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Notre-Dame de Paris à la lumière de l’archéologie (6/8). L’incendie et ses conséquences

Incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019.

Incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019. © Mollona / Leemage

Depuis huit siècles, Notre-Dame de Paris domine l’île de la Cité. Sa silhouette familière dissimule une histoire qui reste en grande partie à découvrir. Le drame du 15 avril 2019 a imposé des opérations de sauvetage et signé l’ouverture d’un chantier scientifique qui vise une connaissance complète de l’édifice afin d’en permettre la parfaite restauration.

Les auteurs de ce dossier sont : Arnaud Ybert, Yves Gallet, Frédéric Épaud, Olivier Poisson, Stephan Albrecht, Caroline Bruzelius, Lindsay Cook et Stéphanie Daussy, respectivement président et membres de l’Association des scientifiques pour Notre-Dame ; Philippe Villeneuve, Aline Magnien, Marie-Hélène Didier et Dominique Garcia. Ce dossier a été coordonné par Olivier Poisson, inspecteur général des Monuments historiques honoraire et membre de l’Association des scientifiques pour Notre-Dame. La rédaction le remercie chaleureusement pour sa précieuse contribution.

Vue aérienne de Notre-Dame. Détail des échafaudages installés à la croisée du transept.

Vue aérienne de Notre-Dame. Détail des échafaudages installés à la croisée du transept. © Art graphique & patrimoine

Récit de Philippe Villeneuve, architecte en chef des Monuments historiques chargé de la cathédrale Notre-Dame depuis 2013.

La nuit de l’incendie

La nuit du 15 avril, lorsque je suis monté avec les pompiers sur la tour nord de Notre-Dame, au spectacle des débris fumants que l’on voyait là où si peu de temps auparavant s’élevait la magnifique toiture de la cathédrale, j’ai pris conscience des dangers gravissimes que courait l’édifice. Flèche, charpente, toiture déjà disparus, un autre péril menaçait. Les voûtes, calcinées en surface, ébranlées par la chute des bois en feu, inondées par l’eau, certaines déjà tombées, allaient-elles résister ? La stabilité d’une cathédrale comme Notre-Dame est un assemblage complexe et dynamique, où les forces s’expriment et s’opposent en des points précis, un équilibre subtil et fragile où chaque membre joue son rôle. Si les voûtes s’effondrent, ai-je pensé, les arcs-boutants élevés pour contenir leur poussée extérieure vont se trouver sans contrepartie. Poussant alors à leur tour les hauts murs vers l’intérieur, ils peuvent provoquer leur chute, entraînant ensuite celle des tribunes et la ruine complète de l’édifice. Cela pouvait se produire d’un moment à l’autre. Dans la nuit, des sensations comme celles-là ont proprement changé ma vie, à jamais.

La menace de la ruine

Architecte de Notre-Dame par passion, je le suis devenu par devoir, devoir impérieux de sauver l’édifice et de le rendre à tous. Désormais, je ne ferai plus que cela. Certes, les voûtes ont tenu. Mais d’autres dangers se sont évidemment affirmés, le lendemain et les jours suivants. Par l’ouverture béante créée par la chute de la flèche et de son tabouret, de nombreux bois s’étaient amoncelés dans la nef où ils avaient continué à brûler : un pilier était calciné, fragilisé. Il fut cerclé d’urgence. Les trois pignons se dressaient désormais seuls, calcinés à l’intérieur et sans aucun appui. Si l’un deux venait à s’abattre, ne risquait-on pas la destruction des vitraux des roses, miraculeusement indemnes ? Très rapidement on put les étayer, tandis qu’une couverture provisoire mettait, le plus vite possible, l’essentiel des voûtes à l’abri des intempéries. Et l’échafaudage. Monstrueux négatif de la flèche de Viollet-le-Duc consumée, ce n’est plus qu’un enchevêtrement de tubes noués par la chaleur, déformés, tordus. Et si lui aussi venait à s’écrouler ? Qu’entraînerait-il avec lui ?

La restauration à venir est un défi comme peu ont été lancés à notre époque au Service des Monuments historiques.

