Bretagne : nouveaux regards sur les campagnes du Porhoët

Enclos porhoëtiens de Saint-Brieuc-de-Mauron.

Enclos porhoëtiens de Saint-Brieuc-de-Mauron. © Maurice Gautier, 7 juillet 2001

En Bretagne comme ailleurs, le développement de l’archéologie aérienne comme des fouilles préventives et programmées a produit, ces dernières années, une importante documentation. Il incite désormais non plus seulement à percevoir des sites ponctuels mais aussi à restituer leur environnement et les paysages agraires. Voici un bilan d’opérations menées sur un terroir breton assidûment prospecté depuis plus de 35 ans.

Niché au cœur de la Haute-Bretagne, le Porhoët présente des caractères physiques et climatiques particuliers. Cette microrégion est en effet considérée comme un bas plateau incliné vers le sud. Limitée au nord par les hauteurs des landes du Méné, elle est cernée au nord-ouest par les granites du massif de Gomené et à l’est par les hauteurs gréseuses du massif de Paimpont (avec ses nombreux gisements ferrifères exploités dès l’Âge du fer).

Une région à haut potentiel

Cette zone a connu des remembrements radicaux dans les années 1960, donnant naissance à un paysage de semi-openfield où subsistent quelques bois-reliques. L’arasement des haies et des talus a sensiblement modifié les caractères climatiques locaux en renforçant notamment l’évapotranspiration des végétaux, ce qui n’est pas sans incidences sur la révélation des vestiges enfouis. Avant les recherches aériennes, ce terroir était considéré comme « un désert archéologique » mais semblait s’identifier au Pagus trans sylvam mentionné dans les actes du cartulaire de Redon au IXe siècle. Les auteurs anciens avaient déjà remarqué la singularité de ce « pays au-delà des bois ». Quelques découvertes fortuites comme les bustes gaulois de Saint-Utel, les trésors monétaires de Mauron et de Ménéac ainsi que des vestiges de villae à proximité de Mauron laissaient présager une occupation gauloise et antique significative.

Une exploitation agricole gauloise originale

La compilation des différentes données issues de la détection aérienne à basse altitude, du dépouillement des fonds orthophotographiques et des prospections terrestres montre des espaces densément peuplés à la fin de la Protohistoire. Les établissements gaulois y sont nombreux, parfois accompagnés d’un cimetière familial, petit enclos de forme géométrique, situé à proximité. Contrairement à d’autres régions, celle-ci offre l’opportunité d’observer, à la périphérie de ces fermes, des amorces de parcellaires et des chemins d’accès. Les premiers peuvent se développer sur plusieurs dizaines d’hectares évoquant une forte anthropisation du milieu. Les clôtures les limitant semblent ancrées dans le substrat géologique sans que l’on sache, pour l’instant, s’il s’agit de talus ou de haies plantées. Les dizaines de fermes gauloises étudiées ont des caractéristiques morphologiques très proches permettant dès lors de définir un type d’exploitation agricole proprement porhoëtienne : une forme curviligne parfois dédoublée pour la clôture périphérique englobant un espace compris entre 1 et 1,5 ha, un enclos résidentiel en position centrale et des fossés ne dépassant pas les 3 m de large ; toutes ces fermes génèrent des parcellaires attenants. Les rares fouilles témoignent de nombreux greniers signalant l’importance du stockage céréalier. On serait tenté de voir dans l’aire géographique du Porhoët « le grenier à blé » des Coriosolites, peuple gaulois occupant un vaste territoire entre la Manche et les hauteurs de Paimpont.

Évocation paysagère des campagnes gauloises de Mohon.

Évocation paysagère des campagnes gauloises de Mohon. Dessin Michaël Batt

Des remembrements antiques imposant une main-d’œuvre importante

Dès le début des survols en 1989, nous avions été surpris par les longs fossés rectilignes apparaissant dans les campagnes du Porhoët, témoins de ces vastes aménagements agraires présumés antiques (certains étaient sans doute hérités des fermes antérieures laténiennes). Quelques-uns se caractérisent par de longues visées dans le paysage et par une morphologie géométrique plutôt ostentatoire. On y reconnaît des espaces résidentiels occupés par des bâtiments et des espaces annexes probablement agricoles et artisanaux. Ils s’étendent sur plusieurs centaines d’hectares comme dans la vallée de l’Yvel à Mauron. Particulièrement emblématique, ce site regroupe des voies de desserte et des fossés définissant des sortes de quartiers cadastraux. Cette restructuration agraire, qui s’apparente à un remembrement, est, semble-t-il, obtenue par une succession de visées dans un paysage déjà largement ouvert et relativement plat. Certains fossés délimitent des zones humides. Aucune périodicité métrique n’a été découverte mais les longs linéaments reconnus évoquent des opérations de drainage et de possibles frontières de propriété. Ces fossés sont presque totalement discordants avec le dessin des parcelles du cadastre napoléonien. Pour l’instant, la chronologie de cet aménagement est seulement fournie par son rattachement à la voie antique Rennes-Quimper. Le creusement de ces kilomètres de fossés a requis une main-d’œuvre conséquente, des géomètres qualifiés et un encadrement compétent. Si l’on ne sait pas qui en a été à l’initiative, on peut seulement signaler que ces ­travaux s’inscrivent dans la continuité de la forte occupation des lieux à l’époque gauloise sans doute alors liée à la valeur agronomique des sols.

Évocation paysagère de la villa de Loutehel.

Évocation paysagère de la villa de Loutehel. Dessin Michaël Batt

Un laboratoire pour de nouvelles générations d’archéologues

Éloigné des métropoles régionales et des investigations préventives, le Porhoët reste un pays essentiellement rural avec des rendements céréaliers importants mais avec, également, la prolifération de nouveaux bâtiments d’élevage (porcheries, stabulation, poulaillers) qui échappent parfois aux prescriptions archéologiques. La documentation recueillie durant de longues années constitue un corpus idéal pour des études ultérieures consacrées aux parcellaires anciens, aux fermes du premier et second Âge du fer mais également aux cimetières de l’Âge du bronze et du fer, bien représentés sur cette aire géographique. À ce titre, le Porhoët apparaît bien comme un terroir pleinement mis en valeur dès la fin de l’Âge du fer et au cours de l’Antiquité.

Remerciements

L’auteur tient à remercier Michaël Batt, Stéphane Jean (Inrap), Valérie Le Gall (Inrap) et Philippe Guigon pour les informations communiquées et les travaux complémentaires.

Pour aller plus loin :
GAUTIER M., 2020, « L’Ouest de la France vu du ciel », Archéologia, édition Faton, no 592.
GAUTIER M. (à paraître), « Les parcellaires antiques du Porhoët et de la vallée de l’Yvel : des campagnes au cordeau », Actes du XVIe colloque de l’Association d’étude du monde rural gallo-romain, Nantes.
MALRAIN F., 2023, Les domaines ruraux du nord de la Gaule. Une archéologie historique du second âge du Fer, Paris, CNRS Éditions/Inrap.