L’archéologie du feu : une discipline en plein essor

© Éric Le Brun

C’est la domestication du feu qui a permis à l’humanité de conquérir le monde. Mais l’usage qu’elle en a fait s’est complexifié avec le temps. Comment analyser ce qui n’est à nos yeux qu’un tas de cendres ? Des scientifiques tentent de mettre au point un langage descriptif commun. Ségolène Vandevelde, professeure associée à l’université du Québec à Chicoutimi (UQAC), et chercheuse postdoctorale du Centre de recherche Cultures, Arts, Sociétés (CELAT), a répondu à nos questions.

Propos recueillis par Jacques Daniel

S’appuyant sur la commission « Pyroarchaeology » (archéologie du feu) de l’Union internationale des sciences préhistoriques et protohistoriques (UISPP), un collectif pluridisciplinaire s’est récemment réuni pour établir un premier lexique afin de progresser plus rapidement dans l’étude des restes de combustion. Vingt mots (cendre, brûlé, calciné, lampe, luminaire, fumée, suie, torche…) ont été listés en anglais avec leurs correspondants en français, espagnol, allemand, grec, italien et basque, chacun suivi d’une description très précise. Désormais, il est recommandé à tous les archéologues de les employer. Professeure associée à l’université du Québec à Chicoutimi (UQAC), et chercheuse postdoctorale du Centre de recherche Cultures, Arts, Sociétés (CELAT), Ségolène Vandevelde a inventé sa propre méthode d’études, la fuliginochronologie, qui consiste à étudier les traces de suie (prisonnières de concrétions calcaires) comme marqueurs de la présence humaine sur les sites. C’est ainsi qu’elle a pu établir la succession des occupations de la grotte Mandrin (Drôme) et des visites préhistoriques dans la grotte de Nerja (Espagne). Membre de la commission « Pyroarchaeology » de l’UISPP, elle nous explique l’intérêt de ce lexique.

Ségolène Vandevelde.

Ségolène Vandevelde. © Carl Diner / Fondation L’Oréal

À quoi sert « l’archéologie du feu » ?

Elle permet d’étudier toutes les manières d’appréhender le feu dans le passé ; la pyrotechnologie s’intéresse, par exemple, à l’utilisation du feu comme technologie, transformant la matière et les sociétés humaines. Ce ne sont pas juste des vestiges brûlés ; la diversité des carbonisats, c’est-à-dire des résidus de combustion, est une véritable mine d’informations. En Préhistoire, nous cherchons tout particulièrement à savoir si c’est brûlé ou pas, volontaire ou non, anthropique ou naturel. Ces réponses sont essentielles, surtout pour les époques très anciennes, afin de déterminer à quel moment l’humanité a pu maîtriser et apprendre à créer le feu.

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour écrire ce lexique ?

Rassembler autant de spécialistes de nationalités et d’époques variées est très compliqué. La commission a permis de nous réunir. Mes travaux interdisciplinaires ont d’ailleurs aidé à nouer des contacts étendus. Ce lexique est vraiment un travail collectif qui devenait indispensable pour communiquer précisément sur ce que l’on étudie et pour bien distinguer les différents résidus de combustion provenant de torches, de lampes ou de foyers par exemple.

Qu’apporte ce lexique ?

Nous souhaitions une approche pluridisciplinaire et multi-temporelle, mettant tout le monde d’accord. Nous avons tendance à qualifier de « suie » des résidus de combustion variés, correspondant à plusieurs activités. Idem pour les systèmes d’éclairage. Si par moment, nous avons eu du mal à nous comprendre, notre objectif était de dépasser la simple archéologie et de pouvoir échanger entre spécialistes. Prenons le cas des multiples stades de carbonisation, qui impliquent de nombreuses activités anthropiques : qu’a-t-on voulu faire initialement ? S’éclairer, se chauffer, cuire, carboniser… ? Un résidu noir peut être de la suie ou du goudron, ce qui conduit à différentes méthodes d’analyse : du goudron, on peut extraire des composés aromatiques, déterminant quelle graisse ou quel bois furent utilisés, par exemple. Il a été difficile de trouver des équivalents d’une langue à l’autre. L’allemand est une langue descriptive, tandis qu’en anglais, plusieurs mots désignent la même chose, avec le risque de gommer les nuances. D’où l’importance de les accompagner de définitions très précises.

Pour aller plus loin :
VANDEVELDE S. et al., 2024, « A shared lexicon for the multidisciplinary field of pyroarchaeology with a focus on the archaeology of light », Journal of Archaeological Science: Reports, 55, 104503. Doi : 10.1016/j.jasrep.2024.104503