L’urgence impérieuse

L’urgence impérieuse a conduit, avec le concours d’une équipe et d’entreprises exceptionnellement mobilisées, à parer l’un après l’autre tous ces dangers. La cathédrale a été entièrement instrumentée, bardée de capteurs permettant d’en connaître en temps réel le moindre mouvement. Les arcs-boutants ont été mis sur cintres pour neutraliser leur poussée, chantier déjà énorme : vingt-deux ouvrages de charpente de huit tonnes chacun, glissés de main de maître sous les arcs. Ainsi assurée, la cathédrale tient debout. Quand paraîtront ces lignes, l’échafaudage sera sans doute entièrement retiré et plus aucun danger majeur ne menacera Notre-Dame. Au-dessus des voûtes, et sans jamais y prendre pied, les compagnons ont retiré un à un tous les gravats, le plomb fondu, les débris de la charpente brûlée, dont tous les fragments ont été conservés, identifiés en vue d’analyses scientifiques. Ils nous apprendront beaucoup. Déjà, grâce aux archéologues, tous les matériaux ayant chuté avaient été retirés de la nef et des transepts – sans plus y pénétrer.

Intérieur de Notre-Dame le 13 mars 2020. Détail de la voûte de la croisée du transept effondrée avec des morceaux de la flèche carbonisée et en équilibre.

Intérieur de Notre-Dame le 13 mars 2020. Détail de la voûte de la croisée du transept effondrée avec des morceaux de la flèche carbonisée et en équilibre. © Denis Allard / Leextra via Leemage

La restauration, un défi !

La restauration à venir est un défi comme peu ont été lancés à notre époque au Service des Monuments historiques. Les experts du ministère de la Culture et de l’établissement public chargé de la maîtrise d’ouvrage du projet ont tous conclu, en juillet dernier, à la reconstruction de la charpente et de la toiture disparues, dans leurs matériaux d’origine, approuvant l’orientation que j’avais proposée. Mais les voûtes restent un sujet primordial. Bientôt la nef tragiquement vide et interdite d’accès va se remplir d’échafaudages permettant leur réparation et, là où il le faut, leur reconstruction. On peut être plein d’espoir sur le résultat d’une opération qui permettra aussi de rendre aux espaces intérieurs de la cathédrale leur aspect esthétique, révélant couleurs et décors. Au-dessus des voûtes, la première chose que je souhaite entreprendre est la reconstruction de la flèche.

Dans les pas de Viollet-le-Duc

Dans une étonnante symétrie avec la démarche de Viollet-le-Duc en 1859, la chute de la voûte de la croisée du transept nous ouvre, en quelque sorte, le passage. Comme mon illustre prédécesseur, je devrai démonter les pieds de gerbe de la voûte effondrée pour aller chercher en haut des piliers de la croisée le bon appui des pièces de bois. Puis, selon le dessin hardi et bien connu du grand architecte, on pourra monter le tabouret, les enrayures et tous les bois de la flèche. Au XIXe siècle, celle-ci avait été montée en trois mois. Ferons-nous moins bien ? La couverture de plomb sera sans doute plus lente, permettant le retour sur les contrefiches des seize statues miraculeusement sauvées de l’incendie. Quant à la charpente de la nef et des transepts, une ferme se taille et se monte en cinq jours, comme une expérimentation l’a d’ores et déjà démontré. Cela promet d’être un chantier spectaculaire, plein d’émotions, conservant intégralement les techniques opératives du Moyen Âge comme celles du XIXe siècle, avec l’aide, cependant, de moyens de transport, de levage et de manutention à rendre jaloux nos prédécesseurs !

Le tabouret est la partie inférieure de la structure porteuse de la flèche, contenue dans l’espace de la charpente, que l’on ne voit pas.

Le pied de gerbe désigne la partie inférieure des nervures d’une voûte sur croisée d’ogives, au moment où elles sont encore confondues, dans le départ de cette voûte, au-dessus des chapiteaux des piliers.

Les contrefiches sont les grandes pièces de bois, destinées à assurer la stabilité de la flèche, que les constructeurs médiévaux de Notre-Dame, et ensuite Viollet-le-Duc, ont installé dans les noues de la toiture de la cathédrale.