Homo naledi : controverses autour de sépultures

© Éric Le Brun

Homo naledi : ce drôle d’hominine, totalement inattendu, qui vivait à la même époque que les premiers Homo sapiens (autour de 300 000 ans), n’en finit pas de susciter la polémique. Dernière en date : enterrait-il ses morts ?

La revue eLife adopte une politique de publication assez audacieuse. Alors que les autres revues scientifiques ont un comité de rédaction et des rewievers qui relisent, corrigent puis valident les publications (souvent anonymement, ce qui est parfois la porte ouverte aux règlements de compte), elle a pris le parti de publier en ligne la première version d’un article, pour que chacun puisse le commenter et l’amender de manière transparente. Ce qui pourrait passer pour une action vertueuse a des effets pervers : un chercheur trop pressé peut en profiter pour y étaler ses travaux et théories sans les avoir fait valider par ses pairs, condition même de la recherche scientifique.

Des tombes et des décors ?

C’est ce qui se produit avec Lee R. Berger, qui défraie la chronique avec ses découvertes toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Après avoir annoncé en 2015 la découverte, dans les grottes de Rising Star (Afrique du Sud), dans une salle profonde et difficile d’accès (Dinaledi Chamber), de plus de 1 550 ossements appartenant à au moins quinze individus, il crée une nouvelle espèce : Homo naledi. Pour lui, il s’agit d’un dépôt funéraire : les défunts y ont été apportés au fil du temps, comme sur le site de la Sima de los Huesos (Atapuerca, Espagne) où, vers 430 000 ans, 28 Néandertaliens anciens semblent avoir été abandonnés après leur mort. Les karstologues doutent, arguant que certains scénarios n’ont pas été assez explorés, comme une catastrophe naturelle. Mais la mise au jour d’autres ossements dans plusieurs galeries semble confirmer l’hypothèse de Lee R. Berger. Celui-ci ménage alors un nouveau coup de théâtre : en 2023, il affirme avoir trouvé des individus déposés dans une dépression creusée de la main de l’Homme, ce qui représenterait les premières tombes de l’histoire de l’humanité, plusieurs millénaires avant celles de Sapiens et de Néandertal – retrouvées au Proche-Orient et qui dateraient d’environ 100 000 ans. Par ailleurs, selon lui, des traces sur les parois constitueraient de possibles gravures. Homo naledi, premier fossoyeur et premier artiste pariétal ? Cette fois, la communauté scientifique réagit plus vigoureusement, d’autant que le chercheur participe à un documentaire diffusé sur Netflix qui présente ses résultats sans prise de distance. Or, d’après une récente publication, l’analyse fine du sédiment empêche, à l’heure actuelle, de conclure que les fosses étaient bien artificielles ; Lee R. Berger et son équipe auraient été trompés par des différences superficielles de texture et de couleur. Espérons qu’un colloque sera bientôt organisé et les différentes données sereinement confrontées. Homo naledi le mérite !

Le point de vue du spécialiste : « Trouver la limite entre la science et les histoires »

Déposer un corps dans une fosse, même naturelle, peut-il être considéré comme geste funéraire ? 

Antoine Blazeau : Il faut faire attention aux termes employés, car leur signification n’est pas forcément la même pour tous. Et s’il est nécessaire de les définir, gageons que le plus important est, finalement, d’échanger sur ce que nous cherchons réellement – et de le faire dans un cadre scientifique. Dans le cas des Néandertaliens, le débat porte essentiellement sur l’intentionnalité : ont-ils volontairement enterré l’un des leurs ? C’est ce que nous avons pu démontrer pour le site de La Ferrassie : toutes les données scientifiques collectées prouvent que le corps n’a pu se retrouver là, dans cette position et ce contexte, naturellement. Il a fallu que ses contemporains creusent le sédiment, l’y déposent puis le recouvrent ; c’est donc bien volontaire. Cela avait nécessairement un sens… À nous d’étudier dans le détail le contexte des différentes sépultures pour le comprendre. Évidemment il faut distinguer ce que nous pouvons interpréter en se basant sur des données scientifiques de ce que nous pouvons imaginer. C’est la limite entre la science et les histoires…

Grotte de Rising Star : unité d’excavation S150W150 de l’antichambre de la colline avant l’ouverture de la fouille. Cette zone présentait une collection de pierres plates non superposées à la surface.

