Notre-Dame de Paris à la lumière de l’archéologie (5/8). Méthodes d’analyse du monument

Nuage de points de la cathédrale Notre-Dame de Paris. © Art graphique & patrimoine
Depuis huit siècles, Notre-Dame de Paris domine l’île de la Cité. Sa silhouette familière dissimule une histoire qui reste en grande partie à découvrir. Le drame du 15 avril 2019 a imposé des opérations de sauvetage et signé l’ouverture d’un chantier scientifique qui vise une connaissance complète de l’édifice afin d’en permettre la parfaite restauration.
Les auteurs de ce dossier sont : Arnaud Ybert, Yves Gallet, Frédéric Épaud, Olivier Poisson, Stephan Albrecht, Caroline Bruzelius, Lindsay Cook et Stéphanie Daussy, respectivement président et membres de l’Association des scientifiques pour Notre-Dame ; Philippe Villeneuve, Aline Magnien, Marie-Hélène Didier et Dominique Garcia. Ce dossier a été coordonné par Olivier Poisson, inspecteur général des Monuments historiques honoraire et membre de l’Association des scientifiques pour Notre-Dame. La rédaction le remercie chaleureusement pour sa précieuse contribution.
Maquette en plâtre de Notre-Dame de Paris, datée de 1843, réalisée par Louis Télesphore Galouzeau de Villepin (détail). David Bordes, Mdiathque de l’architecture et du patrimoine, Cit de l’architecture et du patrimoine
Au début des années 1980, l’intérieur de la cathédrale était nettoyé et des siècles de poussières balayés, révélant la brillance du calcaire crémeux des lieux. Quand les travaux furent achevés, Notre-Dame était aussi belle que lors de son achèvement.
Traduit de l’anglais par Éléonore Fournié
Une cathédrale qui se donne à lire
Ce nettoyage eut un autre impact bénéfique, quand les échafaudages mobiles ont permis d’avoir accès à tous les niveaux du monument. En temps qu’historienne de l’architecture, je souhaitais savoir si les murs eux-mêmes pouvaient expliquer le processus de construction : en d’autres termes, est-ce que les mesures de la maçonnerie et le profil des plinthes, bases et impostes permettraient d’identifier les différentes phases de l’édification ? Au début des années 1980, je passais ainsi de nombreuses journées sur les échafaudages, à « lire » les murs dans l’espoir de comprendre comment cette cathédrale, plus longue, plus vaste et plus large que toutes les autres contemporaines, avait été construite. En 1987, je publiais les résultats de mes recherches. À cette époque, le discours dominant était que le schéma originel de la construction avait été respecté au fil des siècles.
Maquette en plâtre de Notre-Dame de Paris, datée de 1843, réalisée par Louis Télesphore Galouzeau de Villepin. © David Bordes, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Cité de l’architecture et du patrimoine
Un monument en dialogue avec soi-même
Or, il est apparu, sur la base des milliers de mesures, des moulages, mais également de la maquette en plâtre de 1843 exposée au musée des monuments français (Cité de l’architecture et du patrimoine) et de vues historiques intérieures, que ce n’était pas exact ! Au lieu de suivre une idée initiale, l’édifice a connu beaucoup de changements – que l’on peut qualifier de « dialogue avec soi-même » composant avec les améliorations et les modifications réalisées. Certaines d’entre elles étaient l’œuvre de nouveaux bâtisseurs, comme le soulignent les changements profonds entre le chevet et la nef. Les deux côtés des étages supérieurs de la nef ont ainsi été édifiés par des équipes différentes mais travaillant en même temps, comme le prouvent les dimensions identiques des pierres, mais dont la précision des détails diffère. Je pense qu’il y a eu cinq maîtres bâtisseurs pour le corps principal de l’église (ce qui n’inclut pas les façades du transept). Des scans laser et de nouvelles technologies permettent d’avoir recours à des méthodes d’analyse inédites. Espérons qu’après la catastrophe de 2019, technologies digitales et archéologie du bâti se combineront afin de mieux cerner cette magnifique cathédrale.
Relevés lasers et 3D
Il y a une dizaine d’années, Andrew Tallon, le regretté historien américain de l’architecture médiévale, a fait réaliser un relevé laser de l’ensemble de la cathédrale de Paris. Son but était d’étudier minutieusement les arcs-boutants et l’ensemble de la structure de l’édifice. Promoteur de la nouvelle vague de l’archéologie du bâti, il a notamment publié les résultats de ses recherches dans l’ouvrage de synthèse Notre-Dame de Paris : neuf siècles d’histoire (Parigramme, 2013). Son plan spatial 3D, conçu comme un outil de recherche, s’est transformé, après l’incendie de 2019, en témoin numérique de l’ancien état de la cathédrale, offrant des traces spectrales des éléments endommagés ou bien disparus, dont la flèche, la toiture et la voûte de la croisée du transept. Ces données font désormais partie du modèle 3D assemblé par le CNRS, travail fourni au service de la consolidation, de la conservation, et de la future restauration de Notre-Dame. L.C.
Andrew Tallon, Notre-Dame de Paris : neuf siècles d'histoire, 2013.
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Notre-Dame de Paris à la lumière de l’archéologie
5/8. Méthodes d’analyse du monument