Au 2e symposium mondial d’archéologie d’AlUla, l’archéologie est mobile !

Tombeau nabatéen, site AlUla

Tombeau nabatéen, site AlUla © JF

Du 30 au 31 octobre dernier, la Royal Commission for AlUla (RCU) a tenu son 2e symposium mondial d’archéologie. L’occasion aussi pour elle d’afficher un bilan de sept années de recherche et d’affirmer toujours plus sa volonté de jouer un rôle majeur dans le domaine de l’archéologie.

L’Arabie saoudite change, la terre vierge ou presque de l’archéologie qu’elle représentait, aussi. L’exemple d’AlUla en est particulièrement révélateur. Quand en 2002, l’archéologue Laïla Nehmé prend la codirection de la Mission de Madâ’in Sâlih (l’antique Hegra), elle fait figure de pionnière – d’une part parce que c’est une femme (la seule alors à oser braver les autorités religieuses en ne portant pas le voile) et d’autre part parce que l’Arabie saoudite s’est fermée depuis le début des années 1980 aux fouilles étrangères. Aucune infrastructure n’existe sur les sites, leur accès est difficile, les touristes inexistants et les rares femmes qui s’y aventurent n’ont, comme les Saoudiennes et Laïla Nehmé, pas le droit de conduire.

« La création de la RCU, en 2017, joue alors un rôle de détonateur. État dans l’État, elle multiplie les collaborations internationales, en particulier avec la France, avec la création de l’agence Afalula. »

Au royaume moderne de l’archéologie

Une nouvelle ère commence au pays des Routes de l’encens, quand le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) décide à la fois d’ouvrir son pays à la modernité et d’inscrire l’histoire de l’Arabie saoudite dans un temps long – celui que, seules, peuvent lui offrir l’archéologie et ses découvertes. La création de la RCU, en 2017, joue alors un rôle de détonateur. État dans l’État, elle multiplie les collaborations internationales, en particulier avec la France, avec la création de l’agence Afalula (dont le budget annuel a été porté à 60 millions d’euros), mais pas seulement : elle se dote de son propre département de recherche pour l’archéologie et le patrimoine culturel, dirigé par l’Américaine Rebecca Foote, spécialiste renommée en archéologie islamique, et étend peu à peu sa zone d’influence géographique aux divers sites de l’Arabie du nord-ouest. La RCU collabore avec les meilleurs chercheurs et instituts étrangers, comme le Deutsches Archäologisches Institut qui fouille à Qurh, une des plus importantes cités des premiers temps de l’islam, ou dans l’oasis Tayma, principal carrefour caravanier du nord-ouest de l’Arabie au Ier millénaire avant notre ère. Elle demande aux archéologues occidentaux de travailler en binôme avec leurs collègues saoudiens et de former de jeunes stagiaires – bien loin du modèle d’une archéologie coloniale tel qu’il s’était développé au Proche-Orient au XIXe siècle.

Rebecca Foote présentant le bilan de sept années de fouille.

Rebecca Foote présentant le bilan de sept années de fouille. © JF

Une oasis en devenir

En sept ans, c’est donc un tout autre paysage qui s’est déjà dessiné à AlUla. Sur les sites, auxquels mènent des routes parfaitement goudronnées, bordées de pistes cyclables, des visitor centers attendent les touristes (qui devront avoir réservé leur entrée au préalable sur Internet, sous peine de se retrouver le bec dans le sable). Les femmes ont le droit de louer des 4×4 et d’en prendre elles-mêmes le volant pour slalomer entre les bus de tourisme encore conduits par des hommes. C’est même une femme, Abeer AlAkel, qui a pris les commandes de la RCU, après l’arrestation de son directeur pour corruption en décembre 2023 par les autorités saoudiennes. Et, témoigne aussi Rémi Crassard, le fouilleur de Khaybar, une région restée très traditionnelle : « Les stagiaires qui me sont envoyés respectent la parité, trois jeunes hommes et trois jeunes femmes, qui travaillent et discutent librement ensemble… C’était impensable auparavant ». La nuit, à AlUla, des projecteurs éclairent ici et là les spectaculaires concrétions de grès ; au milieu du désert, se dresse le magnifique Maraya Concert Hall, entièrement recouvert de miroirs reflétant à l’infini les canyons alentours et leur lumière changeante : conçu par l’agence d’architecture italienne Giò Forma et inauguré en 2019, c’est le plus grand bâtiment réfléchissant au monde et c’est en son sein que s’est tenu le deuxième AlUla World Archaeology Symposium Summit.

« Au milieu du désert, se dresse le magnifique Maraya Concert Hall, entièrement recouvert de miroirs reflétant à l’infini les canyons alentours et leur lumière changeante. »

Le Maraya Concert Hall.

Le Maraya Concert Hall. © JF

Derrière les miroirs

Consacré aux communautés mobiles, il réunissait plus d’une quinzaine d’intervenants et 70 participants environ, venus du monde entier. Parmi les interventions, celle de la professeure Willeke Wendrich (UCLA, Los Angeles) sur la définition même de communautés mobiles – qui ne sauraient se réduire aux populations nomades et aux problématiques soulevées par leur étude –, celle, bien rodée, de Peter Debrine (Unesco) sur le tourisme de masse durable et ses enjeux patrimoniaux, ou encore, le bilan présenté par Rebecca Foote des sept années de travaux de la RCU qui ont permis d’étendre considérablement le spectre chronologique de la présence humaine en Arabie. Jusqu’en 2018, son histoire commençait avec le royaume de Dadan, au Xe siècle avant notre ère ; aujourd’hui, les fouilles ont permis de reculer au Paléolithique (environ 200 000 avant notre ère), avec des découvertes fondamentales. Une seule intervention, cependant, leur était consacrée précisément, celle, à deux voix, de Rémi Crassard (CNRS – Université Lumière Lyon 2) et de Melissa Kennedy (Université de Sydney) sur les cerfs-volants du désert, d’une part, et de l’autre sur les mystérieux mustatils, premières structures en pierres monumentales rectangulaires du Néolithique, repérées à Khaybar et dans le nord-ouest de l’Arabie. Car, plus qu’un sommet scientifique proprement dit, ce deuxième symposium – ainsi que le lancement de la deuxième édition du AWAS Youth Excellence Award, venant récompenser un jeune chercheur – témoignait aussi de la volonté de la RCU de s’affirmer comme un acteur majeur au croisement des routes de l’archéologie internationale et de faire connaître toujours plus son patrimoine de la Préhistoire à l’ère islamique. Une ambition que permet la manne financière dont elle dispose – sans équivalent, semble-t-il, à travers le monde – et dont le défi est de réussir à concilier le temps de l’argent et des annonces spectaculaires avec celui, souvent plus lent et plus discret, de la recherche et des programmes scientifiques.

Le site de Jabal Ikmah.

Le site de Jabal Ikmah. © JF