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Chute de l’Empire romain : la faute au plomb ?

© Éric Le Brun

Le saturnisme a souvent été évoqué pour expliquer le déclin de ­l’Empire romain. Une nouvelle étude semble confirmer qu’il y a participé.

Depuis Montesquieu, la fin de l’Empire romain d’Occident, en 476, n’en finit pas de fasciner. Beaucoup d’explications ont été avancées, sans qu’aucune n’emporte l’adhésion : problèmes économiques et sociaux, invasions « barbares »…

Une tuyauterie en plomb

L’une d’entre elles, si elle n’est pas forcément la cause principale, semble tout de même être un facteur essentiel : la pollution au plomb. Les Romains étaient, en effet, des champions dans l’art difficile de l’hydraulique et savaient conduire l’eau depuis les rivières jusqu’aux fontaines publiques ou privées. Problème : toute la tuyauterie qu’ils employaient était à base de plomb. Conséquence : le lent empoisonnement de la population et la probable augmentation (même si aucun texte ne le confirme) des cas de saturnisme (ou plombémie), qui entraîne des retards intellectuels, des troubles du langage, un ralentissement de la croissance, des difficultés motrices… Sans oublier que le plomb rentrait également dans la composition de recettes de cuisine et d’onguents.

Pollution atmosphérique

L’analyse de squelettes romains à Londres a ainsi révélé un taux de 123 µg (microgrammes) de plomb par gramme dans leurs os (contre 0,3 à 2,9 µg pour des individus de la période précédente). Certes, des empoisonnements naturels existent, comme celui qui affecta les jeunes Néandertaliens du Payre (Ardèche). Mais dans notre cas, cette exposition au plomb atteignait des sommets approchant l’époque industrielle ! Pire encore, une nouvelle étude vient de révéler que l’exposition au plomb venait surtout de la pollution atmosphérique. La mesure de bulles d’air provenant de carottes de glace prélevées dans l’Arctique indique que plus de 500 kilotonnes de plomb ont été libérées dans l’atmosphère durant les 200 ans de la pax romana, entraînant une augmentation du saturnisme chez les jeunes enfants d’environ 2,4 µg/dl au-dessus d’un niveau néolithique estimé de 1 µg/dl. La faute à l’exploitation accrue des mines de galène, un minerai riche en plomb qu’il fallait fondre pour en extraire de l’argent. Les auteurs de l’étude estiment que cela fit perdre deux à trois points de quotient intellectuel dans la population. Suffisamment pour entraîner la diminution des capacités de résistance des forces humaines de l’Empire ? Montesquieu aurait ri d’une explication aussi simpliste. Rappelons que la concentration en plomb fut également élevée durant le Moyen Âge. Le saturnisme a sans aucun doute fragilisé l’Empire romain, mais ne l’a pas détruit.

Pour aller plus loin :
MCCONNELL J. R. et al., 2025, « Pan-European atmospheric lead pollution, enhanced blood lead levels, and cognitive decline from Roman-era mining and smelting », PNAS, 122 (3) e2419630121. Doi : 10.1073/pnas.2419630121
ELBAZ-POULICHET F. et al., 2020, « A 10,000-year record of trace metal and metalloid (Cu, Hg, Sb, Pb) deposition in a western Alpine lake (Lake Robert, France) : Deciphering local and regional mining contamination », Quaternary Science Reviews, 228. Doi : 10.1016/j.quascirev.2019.106076
MONTESQUIEU, 2024, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, Paris, Garnier, collection « Classiques », 1re parution en 1734.
SCOTT S. R. et al., 2019, « Elevated lead exposure in Roman occupants of Londinium: New evidence from the archaeological record », Archaeometry. Doi : 10.1111/arcm.12513
SMITH T. M. et al., 2018, « Wintertime Stress, Nursing, and Lead Exposure in Neanderthal Children », Science Advances. Doi : 10.1126/sciadv.aau9483