Grotte de Rising Star : unité d’excavation S150W150 de l’antichambre de la colline avant l’ouverture de la fouille. Cette zone présentait une collection de pierres plates non superposées à la surface.

S’il n’y a pas de sépulture, y a-t-il au moins des dépôts funéraires ? Comment expliquer la présence de si nombreux corps d’Homo naledi dans un réseau aussi difficile d’accès ? 

Je ne sais pas : pour le moment toutes les données de contexte concernant cette découverte ne sont pas encore disponibles. Ainsi, il n’y a aucune certitude sur le nombre d’entrées des grottes qui existait à la Préhistoire. La date même des fossiles est incertaine, leur contemporanéité d’autant plus. La manière dont les dépôts se sont constitués n’a encore fait l’objet d’aucun travail. Bref, on peut toujours penser qu’une possibilité est plus crédible qu’une autre mais sans données scientifiques, il est impossible de répondre à la question. 

Quelle est la différence avec le site de la Sima de los Huesos ? 

Le temps écoulé depuis la découverte des sites et l’approche de terrain. Pour Atapuerca, la découverte remonte à plusieurs décennies. Les datations ont été répétées, affinées, ont changé pour nous offrir maintenant un cadre chronologique solide pour les défunts. Il en est de même pour les analyses géologiques, taphonomiques, et même l’étude des fossiles humains. Plusieurs d’entre eux auraient été assassinés et le dépôt intentionnel des corps paraît être la meilleure explication. Mais on ignore encore comment leurs contemporains sont entrés dans le réseau karstique, s’ils utilisaient le feu et la raison de cette accumulation de corps. À l’inverse de ce qui se passe pour Naledi, à Atapuerca, les travaux scientifiques avancent lentement, afin de mieux comprendre le site et ce qui n’est pas encore explicable (et qui ne le sera peut-être jamais) n’est pas évoqué.

Pour aller plus loin :
BERGER L. R. et al., 2023, « Evidence for deliberate burial of the dead by Homo naledi », eLife. Doi : 10.7554/eLife.89106.1
BROPHY J. K. et al., 2021, « Immature Hominin Craniodental Remains From a New Locality in the Rising Star Cave System, South Africa », PaleoAnthropology, 1, p. 1-14. Doi : 10.48738/2021.iss1.64
CRUBÉZY É., 2019, Aux origines des rites funéraires. Voir, cacher, sacraliser, Paris, Odile Jacob.
ELLIOTT M. C. et al., 2021, « Expanded Explorations of the Dinaledi Subsystem, Rising Star Cave System, South Africa », PaleoAnthropology, 1, p. 15-22. Doi : 10.48738/2021.iss1.68
FOECKE K. K. et al., 2024, « No Sedimentological Evidence for Deliberate Burial by Homo naledi – A Case Study Highlighting the Need for Best Practices in Geochemical Studies Within Archaeology and Paleoanthropology », PaleoAnthropology. https://paleoanthropology.org/ojs/index.php/paleo/libraryFiles/downloadPublic/25
FUENTES A. et al., 2023, « Burial and engravings in a small-brained hominin, Homo naledi, from the late Pleistocene: contexts and evolutionary implications », eLife, 12:RP89125. Doi : 10.7554/eLife.89125.1
BALZEAU A. et al., 2020, « Pluridisciplinary Evidence for Burial for the La Ferrassie 8 Neandertal Child », Scientific Reports, 10, 21230. Doi : 10.1038/s41598-020-77611-z