi être de somptueux cadeaux diplomatiques, comme l’obélisque de la place de la Concorde à Paris. Ce court volume, très documenté et bien écrit, se clôt sur quelques pages pratiques rassemblant des chronologies fort utiles.

Égyptologix. Trois mille ans d’histoire en BD, 2024, texte d’Arnaud Pizzuti, scénario et dessin de Gabrielle Lavoir, préface de Chloé Ragazzoli, Paris, éditions Dunod Graphique, 145 p., 19,90 €

L’indispensable guide de Saint-Blaise

Là où se rencontrent la Camargue et la Provence littorale, Saint-Blaise et ses étangs constituent un site archéologique de première importance. Retraçant sa longue histoire, depuis le Crétacé jusqu’au Moyen Âge, les auteurs de ce guide très complet reviennent sur cinq millénaires de peuplement humain : un village préhistorique, un fort gaulois, une cité tardo-antique et enfin un château médiéval s’y succèdent, laissant derrière eux de riches vestiges qui passionnèrent et intriguèrent des générations d’archéologues, depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Cet ouvrage, que l’on recommande à tous ceux qui souhaiteraient visiter ce site majeur, expose l’intense activité agricole qui y prit place, rendue possible par la richesse des sols, ainsi que ses ingénieuses constructions.

Saint-Blaise, 2024, Jean Chausserie-Laprée, Marie Valenciano et Sandrine Duval, Éditions du Patrimoine/Centre des monuments nationaux, collection Guides archéologiques de la France, 150 p., 18 €

AlUla, la perle d’Arabie

Sur la côte occidentale de la péninsule arabique se trouve l’oasis d’AlUla : sa situation géographique, au carrefour des voies caravanières par lesquelles transitaient les nobles essences d’arbres, en fait un lieu de peuplement depuis près de trois millénaires. À l’ombre de sa riche palmeraie, le long de ses canaux d’irrigation ou dans ses verdoyants jardins, une formidable civilisation s’enracine, conservant les pratiques agricoles et les savoir-faire locaux. C’est toute la splendeur de cette histoire et de ces paysages que ce beau livre, riche de 160 illustrations, restitue, à travers les photographies de Salomé Sepeau et les textes des archéologues Julien Charbonnier et Yasmin Kanhoush. À travers l’AlUla Cultural Oasis Project (UCOP), ils œuvrent depuis 2019 à valoriser ce patrimoine, ainsi qu’à sensibiliser aux enjeux de conservation de la flore et des ressources en eau, vitales dans une région aussi désertique. Le travail de ces archéologues donne aujourd’hui de précieuses clés pour comprendre le passé, mais également l’avenir, de cette superbe oasis.

AlUla, Oasis d’Arabie, 2024, Julien Charbonnier, Yasmin Kanhoush et Salomé Sepeau, Dijon, éditions Faton, 116 p., 22 €