La grotte de Rouffignac (1/2). Toujours connue, longtemps méconnue

« Frise des dix Mammouths » de la grotte de Rouffignac.

« Frise des dix Mammouths » de la grotte de Rouffignac. © Frédéric Plassard, grotte de Rouffignac

En Dordogne, la grotte de Rouffignac est bien connue pour son art paléolithique. Le mammouth y règne en maître, 170 fois figuré le long de plusieurs kilomètres de galeries. Pourtant, ce n’est là qu’une facette d’un site archéologique fréquenté d’abord par les ours des cavernes, puis à plusieurs reprises par Homo sapiens venu ici pour diverses raisons : la réalisation d’images bien sûr, mais aussi, plus tard, l’exploitation de matières premières, des pratiques sépulcrales ou votives et, finalement, la curiosité.

Avec huit kilomètres de galeries réparties sur trois étages, la grotte de Rouffignac est une exception en Périgord où les cavités sont certes nombreuses, mais souvent assez petites. Elle s’ouvre par un unique porche demeuré tel quel depuis la Préhistoire.

Une grande grotte

À partir de cette entrée, les galeries du niveau supérieur, creusées par l’eau dans un calcaire du Crétacé supérieur très riche en rognons de silex, sont d’abord spacieuses atteignant localement une douzaine de mètres de haut ou une dizaine de mètres de large. Au fur et à mesure de la progression, les ramifications successives donnent accès à des couloirs aux dimensions plus réduites, qui s’achèvent tous par un abaissement de la voûte les rendant impénétrables. Accessibles par des passages verticaux depuis ce niveau, les étages inférieurs sont étroits et, sauf exception, ne présentent pas d’intérêt archéologique.

Plan de la grotte et répartition des œuvres préhistoriques. Les zones grisées ne livrent aucun document pariétal.

Plan de la grotte et répartition des œuvres préhistoriques. Les zones grisées ne livrent aucun document pariétal. Infographie Frédéric Plassard, d’après la topographie de E.-A. Martel

Une grotte d’hivernation

Les premiers à s’aventurer dans ces ténèbres furent les ours des cavernes. Les traces de leurs griffes sont visibles dès l’entrée et jusqu’à un kilomètre à l’intérieur de la cavité. Elles sont souvent accompagnées au sol de bauges, c’est-à-dire de cuvettes parfois spectaculaires (plus de 2 m de diamètre) creusées dans l’argile, où s’endormaient les plantigrades. En réalisant ces couchages juxtaposés, les animaux ont parfois remanié le sol sur 70 cm de profondeur, conférant à certaines galeries un aspect lunaire. Puisque l’ours est plutôt solitaire, c’est la durée multimillénaire de cette fréquentation qui explique le nombre des traces alors que les ossements, eux, sont rares et mal conservés. Ces animaux avaient déjà disparu lorsque les artistes Homo sapiens vinrent à leur tour. 

Vue de la galerie des bauges d’ours.

Vue de la galerie des bauges d’ours. © Frédéric Plassard, grotte de Rouffignac

Parmi les 250 figurations animales recensées, le mammouth domine très largement avec 170 images, reléguant bison, cheval, bouquetin et rhinocéros laineux au second plan.

La grotte des mammouths

Mammouth, bison, cheval, bouquetin et rhinocéros laineux sont les sujets principaux de l’art paléolithique de la caverne. Parmi les 250 figurations animales recensées, le mammouth domine très largement avec 170 images, reléguant les autres thèmes au second plan. Les images de Rouffignac témoignent d’une grande homogénéité technique, se répartissant entre des dessins noirs, exécutés avec des crayons à base de dioxyde de manganèse, et des gravures réalisées à l’aide d’outils variés en silex, en bois ou en os, ou simplement avec les doigts sur les supports les plus meubles. L’ensemble des figurations animales offre une grande cohérence stylistique, qu’il s’agisse d’images réduites à quelques lignes ou de figurations extraordinairement détaillées. Parmi les éléments récurrents de cette expression graphique, on peut relever la figuration de l’œil sous la forme d’un triangle ou encore le recours fréquent aux hachures qui figurent une partie des contours tout en indiquant l’importance de la toison des animaux figurés. L’exactitude anatomique perceptible dans bon nombre d’images est une autre caractéristique de cet art. Citons, à titre d’exemple, l’indication des deux doigts de l’extrémité de la trompe des mammouths ou la mention, exceptionnelle, du clapet anal de cet animal !  

Gravure du mammouth dit « le Patriarche ».

