Des ancêtres hybrides

© Éric Le Brun
Tous les Humains anatomiquement modernes (hors d’Afrique) descendent d’ancêtres en partie hybridés avec Néandertal entre 50 000 et 46 000 ans. Cette conclusion a été atteinte en parallèle par deux équipes qui publient leurs résultats en même temps.
Depuis quelques années, le Paléolithique récent initial (entre 46 000 et 40 000 ans environ) attire l’attention des préhistoriens. C’est à cette époque qu’apparaissent les industries dites « de transition », autrefois attribuées à Néandertal, aujourd’hui associées à une première vague de Sapiens en Eurasie, des Hommes anatomiquement modernes, retrouvés en particulier à Ranis (Allemagne), Bacho Kiro (Bulgarie) et Zlatý kůň (Tchéquie).
Hybridations multiples
Des recherches inédites, publiées dans la revue Nature, viennent de fournir de nouvelles précisions. L’ADN du crâne de la femme de Zlatý kůň et des restes de six individus de la grotte d’Ilsenhöhle à Ranis (trois femmes dont une mère et sa fille et un autre individu) ont révélé… qu’il étaient parents, alors qu’ils vivaient à 230 km de distance ! La femme de Zlatý kůň est liée avec ceux de Ranis au cinquième ou sixième degré, ce qui en fait une lointaine cousine ou une arrière-grand-mère. Les chercheurs ont estimé qu’elle descendait elle-même de personnes ayant eu un premier contact avec Néandertal 90 générations auparavant. Ce premier épisode d’hybridation se serait produit entre 49 000 et 45 000 ans. Ce que confirme une seconde étude, parue cette fois dans Science, qui a identifié l’ascendance néandertalienne de 300 génomes issus de 59 échantillons humains anciens (ayant vécu entre 45 000 et 2 000 ans) et 275 actuels. Résultat : le flux génétique s’est probablement produit sur une période d’environ 6 000 ans, entre 50 500 et 43 500 ans environ. Les populations européennes du Paléolithique récent initial, qui ne participent pas au pool génétique européen actuel et se sont donc éteintes sans descendance, se sont parfois hybridées une seconde fois localement avec Néandertal, par exemple à Bacho Kiro, comme l’ont confirmé des analyses paléogénétiques. Le professeur Jean-Jacques Hublin nous explique ce que cela modifie dans notre perception de l’évolution d’Homo sapiens.
Le point de vue du spécialiste : « Ces deux études résolvent donc un désaccord fréquent »
L’hybridation entre nos deux espèces, autrefois datée d’environ 70 000 ans, est donc rajeunie ?
Ces deux études produisent en effet une nouvelle estimation de la date de l’hybridation entre Néandertal et Sapiens, à l’origine des 2 % de gènes néandertaliens que portent tous les humains actuels en dehors d’Afrique. Les deux équipes parviennent à une estimation similaire de cet événement, entre 50 000 et 45 000 ans environ, quelque part entre l’Iran, la Palestine, Israël et l’Arabie saoudite. Il s’est alors constitué un réservoir de populations, consécutif à une sortie d’Afrique de Sapiens plus importante que les précédentes, dont descendent toutes les personnes actuelles non africaines. Il y avait bien eu d’autres sorties auparavant, comme celle des hommes de Qafzeh en Israël, mais qui se sont éteintes sans descendance. Ces deux études résolvent donc un désaccord fréquent entre les paléogénéticiens et les préhistoriens sur les dates de peuplement : bien avant 50 000 ans, il y avait des Sapiens en Eurasie, mais ils n’ont rien à voir génétiquement avec nous.
Répartition géographique des spécimens d’humains modernes âgés de plus de 40 000 ans ayant produit des données sur l’ensemble du génome (kyr : kiloyear). D’après Sümer A. P. et al., 2024.
Les populations Sapiens du Paléolithique récent initial se sont aussi éteintes sans descendance.
Oui mais elles provenaient du même réservoir de populations qui a quitté l’Afrique peu après 50 000 ans, et a été en contact avec Néandertal sur une fenêtre temporelle de 6 000 ans, à l’échelle de l’Eurasie. Ceci confirme des résultats anciens basés sur des lignées d’ADN mitochondrial, qui avaient déjà identifié, pour toutes les populations actuelles hors d’Afrique, un point de coalescence vers 50 000 ans. Nous savons maintenant que ces premières vagues de ce peuplement ont plutôt été des vaguelettes, des groupes de quelques centaines de personnes qui ont connu des histoires bien différentes : ainsi, les Sapiens de Bacho Kiro (Bulgarie) se sont hybridés une deuxième fois avec des Néandertaliens locaux ; mais ce ne fut le cas ni à Ranis ni à Zlatý kůň. Autre découverte : ces petits groupes sont arrivés dans un environnement hostile et non à la faveur d’un réchauffement climatique ; s’ils sont venus, c’est qu’ils voulaient venir.
Les Sapiens de Ranis et Zlatý kůň sont donc parents ?
Exact ! L’un des spécimens de Ranis nous a fourni l’ADN sapiens le plus ancien connu à ce jour. Il est très complet et démontre une très grande proximité familiale avec la femme de Zlatý kůň. C’est incroyable que l’on arrive à identifier des parents à cette lointaine époque ! De l’Allemagne à la Moravie… Nous avons probablement affaire ici à de petits groupes disséminés sur un territoire immense.
Pour aller plus loin :
IASI L. N. M. et al., 2024, « Neanderthal ancestry through time: Insights from genomes of ancient and present-day humans », Science, 386 (6727). Doi : 10.1126/science.adq3010
SÜMER A. P. et al., 2024, « Earliest modern human genomes constrain timing of Neanderthal admixture », Nature. Doi : 10.1038/ s41586-024-08420-x
HUBLIN J.-J. et al., 2020, « Initial Upper Palaeolithic Homo sapiens from Bacho Kiro Cave, Bulgaria », Nature, 581, p. 299-302. Doi : 10.1038/s41586-020-2259-z