Le mot du mois d’Anne Lehoërff : « lacune »

Fragment de masque anthropomorphe de Teotihuacan. Entre 150-550. Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. Grand-Palais RMN, Michel Urtado, Thierry Ollivier
Elle trouverait son origine dans le mot latin « lacuna » désignant un trou (plein d’eau). La pirouette étymologique est heureuse quand on sait à quel point l’archéologie cumule l’un et l’autre !
Le glissement sémantique la désigne comme un manque, une interruption dans un tout originellement complet. On l’évoque volontiers pour un texte privé de mots ou un tableau ayant perdu une partie de sa composition.
La lacune au cœur de l’archéologie
On ne saurait comprendre l’archéologie sans mettre la lacune au cœur de sa définition, sa pratique, ses enquêtes. Des absences, il y en a ici, là, et à peu près partout, mais le plus souvent sans que l’on soit vraiment capable d’en estimer l’ampleur. De quoi baisser les bras et déclarer l’archéologie inique ? Au contraire ! C’est parce qu’elle se sait lacunaire, qu’elle se doit d’être inventive, rigoureuse, impitoyable, ambitieuse, sans cesse critique de ses propres résultats ; qu’elle ose s’appuyer sur ses données pour les interroger à l’envi et sans jamais renoncer ; qu’elle traque, avec ce qu’elle a, ce qu’elle peut dire ; qu’elle fait de la lacune un guide et non une simple faiblesse et qu’elle se permet, au besoin, d’en créer de nouvelles par le jeu des prélèvements et des analyses.
Un sentier plein de trous vers le passé
L’archéologie n’est pas une liste de vestiges que l’on « conserve » avec l’illusion de tenir en vitrine un passé intact. C’est un sentier plein de trous vers le passé, une voie pour redonner vie à des gestes évanouis et des paroles devenues silencieuses. Un joli défi pour recoller savamment des morceaux et combler quelques lacunes de l’Histoire.