Gravure du mammouth dit « le Patriarche ». © Frédéric Plassard, grotte de Rouffignac

Le lieu le plus riche en images, le « Grand Plafond », est aussi celui du plus grand désordre : il regroupe plus de soixante dessins sur moins de 40 m2.

Une grotte singulière

Ces éléments orientent vers une attribution chrono-culturelle au Magdalénien moyen récent, soit il y a 17 000 ans environ. L’art de Rouffignac s’inscrit donc dans un cadre régional bien documenté par d’autres grottes ornées (Font-de-Gaume, Les Combarelles, La Mouthe, Bernifal…) et de nombreux sites d’habitat, parfois majeurs (La Madeleine, Laugerie-Basse, La Grotte Richard…), tous situés dans le bassin versant de la Vézère. Mais ce contexte n’explique guère les grandes originalités de l’art de Rouffignac : le dessin noir (alors que l’ocre est employée dans beaucoup d’autres sites), le mammouth (habituellement moins figuré que le cheval ou le bison), la dispersion des figurations sur trois kilomètres de couloirs ou encore le soin apporté à la construction de groupes d’images parfaitement mis en page. En effet, parmi les éléments singuliers de l’art de cette caverne, on doit souligner l’importance de la composition en vis-à-vis et le rôle majeur du concept de « frise », c’est-à-dire de groupe d’images de dimensions analogues distribuées en file harmonieuse sur une surface limitée. La « Frise des dix mammouths » est, à cet égard, emblématique de l’art de la caverne. Pour autant, le lieu le plus riche en images est aussi celui du plus grand désordre : situé à près d’un kilomètre du dehors et dans une galerie d’à peine un mètre de hauteur, le « Grand Plafond » regroupe plus de soixante dessins noirs de cinq espèces différentes sur moins de 40 m2. La présence à gauche d’un vaste entonnoir de 6 m de diamètre, et autant de profondeur, donnant accès au niveau inférieur de la grotte, explique peutêtre cette concentration des images sur le plafond. Plusieurs fois, en effet, on trouve dans la grotte des documents pariétaux à proximité des ouvertures béantes vers les tréfonds de la caverne… Si les images ont fait sens, la grotte, que rien n’obligeait à explorer puis à orner, a dû elle-même être investie de significations qui justifiaient son exploration et la création de telles œuvres dans un tel endroit. 

Vue du Grand Plafond.

Vue du Grand Plafond. © Frédéric Plassard, grotte de Rouffignac

Une nécropole des âges des Métaux

Entre 1000 et 800 avant notre ère, les galeries de Rouffignac sont à nouveau fréquentées. Les derniers représentants de l’âge du Bronze incinèrent alors leurs défunts à l’aplomb du porche avant de prélever une partie des cendres pour les déposer à même le sol dans la grotte. Ces dépôts incluent souvent des offrandes sous la forme de céramiques voire d’objets en bronze. Cette pratique renaîtra au début du dernier siècle avant notre ère lorsque les Gaulois Pétrocores (du Périgord) réinvestiront les lieux, utilisant aussi le porche comme bivouac. 

Objets issus de la nécropole de l’âge du Bronze final.

Objets issus de la nécropole de l’âge du Bronze final. © Frédéric Plassard, grotte de Rouffignac

Le singulier dépôt laténien de Rouffignac

L’occupation de l’époque celtique est une facette méconnue de la grotte de Rouffignac. Les vestiges de l’âge du Fer y sont pourtant abondants (céramiques, amphores, outils…). L’un des témoignages les plus éloquents concerne la mise au jour d’un dépôt monétaire en 1958 à une centaine de mètres à l’intérieur de la grotte. Il se compose de onze monnaies d’argent dont l’origine s’inscrit dans une sphère régionale (Dordogne, Lot, Lot-et-Garonne). Trois types distincts sont attestés : une monnaie dite au monstre hybride émise par les Pétrocores (peuple gaulois qui occupait le Périgord) et dont le revers représente une créature anthropomorphe, mi-homme mi-sanglier ; trois monnaies « à la croix » dites de Belvès ; sept petites fractions en argent originaires du Quercy qui figurent un cheval au revers. Outre les monnaies, ce dépôt contient également deux anneaux en alliage cuivreux, une perle en stéatite verte et une demi-perle en verre bleu cobalt décorée d’ocelles en forme d’œil. Bien que cette perle paraisse plus ancienne (Ve-IIe siècle avant notre ère), les monnayages permettent de dater l’enfouissement du dépôt dans la première moitié du Ier siècle avant notre ère. Le dépôt de Rouffignac s’apparente à d’autres trouvailles effectuées dans le sud-ouest de la Gaule en contexte de cavité. On songe tout particulièrement aux découvertes réalisées dans les « grottes sanctuaires » du territoire des Rutènes (Rouergue). Elles présentent plusieurs points communs avec la trouvaille de Rouffignac, notamment l’association de monnaies à d’autres objets (parures, anneaux…) et la prépondérance des petites piécettes – ou fractions – au sein du lot monétaire. La composition singulière de ce dépôt, placé dans l’espace intime qu’est la grotte, permet de le rattacher au domaine des rites et des croyances celtiques. Le dépôt de Rouffignac s’apparente à une offrande, mais sa signification symbolique nous échappe à ce jour. E. H.

