Comment devenir un artiste paléolithique ?

© Éric Le Brun

L’habileté technique et le savoir-faire des peintres et graveurs paléolithiques ont toujours posé question : où s’exerçaient-ils ? Qui leur a appris à dessiner ? Comment étaient-ils recrutés ? Étaient-ils des experts ou des professionnels ? Une nouvelle étude renouvèle notre approche de ces problèmes.

Depuis plusieurs années, la préhistorienne Olivia Rivero s’intéresse aux marqueurs techno-stylistiques de savoir-faire dans l’art mobilier du Paléolithique récent et final, aux différences d’habileté entre les artistes ainsi qu’aux apprentissages que ces savoir-faire nécessitaient, ceci grâce à des observations rapprochées des objets, couplées à des reconstitutions expérimentales, par des artistes confirmés et des personnes de moins d’expérience. Sans surprise, les données archéologiques sur l’art mobilier paléolithique pyrénéen démontrent une « gradation des savoir-faire ». Olivia Rivero estime à dix années la durée de formation pour devenir un expert dans la gravure magdalénienne. Par ailleurs, sur des sites comme Isturitz (Pyrénées-Atlantiques), il semble que les supports en pierre aient été réservés aux graveurs les moins habiles (les apprentis ?), les meilleurs (les maîtres ?) se réservant les os et bois de cervidés, matières sans doute plus prestigieuses.

Batterie de tests

Pour aller plus loin, Olivia Rivero s’est associée à plusieurs spécialistes pour croiser les données de l’archéologie et de la psychologie expérimentale. Des tests psychométriques et des exercices de dessin ont été menés sur des experts (des étudiants en arts plastiques) et des non-experts, afin d’estimer la visualisation spatiale, la vitesse de perception, la mémoire à court terme et celle de travail, sur un panel d’une centaine de personnes. Une deuxième batterie de tests (cette fois sur 33 candidats) a porté sur les processus d’apprentissage, basés sur les compétences manuelles, en évaluant celles motrices et cognitives, chaque cobaye tentant de reproduire des images paléolithiques qui étaient projetées, sur feuille ou support lithique.

Index de qualité technique

Un « index de qualité technique » a ainsi été créé, à partir des erreurs notées sur les dessins, en tenant compte du glissement de l’outil sur le support, de la difficulté à approfondir les rainures faites au burin et à reproduire des traits courbes. Étonnemment cet indice ne permet pas de séparer précisément experts et non-experts ; la gravure sur support lithique nécessite une formation particulière, établie sur la maîtrise de ces supports. Pour le reste, les premiers se distinguent des seconds en particulier sur l’expertise visuelle (comme la figuration de la perspective) et les aptitudes psychomotrices, mais très peu en revanche en ce qui concerne la mémoire ou la vitesse de perception. Ainsi, les artistes chevronnés sont plus proches du modèle présenté, mais aussi plus habiles pour positionner le dessin sur l’espace du support, le cadrer efficacement ou repérer les détails clés.

Un art qui s’apprend

La mémoire s’est révélée essentielle pour la qualité du dessin, mais les capacités motrices sont peu différenciées : c’est davantage la perception visuelle qui est en jeu, même s’il faut bien sûr acquérir des gestes techniques. La comparaison avec le matériel archéologique incite à envisager l’existence d’apprentissages au Paléolithique récent et final, avec des artistes présentant des compétences uniques façonnées par leur expérience et leur expertise en cognition visuelle, acquises notamment par une pratique soutenue sur le long terme : le simple talent ne suffit donc pas. Toutefois, il faudra se méfier du critère de la reproduction des détails : certains dessins paléolithiques, réduits à leur simple silhouette, présentent un schéma de construction et des gestes techniques dignes des plus grands maîtres. 

Pour aller plus loin :
RIVERO O., 2016, « Master and apprentice: Evidence for learning in palaeolithic portable », Journal of Archaeological Science, 75, p. 89-100.
RIVERO O., 2020, « L’apport des analyses technologiques à l’étude des savoir-faire artistiques du Paléolithique », dans PION P., SCHLANGER N. (dir.), Apprendre. Archéologie de la transmission des savoirs, Paris, coédition La Découverte/Inrap, p. 89-99.
RIVERO O. et al., 2024, « Experimental insights into cognition, motor skills, and artistic expertise in Paleolithic art », Scientific Reports, 14, 18029. Doi : 10.1038/s41598-024-68861-2