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Notre-Dame de Paris à la lumière de l’archéologie (8/8). « Le travail des archéologues participe de la restauration la cathédrale »

Reconstitution de Notre-Dame de Paris en 1245.

Reconstitution de Notre-Dame de Paris en 1245. © Art graphique & patrimoine

Depuis huit siècles, Notre-Dame de Paris domine l’île de la Cité. Sa silhouette familière dissimule une histoire qui reste en grande partie à découvrir. Le drame du 15 avril 2019 a imposé des opérations de sauvetage et signé l’ouverture d’un chantier scientifique qui vise une connaissance complète de l’édifice afin d’en permettre la parfaite restauration.

Les auteurs de ce dossier sont : Arnaud Ybert, Yves Gallet, Frédéric Épaud, Olivier Poisson, Stephan Albrecht, Caroline Bruzelius, Lindsay Cook et Stéphanie Daussy, respectivement président et membres de l’Association des scientifiques pour Notre-Dame ; Philippe Villeneuve, Aline Magnien, Marie-Hélène Didier et Dominique Garcia. Ce dossier a été coordonné par Olivier Poisson, inspecteur général des Monuments historiques honoraire et membre de l’Association des scientifiques pour Notre-Dame. La rédaction le remercie chaleureusement pour sa précieuse contribution.

Classement sur les palettes des pierres récupérées et étiquetées par godet.

Classement sur les palettes des pierres récupérées et étiquetées par godet. © Marc Viré, Inrap

Début juillet 2020, le ministère de la Culture annonçait que Notre-Dame de Paris serait restaurée à l’identique, selon l’état de référence de Viollet-le-Duc. Quelle est la place des archéologues dans cette reconstruction ? Comment leur expertise peut-elle aider à rebâtir ce chef-d’œuvre ? Marie-Hélène Didier, conservatrice générale des Monuments historiques à la Drac Île-de-France, répond aux questions d’Archéologia.

Propos recueillis par Éléonore Fournié

Dès le lendemain de l’incendie, les archéologues ont été étroitement associés aux travaux à mener. Comment l’expliquez-vous ?

En effet, dès que nous avons pu pénétrer dans la cathédrale, les archéologues du SRA (Service régional de l’archéologie) et de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) ont fait face à des décombres, notamment en bois et en pierre gisant au sol, que nous avons décidé de traiter comme les vestiges d’un chantier archéologique.

Comment cela s’est-il passé ?

Tous les éléments au sol ont été repérés, pris en photo, numérotés, mesurés, triés, mis sur palettes, etc., comme on pourrait le faire lors d’une fouille. Le but de ce « tri » est de comprendre d’où venaient les fragments tombés au sol et d’arriver à retrouver leur emplacement d’origine. Au fur et à mesure, nous sommes « descendus » dans les couches des décombres. Les éléments qui se trouvent en dessous sont en principe les premiers à être tombés. Ces relevés nous permettront de faire la distinction, dans les éléments en bois, entre les fermes médiévales et celles remplacées à l’époque moderne (XVIIe et XVIIIe siècles).

Est-ce la première fois que l’archéologie est convoquée pour des travaux de restauration ?

La conservation régionale des Monuments historiques dont je dépends travaille régulièrement avec le SRA. Mais ici la tâche est exceptionnelle : nous faisons face à une catastrophe inédite, sur un bâtiment d’une telle notoriété ! Nous n’avons jamais rencontré auparavant de tels enjeux de recherche, recherche que nous pouvons mener grâce aux nouvelles technologies et parce que les éléments sont au sol.

Un établissement public autonome au service de Notre-Dame

Présidé par le général Jean-Louis Georgelin, l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris a été créé par la loi du 29 juillet 2019. Son conseil d’administration comprend, outre le général Georgelin, douze membres : six représentant l’État dont le préfet d’Île-de-France, la maire de Paris (ou son représentant), l’archevêque de Paris (ou son représentant), trois « personnalités qualifiées, françaises ou étrangères », et enfin un représentant des personnels.