Dépôt monétaire gaulois du porche d’entrée.

Dépôt monétaire gaulois du porche d’entrée. © Eneko Hiriart

Visiteurs historiques, dégradation, reconnaissance

Mais l’histoire de cette caverne ne s’arrête jamais. Un texte décrit les lieux dès 1575 et un plan des galeries est dressé au milieu du XVIIIe siècle. En effet, la grotte est déjà un haut lieu touristique et les milliers d’inscriptions qui subsistent aujourd’hui sur les parois et les plafonds en témoignent largement. Les visiteurs laissent alors leur nom et parfois la date de leur exploration sans se douter que la silhouette voisine d’un cheval est vieille de 17 000 ans… Jusqu’au 26 juin 1956 : ce jour-là, Louis-René Nougier et Romain Robert, tous deux préhistoriens, visitent les lieux à leur tour, accompagnés par Charles et Louis Plassard, propriétaires de la caverne. En quelques heures, ils vont repérer des dizaines de figurations animales qu’ils attribuent sans hésiter à la dernière période glaciaire. Après le passage le 17 juillet de l’abbé Henri Breuil, grand préhistorien de l’époque, et une polémique aussi vive que brève, la grotte est classée Monument historique en 1957 et ouverte au public en 1959. Aujourd’hui encore le quotidien de la grotte de Rouffignac est partagé entre l’attention primordiale portée à la préservation des lieux, la poursuite des études scientifiques et la possibilité offerte à tous de visiter cette caverne sans égale.

Un rhinocéros de la grotte de Rouffignac.

Un rhinocéros de la grotte de Rouffignac. © Frédéric Plassard, grotte de Rouffignac

Réhabilitation plutôt que restauration

On ne restaure pas l’art des grottes. Depuis leur découverte au début du XXe siècle, le choix a été fait de ne jamais intervenir directement sur les œuvres pariétales. Leur préservation « en l’état » est avant tout fondée sur le maintien de conditions environnementales favorables à leur préservation. C’est dans ce cadre que, dans les années 1990, ont été éliminées ou atténuées des inscriptions historiques qui nuisaient à la lecture des documents préhistoriques. D’abord mis en œuvre sur la « Frise des dix Mammouths », ces interventions ont ensuite concerné le « Grand Plafond », puis le « Salon Rouge », secteurs particulièrement dégradés par les surcharges historiques. Après un archivage photographique des surfaces d’intervention, Eudald Guillamet, restaurateur spécialiste de l’art rupestre, a patiemment éliminé les traces de fumée ou de crayon, le plus souvent à l’aide de compresses imbibées d’eau déminéralisée, et sans jamais entrer en contact avec les tracés préhistoriques. La lecture et l’étude des images sont ainsi facilitées et c’est bien d’une réhabilitation qu’il convient de parler, puisque ces interventions permettent d’apprécier les documents archéologiques dans leur contexte d’origine, sans toutefois gommer toutes les traces du temps.

Détail du « Salon Rouge » avant l’atténuation des graffitis.

Détail du « Salon Rouge » avant l’atténuation des graffitis. © Jean Plassard

Grotte de Rouffignac, 24580 Rouffignac-Saint-Cernin. Tél. : 05 53 05 41 71 et www.grottederouffignac.fr

Pour aller plus loin :
CRETIN C. et MADELAINE S. (dir.), 2018, Mémoire de mammouth, catalogue de l’exposition du musée national de Préhistoire, Les Eyzies, édition musée national de Préhistoire.
PAILLET P., 2018, Qu’est-ce que l’art préhistorique ?, Paris, CNRS éditions.
PLASSARD J. et PLASSARD M.-O., 2022 (rééd.), Visiter la grotte de Rouffignac, édition Sud Ouest. PLASSARD J., 1999, Rouffignac, le sanctuaire des mammouths, Le Seuil.