La flèche et la charpente vont être reconstruits à l’identique. En quoi le travail des archéologues peut-il aider celui des architectes ?

Effectivement, à la suite des évaluations remarquables faites par l’équipe de maîtrise d’œuvre, nous, services du ministère de la Culture en région, conservation régionale des Monuments historiques et Service régional de l’archéologie exerçant le contrôle scientifique et technique sur la cathédrale, avons instruit le dossier, qui a été présenté devant la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture. Le communiqué de presse publié dans la foulée a été clair : la fameuse « forêt » sera reconstruite en chêne, le toiture refaite en plomb et la flèche édifiée sera celle de Viollet-le-Duc. Dans ce cadre-là, le travail des archéologues, notamment sur les pierres, va guider la restauration ; il nous permettra de déterminer d’où provenait le morceau tombé et de savoir grâce au LRMH s’il est réutilisable. Certains vestiges seront scannés et des reconstitutions 3D établies par des équipes pluridisciplinaires impliquant l’équipe de maîtrise d’œuvre, le CNRS et le LRMH, qui tenteront de reconstituer les arcs effondrés. Nous voulons voir si ces propositions fonctionnent et comment elles pourraient éclairer la restauration. Nous essayons de mettre toutes les moyens actuels au service de la restauration de Notre-Dame, pour laquelle nous souhaitons au maximum réutiliser les pierres existantes. Si cela semble faisable pour les arcs, cela semble plus délicat pour les voûtains effondrés, car nous nous sommes aperçus qu’ils étaient très minces !

Vue de l'ensemble de la charpente de la nef de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Vue de l'ensemble de la charpente de la nef de la cathédrale Notre-Dame de Paris. © F. Épaud

Qu’avez-vous pu découvrir sur Notre-Dame à la suite de la catastrophe ?

Cette étude un peu forcée mais très poussée de Notre-Dame nous donne accès à des parties inédites comme le haut des murs où nous avons découvert les agrafes métalliques à nu qui attachent les pierres les unes avec les autres. Parmi les pôles de recherches mis en place sous la houlette du ministère de la Culture, celui dédié au métal va réaliser des prélèvements pour déterminer de quand elles datent, de quoi elles sont faites, et tenter d’identifier une provenance. Nous allons avoir une connaissance de la construction elle-même beaucoup plus complexe et complète que celle acquise jusqu’à présent.

Quel est le calendrier à venir ?

Comme cela a été souhaité par le Président de la République, nous travaillons à une réouverture de Notre-Dame le 16 avril 2024. Mais réouverture ne veut pas dire que toutes les restaurations, liées à l’incendie, seront achevées. Je ne parle pas bien sûr de la restauration de Notre-Dame dans sa globalité, qui représente un chantier quasi-permanent. Au moment de l’incendie, Notre-Dame était en travaux, comme en témoigne le fameux échafaudage de la flèche, en cours de démontage (ndlr : la fin de ce démontage est prévue pour fin septembre 2020). Ce sera alors un grand pas en avant puisque cela permettra de rendre des zones accessibles – jusqu’à présent nous ne pouvions aller ni dans la nef, ni dans le transept, ni dans le chœur. Une fois l’échafaudage enlevé, nous pourrons nettoyer toutes les voûtes (à l’heure actuelle, seules les voûtes des deux transepts et d’une partie de la nef sont nettoyées), les débarrasser de leurs éléments métalliques et en bois (qui seront à leur tour étudiés) afin qu’elles soient ensuite consolidées. Nous sommes également en train de dresser un échafaudage pour la restauration de l’orgue, qui a pris la poussière, et nous allons mener une campagne de nettoyage-test sur deux chapelles. Après 2024, nous reprendrons le programme de restaurations, notamment sur les grandes roses qui nécessitent un diagnostic.